Ancien employé de TEAM Marketing, agence qui gère la commercialisation des compétitions pour l’UEFA, William Martucci connaît parfaitement les coulisses des compétitions de l’instance. Depuis quelques semaines, l’ancien chargé de développement des compétitions de clubs se charge de démonter point par point, sur les réseaux sociaux, l’ensemble des arguments avancés par les promoteurs de la Super League. Opposé à cette idée depuis la première version dévoilée en avril 2021, il explique à RMC Sport sa vision (très éloignée) des représentants d’A22.
William, vous avez longtemps travaillé auprès de l’UEFA. Est-ce qu’il y a quelques années vous avez vu arriver les promoteurs de la Super League? Oui, Florentino Perez avait en tête de créer une Super League depuis plusieurs années, avec ses déclarations régulières, c’était public. Il y a eu aussi les révélations des « Football Leaks », sur des discussions et des réunions organisés pour créer cette Super League.
On savait que c’était toujours là, dans les esprits mais on ne savait pas à quel point c’était concret. C’est une épée Damoclès au-dessus de nos têtes. Tu ne pouvais pas savoir si c’était concret.
Soit un vrai projet avec des gens qui menacent de quitter les instances, de faire sécession. Ou si c’était simplement une menace afin d’obtenir les réformes nécessaires par la suite.Quand l’UEFA réfléchit à sa nouvelle formule pour le cycle 2024-2027, est-ce qu’elle ne se dit pas qu’il faut être plus élitiste afin de répondre aux rumeurs d’une potentielle Super League? Ça ne part pas de là.
Disons que dans le système actuel, il y a pas mal de parties prenantes qui peuvent donner un avis. Sur le format de la compétition, le modèle, etc… Les clubs sont très impliqués avec l’ECA, qui représente une partie des clubs. Dès que les clubs sont chargés de donner leur avis, un process est mis en place à chaque cycle avec une consultation.
Pour le dire simplement, l’UEFA demande aux clubs les attentes pour le prochain cycle mis en vente. Pour le cycle actuel (2021-2024), la parole était pour les petits et les moyens clubs avec une chance plus importante de se qualifier pour les Coupes d’Europe. C’était le point central, comment réaliser cette opération tout en créant quelque chose qui est le plus attractif possible.
Ça aboutit aux changements : une Europa League à 32 et de la création de la Conférence League. Pour le cycle 2024-2027, les gros clubs avaient la parole et la demande principale était d’augmenter les revenus.Très vite, dans la discussion, on a vu qu’il n’y avait pas cinquante façons d’augmenter les revenus.
Si on a 15 journées de Ligue des Champions et 32 équipes, le format actuel est le meilleur. La seule façon de faire vraiment mieux est d’augmenter le nombre de journées. Au bout d’un moment il faut toucher au volume pour que les droits augmentent.
Sauf que dès que tu touches au nombre de journée, quand tu as des systèmes de groupes, soit tu changes le nombre d’équipes par groupes soit il faut inventer une idée plus originale, c’est comme ça que l’UEFA est arrivée avec le système suisse, un système proposé par l’Ajax lors d’une réunion de l’ECA. Ça ne part pas forcément d’une volonté au départ d’avoir un système plus élitiste, les clubs voulaient juste plus d’argent. Ce qui est intéressant, c’est de voir le cycle d’avant (en 2018, ndlr) avec les places qualificatives directes pour les quatre premiers pays.
Ça c’était un changement élitiste.
« 14 matchs par équipe ça pose question »
Je trouve qu’elle est meilleure que celle proposée en avril 2021
« Les clubs doivent aussi prendre leur part »
J’ai un peu le sentiment que ça pourrait être le rôle de l’UEFA de clarifier et de pointer du doigt les contradictions de ces promoteurs. Ils ne s’attaquent pas directement au projet.
Je ne sais pas si c’est impactant aux niveaux des fans. Je me pose la question. L’UEFA est une organisation très politique, ce n’est pas facile pour l’instance aussi d’aller plus loin dans le niveau de détail.
Je pense que ce n’est pas seulement à l’UEFA d’en parler. Les clubs doivent aussi prendre leur part. Les promoteurs de la Super League laissent entendre qu’ils dialoguent avec des clubs et que le camp d’en face, celui de l’UEFA, c’est le camp qui interdit le dialogue.
Pour le moment, la famille du foot européen, comme dernièrement lors de la réception d’un représentant de A22 en Suisse, s’est affichée unie contre le projet. Dans la communication, on a le président de l’UEFA, de l’ECA et Javier Tebas, président de la Liga. En dehors de ça, ça manque d’autres soutiens qui s’affichent contre cette Super League.
« Il va y avoir une fenêtre de tir pour les promoteurs de la Super League »
Ça ne rend pas le projet complètement impossible. C’est l’hypothèse la plus favorable à l’UEFA, donc on voit que c’est encore possible d’avoir ce projet dans quelques mois.
La Super League pourrait aussi arriver dans un moment où le format de la Ligue des Champions est modifié. Un format un peu moins clair que celui actuellement en place. C’est une faiblesse? C’est un constat que je partage en partie.
Ce n’est pas facile pour l’UEFA d’expliquer pourquoi certains changements sont réalisés. Dans les critiques émises par A22 à l’encontre de l’UEFA, il y en beaucoup qui sont vraies. L’énorme paradoxe, c’est que les clubs derrière ce projet sont aussi responsables de ces défauts.
Et l’autre paradoxe c’est que le projet de Super League aggrave ces défauts constatés par A22 au lieu d’y répondre. Pour l’UEFA, c’est un moment important. C’est l’occasion de se pencher sur ces questions en apportant des solutions pour rendre le football plus ouvert, plus attractif, etc… Propos recueillis par Nicolas Pelletier.