Un recoin mal éclairé, des équipements sportifs nécessitant beaucoup de force pour être utilisés, un banc positionné sur le haut d’une butte… Au fil du temps, l’aménagement des villes a conduit à en faire des territoires où les femmes se trouvent exclues de certains lieux et équipements. La ville est devenue un espace « genré » où les déséquilibres entre les usagers restent importants. Ce constat conduit les collectivités à prendre en compte le genre dans leurs opérations d’aménagement. L’objectif étant de créer une ville plus inclusive où chacun a sa place. « Il faut faire du “un avec un” et en finir avec le “un plus un” » résume Pascale Lapalud, urbaniste et cofondatrice de Genre et ville, une plateforme de recherche et d’action dont l’objet est de rendre les territoires égalitaires et incluants.
Des actions le plus en amont possible
L’objectif concerne en priorité les femmes mais, chemin faisant, il s’écarte un peu de sa cible pour englober les jeunes, les seniors et les personnes porteuses de handicap. Avec un point commun : inclure la question du genre dans chaque opération d’aménagement, de la plus petite à la plus importante et en agissant le plus tôt possible. Cette règle se généralise au Havre (168 300 hab.), où la mairie boucle les études préalables à l’aménagement du parc Massillon en considérant le genre dès la genèse du projet. « Nous avons lancé un diagnostic partagé avec les habitants pour voir quels étaient les attentes et les usages dans cet espace », retrace Véronique Bonneau-Contremoulins, cheffe du service « urbanisme et prospective ». « Ce travail réalisé en amont nous permet de penser les cheminements des piétons, le positionnement et la nature des équipements en fonction du diagnostic. Nous allons confirmer ces grandes orientations en associant les habitants à nos réflexions avant d’entrer dans la phase opérationnelle de l’aménagement du parc », poursuit-elle.
prévient toutefois Gildas Piquet.
A défaut de s’appuyer sur une recette universelle, les aménageurs publics ont la conviction qu’ils vont pouvoir repérer les principales causes de dysfonctionnements générateurs d’exclusion pour les femmes et d’autres usagers : les recoins et niches créés par l’aménagement, la végétalisation ou un éclairage trop faible sont des facteurs très insécurisants pour les femmes, le mobilier urbain mal implanté, comme certains équipements de sport, est excluant. « Nous avons installé des agrès dans un parc et remarquons qu’ils sont presque exclusivement utilisés par des hommes », illustre Gildas Piquet.
Les marches exploratoires s’imposent
Pour nourrir leurs réflexions, les aménageurs font d’abord confiance aux usagers et accompagnent ces démarches avec les marches exploratoires. « Nous en avons déjà organisé plusieurs avec des femmes qui, durant ces cheminements, nous alertent sur qui peut faire que l’espace public sera plus ou moins sécurisant pour elles », résume Gildas Piquet.
Des retours souvent très concrets, notamment sur les sources d’éclairage, le positionnement des voies piétonnes et des espaces de repos, à partir desquels il est plus facile de concevoir une ville non genrée. A la métropole de Lyon (59 communes, 1,41 million d’hab.), les marches exploratoires gagnent du terrain en amont des opérations d’aménagement. La ZAC Armstrong, sur le plateau des Minguettes à Vénissieux, vient d’ouvrir la voie. « Nous avons réuni une dizaine de femmes début décembre afin de repenser l’aménagement d’une vaste esplanade au cœur de ce quartier qui fait l’objet d’une opération de requalification urbaine. Nous allons prolonger cette première étape par une nouvelle marche réunissant, cette fois, des adolescentes car le diagnostic d’usage a montré qu’elles étaient peu présentes sur cet espace », raconte Cassandre Limier, cheffe de projet à la métropole de Lyon.
En amont de la marche, la collectivité a fait appel à des prestataires pour réaliser un diagnostic d’usage de cette esplanade et une étude de sûreté et de sécurité publique. « Les données d’usage et de sécurité sont essentielles pour établir les préconisations au maître d’œuvre », assure Cassandre Limier.
Les cours d’école aussi
résumait Audrey Hénocque, première adjointe au maire chargée des finances, en présentant ce projet.
mais aussi en interne de celui des agents. En fonction des bilans, nous verrons s’il est nécessaire ou pas de faire évoluer nos politiques », explique Charles Gauthier, directeur des finances et de la commande publique de la ville et la métropole de Rennes.
Les appels d’offres sont mis, eux aussi, au diapason du genre. « Notre cahier des charges précise que nous attendons une prise en compte de la place des femmes dans cet espace public et nous l’appuyons avec une demande de compétences en sociologie ou en ethnologie », précise Cassandre Limier, à la métropole de Lyon.
Pour pousser encore plus loin la prise en compte du genre, plusieurs villes la font entrer dans les écoles grâce à l’aménagement des cours. A Lyon, 70 des 207 écoles sont engagées dans ce processus. « Nous partons d’une étude auprès des élèves et de la communauté éducative afin de voir comment les enfants utilisent la cour, puis nous les réaménageons avec des équipements favorisant les jeux et activités mixtes », décrit Stéphanie Léger, adjointe au maire chargée de l’éducation. Cependant, lors de l’inauguration de la première cour dégenrée, un petit garçon a fait remarquer au maire qu’il regrettait les poteaux de foot.
« L’espace public plus inclusif pour tous »
Pascale Lapalud, urbaniste et cofondatrice de Genre et ville
« L’aménagement de l’espace public en tenant compte du genre répond à un objectif de partage équitable. Il s’agit d’aménager une ville plus inclusive afin que les femmes, comme les hommes, mais aussi les enfants, les ados, les seniors et les porteurs de handicap se sentent bien dans l’espace public. Pour cela, le genre doit être inclus le plus en amont possible dans les opérations d’aménagement à travers des études et des solutions sur mesure, car si quelques points de vigilance sont désormais connus, l’aménagement non genré reste une démarche qui n’obéit pas à des solutions toutes faites. »
« Nous avons édité deux guides de bonnes pratiques »
Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris (2,16 millions d’hab.), chargée de l’égalité « femmes-hommes »
« En 2015, nous avons commencé à travailler sur la question du genre avec pour objectif de lutter contre le harcèlement de rue. Très vite, nous nous sommes rendu compte que ce phénomène allait souvent de pair avec des lieux qui dysfonctionnaient, des endroits où les hommes s’étaient approprié l’espace public. Cela a acté le point de départ de la prise en compte du genre dans l’aménagement de l’espace public. Depuis, nous avons formé les architectes de la ville et des agents à cette considération pour favoriser la mixité. En partant des retours d’expérience, nous avons depuis édité deux guides qui reprennent des bonnes pratiques en matière d’aménagement et donnent des propositions de réponses pour mieux prendre en coconsidération le genre dans les opérations d’aménagement, car nous savons désormais que cette question doit être traitée le plus en amont possible. »
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