Tout le monde ou presque a vu cette petite vidéo d’un jeune freluquet qui promet réussite financière, grosses voitures et coupes de champagne aux “jeunes entrepreneurs” qui voudront bien lui faire confiance. Ce clip présente deux atouts indispensables pour devenir rapidement viral sur les réseaux sociaux: il est court et il détonne. Il est un peu (beaucoup) ridicule aussi, ingrédient utile à ce succès dans le cas présent…
Voulez-vous faire un maximum de blé?, demande-t-il en substance d’une ton faussement candide.
La question elle est vite répondue, assène-t-il ensuite dans un français aussi moderne qu’approximatif, assurément destiné à rejoindre un certain “non mais allô quoi?” au panthéon des phrases cultes des dernières décennies. Les Bernard Pivot et autre chatouilleux de la syntaxe – en mode “moâ-j’ai-fait-du-latin-et-du-grec-à-l’école-et-moâ-je-trouve-que-tout-fout-le-camp” – n’ont qu’à bien se tenir.
Toute la bien-pensance de Suisse romande et d’ailleurs, dont je dois bien admettre faire partie, s’est gaussée de cette vidéo et surtout de son auteur.
Les meilleurs humoristes romands, Yann Lambiel et Thomas Wiesel en tête, en ont fait leur choux gras, avec beaucoup de talent il faut le dire, même si le sujet était facile. Et la police annonce s’intéresser aux possibles infractions de l’auteur, ce qui a bien fait rire les médias de France, toujours friands d’anecdotes sur ces arriérés de voisins helvétiques.
Le jeune freluquet a fait un bad buzz; il est la risée de la toile.
On a bien rigolé. Fin de l’histoire?
Pas vraiment, à vrai dire.
Primo, personne ne semble s’intéresser au fait que ledit freluquet a affirmé à certains médias avoir été submergé par les demandes suite à la diffusion de sa vidéo, à un point tel qu’il n’arrive plus à suivre avec les sollicitations.
Soit il raconte des carabistouilles – ce qui n’est pas impossible – et alors il faut s’en assurer. Soit c’est la vérité et alors cela révèle tout de même quelque chose de très déroutant: un nombre incalculable de personnes tombent dans le panneau, attirés par un mirage – mensonger évidemment – de réussite facile. Pour le volet “grosse voiture”, je ne suis pas très étonné, dans un pays dont les voitures neuves sont en moyenne de plus en plus émettrices de CO2; pour le volet “maximum de blé”, il y a de quoi s’interroger.
Est-ce le signe qu’on n’arrive décidément pas à sortir du culte de la réussite financière comme but ultime de la vie terrestre ? Ou alors le cri d’alarme d’une partie importante de la population, écartée du festin du “miracle économique” helvétique et qui se prend à rêver d’une manne financière subite, plus facile encore qu’un gain de loterie?
Deuxio, notre jeune ami semble avoir fait sienne la devise phare du marketing agressif à l’anglo-saxonne: any publicity is good publicity. En clair, tant pis si l’on parle en mal de moi, tant que l’on parle de moi. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a bien réussi son coup.
Repris en boucle sur la toile – on parle de 2,3 millions de vues déjà! – puis dans divers médias francophones, il s’est fait connaître au-delà de toutes ses espérances. Ceux qui le moquent n’auraient de toute façon jamais été ses “clients”; ceux qui pouvaient l’être le connaissent désormais tous… Ne devrait-on pas s’interroger sur la vitesse à laquelle il s’est vu offrir une tribune gratuite? (Je plaide coupable, contribuant à ma très modeste échelle à cette tribune en rédigeant ce billet). Non mais franchement, je suis le seul à trouver qu’il y a un problème? Au début de l’année 2020, 45 millions de personnes sur le continent africain étaient menacées par une famine sans précédents.
Qui s’en souvient? Personne ou presque! Mais alors les déboires du jeune entrepreneur à la coupe de champagne, tout le monde connaît… A noter qu’il propose sur son site internet l’achat de tasses et autres goodies à son effigie. Il avait donc bel et bien tout prévu…
Tertio, cette histoire me fait penser à un certain président en fonction d’une (très) grande puissance, grand spécialiste du cynisme, des fake news et du bad buzz. Chaque jour depuis début 2016, année de son élection, il provoque, allume, vomit sa haine sur les réseaux sociaux; chaque jour, depuis cette même période, la toile et les médias du monde entier le critiquent, dénoncent ses propos haineux et lui prédisent un destin politique en queue de poisson.
Peut-être que 2020 sera bel et bien sa fin de parcours – je le souhaite ardemment – mais une chose est sûre: en communiquant ainsi, il réussit comme personne à “mobiliser sa base”, comme on dit dans le jargon, et à faire parler de lui. Comme pour notre entrepreneur à la petite semaine, on ferait bien de ne pas trop se moquer et d’interroger les mécanismes plus profonds à l’oeuvre…
Cette histoire en dit certes un peu sur notre ami le jeune entrepreneur, mais en dit encore bien davantage sur certaines misères postmodernes. Et cette question-là, et bien elle n’est pas si vite répondue que cela.