La question de la semaine : Les couples qui durent ont-ils un secret ?


Ces petites soupapes qui changent tout

La vie du couple qui dure n’est pas une sinécure. Mieux vaut gérer les insatisfactions au fur et à mesure, sinon elles finissent par se cumuler, se transformer en crise ouverte et finir par signer la mort du couple par K.O, c’est la thèse de Jean-Claude Kaufmann.

Trouver comment les traiter serait même l’une des préoccupations les plus courantes de la vie à deux. Dans son livre, le chercheur malicieux dévoile les clés d’une technique « très mal connue mais très efficace quand on sait la manier : les petites vengeances paradoxales et secrètes. […] Il ne s’agit pas de faire du mal à l’autre, ou juste ce qu’il faut, une pincée microscopique qui, bien dosée et maîtrisée, forge l’alchimie magique, non du plomb se transformant en or, mais du mal se transformant en bien.

 » En clair, comment expurger un mini-agacement par une mini-vengeance, histoire de renforcer et protéger l’amour.

Qui est Jean-Claude Kaufmann ?

Un sociologue iconoclaste et sans doute l’un des plus fins connaisseurs de l’intimité des couples, qu’il scrute depuis des années et sur lequel il a publié plusieurs études. Par exemple sur l’intimité considérée par la gestion du linge (« La trame conjugale », éd.

Armand Colin, 2022), sur le consentement dans le couple longue durée (« Pas envie ce soir », éd. Les Liens qui libèrent, 2020) ou le rapport entre sexe et sentiments (« Ce qu’embrasser veut dire », éd. Payot, 2021).

Pourquoi s’accrocher à l’autre s’il ou elle nous agace tant ?

C’est le grand paradoxe de l’époque souligné par Kaufmann, la contradiction moderne de la vie à deux : même à l’époque de l’individu-roi, de l’épanouissement de soi et de l’autonomie idolâtrée, le petit monde du couple, de l’amour et du foyer resterait un idéal méritant sacrifices et efforts constants pour surmonter les mille et uns agacements inévitables du quotidien.Le couple, cet édifice en perpétuelle construction, serait considéré comme une petite entreprise à faire fructifier. Le chercheur rapporte que de nombreuses personnes se réjouissent à l’idée de « former une bonne équipe ».

Aussi romantique que pragmatique, il rappelle que tout s’échange dans la vie à deux : « du travail, de l’argent, du temps, des sentiments, des mots durs et des mots doux, des gestes durs et des gestes doux, de l’égoïsme et de la générosité, du don de soi, de l’amour. »

Mais comment font les autres ?

La partie amusante de son livre, mais aussi parfois, il faut bien le dire, consternante de mesquinerie, concerne les exemples concrets. Face à un désagrément ou une exaspération, le comportement le plus sage et adulte serait évidemment d’user du langage, de la parole mesurée, pour dire ce qu’on a sur le cœur et passer à autre chose.

Mais la vie à deux, tissée d’affection, d’émotion et de sensibilité, n’est pas toujours aussi rationnelle. Et puis faut-il déclencher une énième guerre face à un énième mini-agacement ? Même si l’idée d’une vengeance semble à tous assez déplaisante, honteuse, voire méprisable sur le papier. Dans les faits, il semblerait que bien des gens manifestent leur insatisfaction en décalé, et par des petits gestes pas trop méchants qui leur permettent de purger leur énervement.

Exemples ? Maria-Dolores confesse « faire le ménage bruyamment quand il regarde la télé ». Josiane s’arrange pour que « la box télé ne fonctionne pas un soir de match : cruel mais jouissif  !  ». Anthony mange le dernier yaourt préféré de sa compagne, ou lui spoile la fin d’une série.

Agacée par la flemme de son cher et tendre, Marie remet ses chaussettes sales dans son placard, sans passage par la case lave-linge. Parce que sa femme ne range jamais rien, Guillaume planque le dentifrice. Sylvia, les clés de la voiture, Sami, les plaques de chocolat.

Stéphanie prépare un plat que son mec déteste… La liste est moche, mais l’imagination sans limite  ! Et d’autres, vaguement honteux, se contentent d’échafauder dans leur tête une petite vengeance bien désagréable. Inutile alors de la mettre à exécution, et le seul fait d’y penser (et sans doute la honte qui s’ensuit  ! ) purge leur pulsion agressive…

L’extrait du livre :

« Il n’est pas rare que le Machiavel en pantoufles ne puisse s’empêcher d’éprouver une sorte de plaisir mauvais en torturant délicatement sa ou son bien-aimé(e), accédant ainsi à ce que l’on entend habituellement par « vengeances ». Mais tant que ces dérives restent modérées et passagères (surtout si elles déclenchent aussitôt culpabilité et remords), l’hostilité de l’instant est très vite oubliée et ne laisse pas de trace tant sont forts aujourd’hui le désir et le besoin de couple.

 » « Petites vengeances, ou les trahisons positives dans le couple », Jean-Claude Kaufmann, édition de l’Observatoire