« Quiz présidentielle » : comment je me suis disputé avec moi-même


Est-ce parce que la campagne a été particulièrement courte ? Parce qu’on a peu parlé des sujets de fond autres que l’Ukraine et le Covid ? Ou parce que plus personne – à l’exception de quelques bons élèves – ne prend la peine de lire les synthèses de programmes que quelques valeureux journalistes s’échinent à écrire ? Ces derniers jours, nos messageries familiales, amicales ou professionnelles regorgent de tableaux, podiums, histogrammes envoyés par nos mères, meilleur ami ou simple collègue. De quel candidat êtes-vous le plus proche ? A quelle famille politique appartenez-vous ? Hésitator 2022… Depuis quelques semaines, chacun se teste, se conforte, s’amuse avec cette manière ludique de faire de la politique qui n’est pas née avec cette élection mais connaît un succès sans précédent. On l’avoue, même nous avons fini par céder à la tentation. 
Au-delà du jeu, certains cherchent dans ces quiz matière à s’inspirer ou à se conforter. Les sites ont beau prendre moult précautions, indiquer qu’il ne s’agit que d’une indication, renvoyer, pour les plus consciencieux, vers les programmes des candidats, rappeler qu’il ne faut surtout rien surinterpréter, certains primo votants ou les très éloignés de la politique y puisent directement l’inspiration du bulletin de vote. D’autres, plus engagés, y cherchent la confirmation de leur choix. Oui, ils ont telles idées et oui, c’est bien tel candidat qui les incarne. Ils ne sont pas toujours à l’abri d’une surprise.  
Et puis, il y a les hésitants, les qui doutent. Souvent classiquement de droite ou de gauche, ou anciennement de gauche ou de droite. Un temps, ils ont juré qu’ils voteraient pour leur candidat naturel, Valérie Pécresse, Anne Hidalgo ou Yannick Jadot. Puis, le doute s’est installé, on leur a parlé vote utile, Macron, Mélenchon, accès au second tour. Ils étaient presque convaincus lorsqu’un ami, un proche a glissé une petite phrase, mais non, le vote, ça ne peut pas être que de la stratégie, il faut aussi du coeur, de l’envie. Et de nouveau, le doute : après tout, si c’était vrai ? Alors pour trancher entre leur coeur et la raison, ils ont répondu à quelques questions.  
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Pour rassurer les grincheux qui ne verraient en eux que de vulgaires distractions, les sites multiplient les gages de sérieux. Il y a ceux qui refusent de s’appeler « quiz » et qui se présentent comme « boussole », ceux qui revendiquent une caution scientifique ou une exploration dans les profondeurs des programmes. Tous affichent un minimum de trente questions pour bien cerner le profil, parfois du rab pour affiner le choix. Les thèmes sont variés, nucléaire, immigration, pouvoir d’achat, institutions pour donner l’impression de n’en privilégier aucun. Certains sites optent pour des formulations qui collent étroitement à leur ligne politique, d’autres ont leurs obsessions comme ce très exotique « ouvrir un bagne aux îles Kerguelen réservé aux condamnés de terrorisme », inspiré de Nicolas Dupont-Aignan, mais croisé une seule fois tant il est connoté. On devine qu’à répondre trop vite oui à telle ou telle question on risque fort de se retrouver un peu en décalage par rapport à l’opinion que l’on a de soi.  
Les tracts électoraux des candidats à la présidentielle, le 6 avril 2022 à Parisafp.com/Ludovic MARINPourtant, même les moins suspicieux ne peuvent pas s’empêcher de penser que le résultat est biaisé. Parce qu’ils s’intéressent à certains sujets et beaucoup moins à d’autres et qu’ils ont l’impression que tout est pris en compte sans aucune nuance. Parce qu’ils n’ont pas forcément d’avis plus pointus que l’habitué du café du commerce sur certains thèmes et que, pourtant, ça pèsera dans le choix final. Parce qu’on leur demande parfois, avant la fin du quiz, s’ils se sentent plutôt de droite ou de gauche, proches de tel ou tel candidat et dans quelle catégorie socioprofessionnelle ils se situent comme si le concepteur du test voulait être sûr de ne pas se planter.  
Alors, forcément, lorsque le résultat apparaît sous forme de très scientifiques histogrammes analysant le conservatisme/libéralisme/culturel/politique du répondant ou de plus classiques classements de candidats en fonction de la proximité supposée, les réactions sont diverses. Certains sont contents parce qu’ils s’y retrouvent pleinement, d’autres en rient tellement ils jugent la conclusion grotesque. Et puis il y a les mécontents, ceux qui s’insurgent contre cette classification qui n’est pas la leur. Qui a envie de se découvrir social-démocrate alors qu’il se croit social-républicain ? Pourquoi être sans cesse rangé parmi les adeptes d’Anne Hidalgo alors qu’il y a bien longtemps qu’on a décrété qu’on ne voterait pas pour elle, oubliant que les intentions de vote passent, mais les idées restent ? Qu’est-ce qui nous vaut d’apparaître dans le camp de l’ordre et de l’autorité alors qu’on se croyait gentiment souverainiste mais plutôt de gauche?  

Les premiers prennent le chemin de l’isoloir avec un brin de satisfaction, les deuxièmes envoient à tous leurs proches ce résultat si drôle en rappelant qu’ils ont de toute façon choisi de voter blanc et que ça ne changera rien à leur décision. Les troisièmes balaieront le résultat d’un revers de la main. Et sans le dire à personne, discrètement, recommenceront le quiz encore et encore. En choisissant mieux leurs réponses jusqu’à pouvoir, enfin, pousser un soupir de satisfaction : « Ah, je savais bien qu’un tel était mon candidat » ! Une méthode qui aura au moins une vertu, celle de troubler définitivement les curieux qui tenteraient de recueillir des données sur les préférences politiques des uns et des autres. D’ailleurs, la plupart des sites vous l’indiquent : si vous voulez croquer le petit cookie qui garde trace de vos réponses, il suffit de cliquer sur « recommencer ». Alors pourquoi se priver ?  

Opinions

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