Depuis leur première expérience à Marseille en 2009, ils sont inséparables. Ils ont aussi tout gagné. Leur razzia avait commencé avant puisque Guy Stéphan épaulait Roger Lemerre lors du sacre de l’Euro 2000 – Didier Deschamps était alors capitaine des Bleus. Au Qatar (20 novembre-18 décembre), le sélectionneur, 54 ans, et son adjoint, 66 ans, vont vivre leur cinquième tournoi international en commun. Pour le JDD, ils se sont longuement racontés, avec souvent des éclats de rire pour ponctuer les phrases.
Quel est votre premier souvenir commun ?Guy Stéphan : À l’Euro 2000, un matin de match, lors de la promenade traditionnelle. On avait discuté à bâtons rompus mais il n’y avait pas la proximité d’aujourd’hui. On s’est ensuite croisés à quelques réunions à Canal+. Didier était consultant sur le foot français, moi sur l’étranger. Et à un moment, tu as évoqué la possibilité de travailler ensemble. Mais elle n’est venue que plus tard.Didier Deschamps : Question de disponibilité, il était pris dans ses engagements. Moi, j’étais très jeune entraîneur et son profil me plaisait. Je voulais du vécu, je n’étais pas là pour prendre un pote. Ça en éliminait. Je n’ai rencontré personne d’autre.G.S. Je me souviens qu’on t’avait posé la question quand on a signé à Marseille : pourquoi Guy Stéphan ? Tu avais répondu : 1/J’avais déjà été numéro 1 ; 2/J’avais déjà travaillé à l’étranger…D.D. 3/Un petit peu d’affinité. Mais après, il y a la mise en place du quotidien.
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La complémentarité, c’est important vis-à-vis des joueurs
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Ça a tout de suite collé ?G.S. La première année ne s’est pas trop mal passée.D.D. C’est plus lui qui s’est adapté à moi. Comme il avait déjà du vécu, il n’avait pas cette envie d’être à ma place. L’idée, c’était d’être à mon service – sans connotation péjorative. Il avait été adjoint d’autres entraîneurs avec des fonctionnements et des caractères différents.G.S. Il y a toujours une phase de découverte mais ça a vite « matché ». La complémentarité, c’est important vis-à-vis des joueurs. D’autant qu’à Marseille on est arrivés tous les deux mais il y avait quand même un staff…D.D. Local… Ce qui est important, c’est qu’il n’y ait pas deux sons de cloche. Ça ne l’empêche pas d’avoir des discussions différentes de celles que j’ai avec les joueurs – du fait de l’autorité que je représente –, mais sur le fond, la ligne reste la même. Malheureusement, il arrive souvent dans les staffs qu’il y ait des discours différents. Pour garder un groupe uni après… Guy a entière liberté de parole, je ne le muselle pas, je savais de nos longues discussions que je n’avais pas à m’inquiéter. Avoir un contact avec Guy, c’est comme l’avoir avec moi. Il le sait et ça permet d’avoir des infos supplémentaires parce que les joueurs se lâchent peut-être plus facilement. Surtout en club, dans le tambour de la machine à laver…
Le climat lourd sur la fin à l’OM vous a aussi soudés ?D.D. On s’est retrouvés… pas isolés, encore que… Aujourd’hui, peu d’entraîneurs français peuvent arriver avec leur staff. Donc vous vous retrouvez avec des personnes liées au club. Elles étaient là avant vous et seront là après. Avec Guy, on est sur le même bateau. Quand on le quitte, c’est ensemble.G.S. Les épreuves renforcent les liens. Et il y en a eu.
la liste de Didier Deschamps est plus ouverte que jamais
Ça a été la période la plus compliquée à gérer ensemble ?G.S. L’Ukraine entre l’aller et le retour , ce n’était pas mal non plus. Mais ça n’a duré que quatre jours.D.D. Ce n’était pas dur car ça ne touchait pas l’environnement. Marseille, ça a été jusqu’à une grève des supporters en quart de Ligue des champions contre le Bayern. Même les Allemands se demandaient ce qui se passait…
Vous aviez dit : « Personne n’a le monopole de l’amour de l’OM. » Il paraît que ça vient de Guy. Vous lui chipez souvent des formules ?D.D. Oui, oui. Peut-être que lui aussi m’en chipe parfois… C’est mieux quand deux cerveaux réfléchissent. Je ne l’ai pas choisi pour avoir un béni-oui-oui. S’il n’est pas d’accord, et ça lui arrive, j’ai sa position et on en discute. Et après réflexion, je tranche. Certains continuent d’argumenter une fois la décision prise. Non, basta, on passe à autre chose !
Quel est votre secret de vieux couple ?G.S. On a remporté quelques matches, ça aide.D.D. Si on avait été éliminés par l’Ukraine, on ne serait pas là. Il n’y a pas une feuille de papier à cigarette entre nous. Aucun doute. On se pose déjà assez de questions comme ça. On parle de fidélité avec Guy, mais ce n’est pas très valorisant : c’est la confiance et surtout la compétence.G.S. Fidèle adjoint… J’espère que ça ne me résume pas. quelquefois, on m’a dit : « Tu aurais pu être numéro 1 ailleurs. » Mais qu’est-ce que je peux espérer de mieux ? Je suis avec un sélectionneur qui a tout gagné, on a les meilleurs joueurs sous la main, on dispute les plus grandes compétitions, et ça dure. Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pas imaginé ça.
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Même dans les pires moments, on a gardé notre humour
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Une engueulade ?G.S. Non. On a déjà été en désaccord sur un point ou deux. Mais en treize ans…D.D. Je ne m’en souviens même pas, c’est dire. Même dans les pires moments, on a gardé notre humour. On est plus dans le deuxième ou le troisième degré. Avec le temps, on l’a aiguisé : il y a première lame et deuxième lame. Il y a toujours une part de vérité, mais ça reste de l’humour. Ce n’est pas pour offenser ou humilier, c’est pour le plaisir de vivre.G.S. Ça n’empêche pas un tacle ou deux quand même…D.D. Oui. Certains nous donnent de la matière. Avec le sourire, ça passe toujours mieux. Mais c’est dit quand même ! On a un humour décalé, parfois on ne nous comprend pas. Mon fils me dit souvent : « Oh ! T’es pas avec Guy, là ! »
Votre fonctionnement,vous le travaillez encore ?G.S. Didier a coutume de dire : « Un regard suffit. » À l’échauffement d’un match, par exemple, il reste dans le vestiaire, se concentre sur ce qu’il va dire. Quand on rentre, il a envie de savoir comment ça s’est passé. Et là, un regard suffit effectivement.D.D. Et il ne me dit rien si ça s’est mal passé ! G.S. C’est arrivé que je lui glisse : « Ouh, aujourd’hui, on n’est pas très bien. » C’est l’occasion pour lui d’ajuster ses derniers mots avant d’entrer sur le terrain. C’est pour ça que j’aime bien arriver tôt au stade, pour regarder l’échauffement. Ça me donne une indication.D.D. C’est du ressenti. Sur le banc, des décisions importantes doivent être prises rapidement. Et avec Guy, ça va vite. Dans le quotidien, il a totale liberté avec les autres membres du staff et les joueurs. Je ne peux pas m’occuper de tout, donc parfois ils passent par lui. Il sait ce qu’il peut me dire : les choses qui peuvent me servir. Les autres restent entre lui et son interlocuteur.
Il paraît que vous évitez les entretiens trop formels.D.D. Il ne faut pas que ça soit conventionnel. Ça peut se passer avant le petit déjeuner, avant l’entraînement, aux vestiaires… Je n’improvise pas non plus.G.S. On écoute beaucoup les joueurs, aussi. Ils ont des choses à dire sur ce qu’ils ont vécu dans leur club, dans leur vie privée, et ça nous donne des éléments.D.D. On a aussi des remontées du staff médical parce que c’est un contexte où ils sont plus relâchés. Je ne veux pas savoir 95 % de ce qui se dit mais si un joueur a des problèmes extra-sportifs, ces informations permettent de m’adapter. Si j’avais prévu de le voir pour remettre les pendules à l’heure, je décale ou je ne le dis pas de la même façon. Quand j’ai une discussion avec un joueur, rien ne filtre. Si ça sort, ça n’est pas de mon côté. Idem pour Guy.
Didier, vous est-il arrivé dansle débrief d’un match de vous direque vous auriez dû écouter Guy ?D.D. Oui, sans doute. L’inverse aussi ! Quand j’ai commencé, j’avais des regrets : et si, et si… Aujourd’hui, non. On ne sait pas comment ça se serait passé si on avait fait différemment. Ça n’empêche pas d’échanger très longuement sur le système, le choix des joueurs… Il y a une phase discussion : position, argument, contre-argument. Puis une autre où je suis dans ma réflexion. Et une dernière : la décision. Et la nuit porte toujours conseil. Rien n’est figé. La réalité d’un jour n’est pas celle du lendemain.
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Dans une compétition, on a besoin de s’aérer, on prend le temps de faire d’autres activités
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Guy, avez-vous vu Didier douter sur un choix à faire ?G.S. Beaucoup réfléchir, oui. Douter, non. L’autre chose que je ne l’ai jamais vu faire, c’est faire référence à sa carrière devant les joueurs.D.D. Je suis Balance ascendant Balance. Donc bon… On discute, je réfléchis, et, à un moment donné c’est une évidence. J’ai une conviction profonde sur les choix que je dois faire. Je suis habité par ça et c’est comme ça que je fonctionne.G.S. Parfois, ça se joue à rien entre les joueurs X et Y. Il fait son choix : X. Le lendemain, il vient me voir : « J’ai pris la bonne décision. » Alors que c’était très partagé sur le coup.D.D. Il m’est aussi arrivé l’inverse : prendre Y au final.
En dehors du foot, partagez-vous des passions ?D.D. On parle de plein d’autres choses. Mais il y a des sujets qu’il aime bien, moi moins : si on est à table, je passe alors un peu plus de temps à me servir au buffet.G.S. Les discussions politiques, t’aimes pas trop ça…D.D. On a nos moments, aussi. Dans une compétition, on a besoin de s’aérer, on prend le temps de faire d’autres activités.G.S. J’ai un souvenir extraordinaire de 2018, entre le quart et la demie. On a pris un vélo et on est partis deux heures dans la campagne. Un moment d’oxygénation terrible.D.D. Qu’est-ce qu’on a papoté ! On a besoin de se régénérer. La compétition est longue et il faut avoir chaque jour la même énergie.G.S. La transmettre, aussi. Parce qu’on regarde les joueurs, mais eux aussi nous regardent beaucoup. Quelle tronche on a le matin ? Est-ce qu’on est de bonne humeur ? Il faut toujours être positif.D.D. Ne rien laisser transparaître. Dans les mots comme dans le langage corporel. Si vous dites « sérénité » et que les gouttes perlent, la crédibilité en prend un coup. J’accorde une importance essentielle à ce que voient les joueurs de l’ensemble de mon staff.
Y a-t-il une qualité que vous enviez à l’autre ?G.S. Son âge.D.D. Sa coupe de cheveux ! Lors des longs rassemblements, je me substitue à sa chère et tendre pour le rasage. C’est comme un rituel entre nous.