Difficultés des jeunes en lecture : "si on ne travaille que la fluence, nous formons des perroquets "


Viviane Youx, présidente de l’AFEF dénonce aujourd’hui une vision « extrêmement traditionnaliste » de l’école. Photo : Viviane Youx

Quelle a été votre réaction à la lecture de cette note ?

Hélas, ce n’est pas une surprise. Deux items ont toutefois particulièrement attiré notre attention. Depuis des années, nous, membres de l’association, enseignants, mais aussi chercheurs, insistons sur la compréhension en lecture, ce qui est ici appelé « traitements complexes ». C’est à dire la capacité des enfants à repérer des informations dans un article de presse, dans un texte narratif. Des travaux de recherches très importants ont été menés ces dernières années sur ces questions, notamment ceux de Roland Goigoux, qui ont été complètement éludés par le ministre Blanquer.

On sait que si on ne se préoccupe pas de ce que les enfants comprennent, tout s’efface très vite. Mais le gouvernement a préféré développer la fluence, soit mettre l’accent sur le décodage, le déchiffrage. C’est indispensable certes mais si on ne travaille que cela, nous formons des perroquets  ! Des élèves capables de répéter un texte, seulement cela.

Si les élèves français ne sont pas bons, et c’est ce que montre les dernières études et notamment l’enquête PISA, ce n’est pas tant une question de décodage, de déchiffrage, que de compréhension.

L’autre item, c’est le vocabulaire…

La question est la même sur le vocabulaire : si on le décontextualise en l’apprenant, si on donne seulement une liste de mots à apprendre aux élèves en leur demandant de la retenir par coeur, cela n’a pas beaucoup de sens… C’est comme lorsqu’on apprend du vocabulaire dans une langue étrangère, une tournure de phrase : si on ne pratique pas, ça ne peut pas marcher  ! La question essentielle est celle du sens et plus largement celle du rôle de la lecture. Pourquoi un enfant lit-il ? Cela commence avec une brique de lait devant le nez, il s’interroge, se questionne, tiens quelle est cette lettre ? Le jeune apprend à lire pour s’inscrire dans un monde, un monde d’écrit. Mais si on ne lui répond pas, si on ne l’accompagne pas, il ne verra même plus les lettres sur la bouteille.

Quel jugement portez-vous sur les mises en œuvre des pouvoirs publics ces dernières années ?

Dédoubler les classes de CP aurait pu être une mise en œuvre formidable si elle s’était accompagnée d’un véritable travail sur l’apprentissage de la lecture. Moins d’effectifs d’accord mais avec quel accompagnement ? Si on ne change rien, rien ne va changer… Le dispositif « Plus de maîtres que de classes », était intéressant, efficace. Les maîtres volants apportaient un second regard, pouvaient prendre le temps de s’arrêter si nécessaire.

Jean-Michel Blanquer, je ne parle pas de Pap Ndiaye qui ne fait que poursuivre ce qui a été fait, a mis en place un conseil scientifique composé uniquement de neurocognitivistes. Or, il ne s’agit pas uniquement de prendre en compte la neurobiologie mais tous les domaines de la recherche  ! Les travaux de chercheurs sont nombreux et nourris. Je pense notamment à ceux de Marie-France Bishop, une grande historienne du primaire qui a aussi beaucoup travaillé sur la lecture.

Car apprendre n’est pas uniquement une question de cerveau  ! Ou alors cela veut dire qu’il y en aurait des mieux faits que d’autres. Et la tentation est de penser que ces cerveaux pourraient aussi bien apprendre avec des machines, or mettre les élèves les plus en difficulté seuls face à des logiciels d’entrainement renforce leurs difficultés au lieu de les atténuer.

Dans cette même note, les auteurs insistent sur le rôle de l’environnement social et professionnel dans lequel grandissent, évoluent les jeunes. Qu’en pensez-vous ?

Ce qui se produit depuis un certain nombre d’années, c’est l’externalisation. Progressivement on externalise l’accompagnement, on renvoie la faute sur les parents qui ne font eux que ce qu’ils peuvent. Il ne faut pas les culpabiliser. Ce rôle d’accompagnement est bien celui de l’école. Les travaux de Roland Goigoux montrent justement le rôle essentiel des maîtres et maîtresses dans l’apprentissage. 

L’apprentissage de la lecture, est-ce une question collective ?

Évidemment, car plus on individualise, plus on culpabilise, plus on renvoie la faute sur l’élève et donc sur ses parents. Mais jamais sur le système  !

Un autre problème pointé dans la note, c’est celui de la fragilité. Comment apprendre à lire et garder cette dynamique ? A l’école primaire, on lit plus qu’au collège où on lit plus qu’au lycée. Là, les élèves ne lisent plus ce que l’école leur propose mais vont piocher dans des ouvrages jeunesse ou des contenus de type Wattpad. Depuis trois, quatre ans, le programme est d’ailleurs très chronologique avec des œuvres imposées. Les professeurs ont peu d’interstices pour faire autre chose. La littérature classique est évidemment importante mais pour l’aborder, il est intéressant d’en passer par quelque chose de plus contemporain, de plus facile d’accès, puis de faire des comparaisons, des ponts. Aujourd’hui, les enseignants n’ont plus le temps de faire cela car le programme est lourd, figé.