Sur la route des déchets du Cantal : enfouir à 200 km comme Aurillac, « c'est la triple peine »


Est-ce que le fait d’envoyer ses déchets à 200 kilomètres, comme le fait Aurillac, est inhabituel ? Ce n’est pas exceptionnel. Le pire que j’ai connu, c’est un syndicat du côté de Béziers qui, pendant quelques mois, a envoyé ses déchets en Île-de-France, soit 1.200 kilomètres aller-retour. Il y a la Corse aussi, qui est en grosse pénurie de capacité de traitement et qui est régulièrement obligée d’exporter sur le continent. Leurs ordures coûtent cher aux Corses.

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Cela arrive quand les collectivités ne sont pas autonomes en installation de traitement. Cela se voit forcément sur la facture, car il faut payer le transport, et le traitement qui est négocié dans des conditions qui ne sont pas forcément favorables. De plus, concernant l’enfouissement, le gouvernement a décidé d’augmenter fortement la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour inciter les producteurs de déchets à davantage recycler.

On arrive actuellement dans les années où la hausse est vraiment forte. Entre le coût de l’enfouissement, celui du transport et la TGAP, c’est la triple peine.

De manière générale, une collectivité qui n’a pas sa propre ou ses propres installations de traitement notamment pour les déchets résiduels, non triés, n’est pas autonome. Elle n’est pas dans une situation confortable : elle est dépendante soit d’autres collectivités, soit d’opérateurs privés.

Quels sont les freins à la création de ces installations ?

Il faut trouver le lieu. Pour un centre d’enfouissement, il y a des contraintes importantes, géologiques. Il y a aussi l’opposition des populations. Dès que l’on veut créer une installation de traitement des déchets, les riverains, très souvent, s’y opposent.

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C’est valable pour les incinérateurs et les sites d’enfouissement. C’est compliqué, cela ne fait que renforcer la position favorable des opérateurs qui ont déjà une installation. C’est le phénomène Nimby, not in my backyard, pas dans mon jardin. Cela ne s’applique pas qu’au traitement des déchets.

Le Cantal produit environ 35.000 tonnes de déchets par an. Des élus nous disent que ce n’est pas rentable de créer une installation ?

De fait, c’est en dessous de ce que l’on pourrait appeler la taille critique de création d’une installation. En dessous de 50.000 tonnes, on finit par avoir des coûts à la tonne assez élevés, à cause des frais fixes.

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C’est valable surtout pour les incinérateurs, moins pour l’enfouissement. Mais pour les sites d’enfouissement, la politique générale, nationale, c’est de restreindre les capacités, ce qui réduit d’autant la concurrence sur l’enfouissement. Les déchets voyagent chèrement, il faut payer le transport.

Est-ce qu’il y a une date butoir pour la fin de l’enfouissement, en France ? 

Non, mais il y a plusieurs calendriers, avec la hausse de la TGAP, et un calendrier de baisse des quantités enfouies, qui joue notamment au moment des renouvellements des arrêtés préfectoraux autorisant le fonctionnement des installations classées. Généralement, les préfets réduisent les capacités. Ces deux calendriers sont contraignants.

S’il y a une volonté de baisser les capacités d’enfouissement, y a-t-il des projets de nouveaux incinérateurs dans le pays ?

Très peu. C’est le même problème que pour les sites d’enfouissement, les riverains sont souvent contre. Il n’y a quasi plus eu de projets depuis dix, quinze ans.La question commence à se reposer, elle est dans le débat.

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Elle a été posée par la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement, qui considère qu’il faudrait augmenter les capacités d’incinération, pour permettre de réduire l’enfouissement. Cela peut être une idée. La TGAP est moindre sur l’incinération que sur l’enfouissement.

Qu’est-ce qui est le plus intéressant, écologiquement parlant ?

Pour les déchets résiduels, ceux qui restent après le tri, il vaut mieux incinérer… avec un réseau de chaleur, soit pour du chauffage urbain, soit pour un industriel proche. L’incinération n’est pas l’opération diabolique que certains voudraient faire croire.

Du point de vue de la réglementation européenne, dans la hiérarchie des modes de gestion des déchets, la première étape, c’est de produire le moins de déchets. Après, le mieux, c’est de réutiliser, puis de recycler, ensuite de valoriser sur le plan énergétique, et finalement de les enfouir. L’enfouissement, c’est vraiment la dernière étape de la hiérarchie des déchets, la moins bonne sur le plan environnemental.

La hausse de la TGAP est prévue depuis plusieurs années : les collectivités locales se sont-elles saisies du dossier ?

Il y a un peu tous les cas de figure. Pour la gestion des déchets, les élus dépendent des scrutins communaux, qu’ils soient dans un syndicat ou une intercommunalité. Ils sont susceptibles de changer tous les six ans, et parfois cela ne facilite pas la prise en compte des problèmes. Leur position n’est pas facile. Globalement, la gestion des déchets coûte de plus en plus cher. Quand on compare l’évolution du coût des déchets, en parallèle avec l’inflation, le coût des déchets augmente plus vite.

Pourquoi et comment l’est Cantal va continuer à enfouir ses déchets sur place ?

Il y a des élus qui s’intéressent au sujet et, pour la population, tout dépend de la facture qu’elle paye et la façon dont elle la perçoit. Pour que les déchets soient gérés correctement, il faut que le problème soit pris à bras-le-corps par les élus, et qu’ils communiquent, pour que la population comprenne.

Y a-t-il une baisse de déchets résiduels produits au niveau national ? 

Il y a depuis quelques années une légère baisse, mais qui n’est pas au niveau des objectifs fixés par la loi.

Dans le Cantal, nous en produisons environ 250 kg par an et par habitant.

C’est relativement élevé pour une zone rurale. Il y a des collectivités qui arrivent à être à 150, voire 100 kg par habitant.

Je ne veux donner de leçon à personne, mais une piste possible pour la réduction des coûts peut être la baisse des quantités de déchets résiduels, ce qui signifie d’augmenter la part des déchets triés, notamment via les déchetteries…

La question de la tarification incitative est régulièrement soulevée…

Je suis réservé : pour la mettre en place, il y a une logistique un peu complexe… Politiquement, ce n’est pas facile non plus. Elle peut avoir un côté anti-social. La Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom) est basée sur le foncier bâti, on paye moins cher pour un petit appartement que pour une grande maison. Il y a un côté social, même si c’est imparfait.

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La redevance incitative n’a aucun caractère social. On paye en fonction des déchets, que l’on soit riche ou pauvre. Cela peut créer des difficultés pour certains ménages. Il faut faire attention, et c’est ce qui fait que les élus sont réticents. Les inconvénients sont un peu gommés avec la Teom incitative, mais pas totalement.Il y a un dernier point : cela peut inciter à trier, mais aussi à mettre les déchets résiduels n’importe où, et l’on constate souvent le développement de dépôts sauvages, ou de brûlages sauvages.

Parfois, les intercommunalités mettent en place des années blanches, avec un message : “Si la tarification incitative était en place, voilà combien vous auriez payé.” On s’aperçoit que, déjà, les gens trient beaucoup mieux, parce qu’ils sont informés. Il suffit d’informer, faire plus de communication, et on a les effets positifs, sans les effets pervers. Si on donne les moyens pratiques et techniques de bien trier, la population le fait.

Propos recueillis par Pierre Chambaud et Romain Blanc