Sarah Halimi  : La communauté juive française proche du point de rupture


l’un des plus grands rassemblements communautaires depuis des décennies – a été déclenché par une décision rendue le 14 avril par la plus haute juridiction française.

Elle a affirmé que Kobili Traore, 31 ans, était inapte à être jugé car ce musulman avait fumé tellement de marijuana avant le meurtre de 2017 que cela l’avait rendu temporairement psychotique.

Sarah Halimi  : La communauté juive française proche du point de rupture

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Le meurtre d’Halimi, une médecin et directrice de crèche âgée de 65 ans, a rendu les Juifs français furieux parce qu’ils le considèrent largement comme le dernier d’une série de meurtres à motivation idéologique commis par des islamistes, qui ont coûté la vie à au moins 10 Juifs au cours de la dernière décennie.

Mais contrairement à de nombreuses manifestations antérieures de juifs français sur cette question, celle du 25 avril ne concernait pas du tout les antisémites.

Il s’agissait plutôt d’un cri contre les actions des autorités que les Juifs français considèrent presque unanimement comme des alliés précieux dans la lutte contre les djihadistes et autres personnes qui haïssent les Juifs.

Ce revirement thématique significatif est la moindre des choses qui me font penser au 25 avril comme à un événement marquant.

le 25 avril 2021.

(Cnaan Liphshiz/ JTA)

Cette communauté, que je croyais bien connaître, m’est soudain devenue méconnaissable.

Le caractère informel qui accompagne habituellement ces rassemblements a disparu. Comme les funérailles, il s’agit d’événements solennels mais sociaux pour les membres d’une communauté soudée où les retrouvailles sont réconfortantes – surtout après une année de confinement.

Les personnes que j’ai vues sur la place du Trocadéro n’étaient ni simplement tristes ni en colère. Elles étaient exaspérées, furieuses. Peut-être désespérées.

Et il y avait un nouveau sentiment dans ce mélange  : la résignation, que je n’avais jamais ressentie de manière aussi palpable auparavant au cours de mes 15 années de couverture du judaïsme français.

m’a dit un manifestant, un acteur du nom d’Anthony Sonigo, mais aussi dans les pancartes et les discours des organisateurs.

Des membres de la communauté juive française se rassemblent devant l’ambassade de France à Tel Aviv pour demander justice pour la défunte Sarah Halimi qui a été assassinée par son voisin dans son appartement à Paris, vue le 25 avril 2021.

(Avshalom Sassoni/Flash90)

C’était la première fois que j’assistais à un spectacle d’humour noir dans un cadre que j’ai l’habitude de voir dominé par des expressions d’unité et de détermination intransigeante.

Sur certaines des pancartes du rassemblement, on pouvait lire : « Un joint t’es relax, 10 joints t’es relaxé. »

Les vidéos diffusées sur un écran géant lors du rassemblement étaient également inhabituelles.

L’une d’elles est celle de Jacques Essebag, un humoriste juif français connu sous le nom de scène d’Arthur, qui annonce qu’il a « décidé de commencer à se droguer parce qu’en France, tu peux faire ce que tu veux, même tuer ta voisine si tu ne l’aimes pas, si tu te drogues. » Il a ensuite ajouté : « Qu’est devenu ce pays ? »

Une autre montrait quatre personnes en train de rire de façon maniaque et de marmonner « impossible, cela ne pourrait jamais arriver » pour souligner combien de Juifs français pensent que les jugements sur Traoré sont déraisonnables.

Ils soulignent les propres déclarations de Traoré au moment où il a tué Halimi, ainsi que sa fuite par la suite, comme preuve qu’il n’était pas fou.

Autre signe révélateur : les dizaines de drapeaux jaunes de la Ligue de défense juive, une organisation d’extrême droite considérée comme terroriste par le FBI. Ses symboles sont généralement interdits lors d’événements de la communauté juive, comme le rassemblement de dimanche.

J’ai également observé un véritable changement dans la façon dont l’allégeance à la France – et la possibilité de la quitter – était discutée. Au moins 50 000 Juifs français ont décidé de quitter la France pour Israël au cours de la dernière décennie. Cette immigration, appelée alyah en hébreu, a connu un pic après 2012, lorsqu’un jihadiste a assassiné Jonathan Sandler et deux de ses enfants, Gabriel, 3 ans, et Aryeh, 6 ans ainsi qu’une autre petite fille de 8 ans, Myriam Monsonégo en mars 2012 à l’école Ozar HaTorah de Toulouse.

Elle a bondi après qu’un autre terroriste jihadiste a tué en 2015 quatre autres Juifs dans un supermarché casher de Paris.

En 2016, après l’agression à l’arme blanche d’un Juif à Marseille, il a déclaré dans un discours que le simple fait de se demander s’il faut porter une kippa dans la rue en France « est problématique ».

Nous ne devons pas céder un pouce, et ni la France ni ses Juifs ne céderont jamais un pouce », a-t-il déclaré.

Bernard-Henry Levy prend la parole lors du rassemblement « Justice pour Sarah Halimi » à Paris, France, le 25 avril 2021. (Cnaan Liphshiz/ JTA)

Haïm Korsia, dont l’optimisme est la marque de fabrique, n’a pas répété ce message lors du rassemblement du 25 avril, préférant se contenter de réciter une prière de deuil pour Mme Halimi.

quel est notre avenir ? » Des dizaines de manifestants lui ont répondu en criant : « Alyah », déclenchant des rires.

Un tel fatalisme n’est pas caractéristique d’une communauté dont les événements sont habituellement empreints de pathos, y compris des expressions spontanées de patriotisme comme le chant de la Marseillaise, l’hymne national français.

Il s’agissait d’une expression réelle et choquante d’un développement récent qui s’est produit en ligne, dans lequel des personnalités de la communauté ont commencé pour la première fois à débattre de l’avenir de la minorité dans des articles d’opinion et sur les médias sociaux.

Joel Mergui prend la parole lors du rassemblement « Justice pour Sarah Halimi » à Paris, le 25 avril 2021. (Cnaan Liphshiz/ JTA)

Le discours de Joël Mergui, le président du Consistoire, l’organe du judaïsme français chargé des services religieux orthodoxes, était également sans précédent.

« Je comprends vos doutes et vos interrogations sur l’avenir, et je les partage », a-t-il dit. « Je ne sais même pas si je dois vous rassurer ou crier ma colère. Oui, criez votre colère  ! »

Le public a crié d’une manière que je n’avais jamais vue auparavant – ni lors des événements commémoratifs à Toulouse, ni devant le supermarché casher Hyper Cacher en 2015.

J’ai demandé aux manifestants si l’affaire Halimi avait changé leur perception de la France.

« Pas à elle seule », me dit l’une d’entre elles, Alice Levy, une étudiante de 18 ans originaire de la région parisienne.

Mais désillusionnés. »

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