Sébastien Lecornu redonne à la DGA le rôle de meneur de jeu de l’industrie d’armement


Une DGA martyrisée ! Une DGA outragée ! Mais une DGA libérée ! En visite jeudi dernier sur le site de la Direction générale de l’armement (DGA) « Maîtrise NRBC » à Vert-le-Petit, le ministre des Armées Sébastien Lecornu, qui aurait pu paraphraser le général de Gaulle, a tenu un discours véritable fondateur pour la DGA. Une DGA qui a progressivement été depuis trente ans marginalisée, rabougrie, sous-estimée, voire moquée en France pour son coût et son inutilité à partir de l’arrivée de Jean-Yves Helmer (1996-2001). Cette ère est terminée. En tant que gaulliste assumé, Sébastien Lecornu souhaite renouer « avec la force conceptuelle initiale de la DGA, telle qu’elle a été voulue dans les années 60 : revenons à la quête d’audace, de transgression, de prise de risque qui ont engendré quelques échecs mais qui ont été la condition de tous les grands succès ».

« Il nous faut donc renouer avec le sentiment de l’urgence, sans renoncer, bien au contraire, à l’excellence technologique et industrielle qui fait votre identité et notre fierté. Je vous demande de renouer avec la prise de risques, oser parier sur les innovations qui feront la différence demain, et se les approprier au plus vite », a lancé le ministre des Armées aux personnels de la DGA.

Une feuille de route ambitieuse et séduisante

C’est une feuille de route ambitieuse, qui va bousculer une DGA, à qui on a demandé pendant plusieurs décennies de limiter les risques pour éviter les surcoûts liés aux échecs. A la DGA, « dernier refuge au sein de l’État des ingénieurs, techniciens et des ouvriers de haute technicité », de saisir cette opportunité de devenir un meneur de jeu créatif et efficace au sein de la base industrielle et technologique de défense (BITD). A Sébastien Lecornu et à ses successeurs d’accepter également quelques échecs inhérents à une politique axée sur la prise de risques. Car, selon le ministre, pour être au « rendez-vous des défis technologiques et industriels de demain » dans la défense, il faut que la DGA renoue « avec l’audace » au moment où les transformations numériques, l’intelligence artificielle et bientôt les technologies quantiques transforment et vont transformer encore le champ de bataille.Cra

« Je ne doute pas un instant que si nous ne réagissons pas rapidement et fermement, la France deviendra, technologiquement, spectatrice d’un monde qui se réarmera trop vite pour elle », a-t-il expliqué.

Une DGA trop bridée

Pour retrouver l’audace à la DGA, qui reste une organisation enviée dans le monde, il faut un « changement culturel » des ingénieurs de l’armement, comme l’a souligné le Délégué général pour l’armement (DGA), Emmanuel Chiva auditionné la semaine dernière par commission de la défense de l’Assemblée nationale. Le ministre évoque également une audace que « l’on bride parfois par des processus décisionnels trop compliqués, par trop de comitologie et par une pyramide hiérarchique parfois trop pesante ». La DGA devra notamment prendre des mesures pour réduire les exigences de documentation qu’elle demande aux industriels matures techniquement, et pour limiter les spécifications techniques attendues quand elles sont inutiles, redondantes ou statiques. La DGA devrait par ailleurs alléger les processus d’acceptation des matériels livrés quand la performance industrielle a été démontrée, de vérifications systématiques vers un système de vérification par échantillonnage. Le ministre, qui a dévoilé un nouveau plan pour la DGA, a été clair, très clair : « Lorsqu’une norme civile vous empêche de poursuivre votre programme, si vous jugez son application absurde, vous avez désormais le pouvoir et même le devoir de proposer de la contourner » ; « Au regard de l’urgence, ce qui sera répréhensible désormais, sera de perdre du temps – quand la comitologie devient inefficace, superflue, lente et qu’elle ralentit l’initiative et la prise de risque ». la DGA doit donc se mettre en position de contourner certaines normes civiles, quand celles-ci nuisent au bon déroulement des programmes, dans le respect des enjeux environnementaux et de sécurité.

« Au regard du contexte sécuritaire mais aussi budgétaire, ce qui sera répréhensible désormais, sera de gaspiller de l’argent, par exemple en demandant des documentations superflues aux industriels qui ont démontré leur maturité, en imposant des spécifications inutiles, redondantes ou statiques dans les programmes », a expliqué le ministre.

Haro sur la comitologie et les procédures ! La nouvelle feuille de route du Délégué est donc très claire pour redonner de la liberté d’action et d’innovation à la DGA : réduire la comitologie et les procédures, favoriser l’autonomie des différents échelons de la DGA, notamment des directeurs de programmes, et refonder les corps de l’armement pour les moderniser et les rendre plus attractifs. Sébastien Lecornu demande à Emmanuel Chiva « de mettre en place les conditions pour redonner de la liberté d’action aux directeurs de programmes, en réduisant la comitologie interne au ministère, en leur redonnant la responsabilité de gérer les ressources fléchées vers leurs programmes, mais également en leur donnant plus d’autonomie vis-à-vis de leurs chefs. Cette instruction que je vous donne devra s’appliquer à tous les programmes, et avec encore plus de forces pour les plus petits d’entre eux pour lesquels leur délégation de signature devra être renforcée ». Cette liberté d’action et de responsabilisation des directeurs de programme, en particulier concernant les petits programmes innovants passent par une comitologie réduite, une responsabilité sur les ressources allouées et des délégations de signature. Qui dit liberté, dit risques. « Vos chefs devront incarner cette prise de risque, tout autant que le devoir de protection des subordonnés », a souligné le ministre. Pour la protection des agents contre les risques juridiques, la DGA devra mettre en place des formations et protéger les agents par un soutien de la hiérarchie.

Une DGA stratège

Après une première réforme (Impulsion) mise en œuvre ces deux dernières années à la DGA, ce nouveau plan constitue donc la deuxième partie de l’entrée en économie de guerre de la BITD française. Le ministre demande aux personnels de la DGA de s’intéresser « à nouveau, plus encore que ces deux dernières années, aux enjeux de production, de délais et de coûts ». Cela passe par la poursuite de l’effort initié il y a deux ans sur les questions de cadence, de délais et de coûts de production des systèmes d’armes. La DGA a créé une direction de l’industrie de défense qui n’existait pas « pour mieux mesurer, pour mieux accompagner, pour mieux optimiser la performance industrielle », a expliqué Emmanuel Chiva à l’Assemblée nationale.

Avec l’économie de guerre, « la démarche capacitaire gagne à avoir une DGA qui réaffirme clairement son rôle de stratège industriel pour la base industrielle et technologique de défense en structurant les filières, en suivant la production, cela veut dire là aussi faire une cartographie nous permettant de résoudre le maximum de goulets d’étranglement au sein de notre écosystème », a martelé devant les députés le Délégué général pour l’armement.

La DGA est également en train de reprendre un rôle de maître d’oeuvre. Car pour Emmanuel Chiva, « la maîtrise d’ouvrage n’est parfois plus suffisante pour nous permettre d’assurer l’effet militaire recherché. Et donc il y a des domaines où la DGA doit redevenir maître d’œuvre et non plus maître d’ouvrage du système de défense ». Cela veut dire réintroduire des capacités d’ingénierie pour piloter « de manière cohérente et de manière coordonnée l’ensemble des opérations contributrices aux effets militaires nécessaires à la réalisation d’une mission donnée ». C’est déjà le cas dans les domaines de la connectivité aéronautique, de la connectivité terrestre et du combat aéroterrestre. Ce sera également à terme dans le domaine aéronaval et aéronautique.