C’est la première fois que Brigitte Macron lui pose directement la question. Mi-juillet dernier, l’épouse du chef de l’État déjeune avec Rachida Dati. Les deux femmes se connaissent bien ; elles s’apprécient, même.
En ce début d’été, un remaniement du gouvernement Borne approche. La première dame sonde alors la patronne des Républicains à Paris. Dans le chambardement qui vient, n’aurait-elle pas envie de quelque chose ? Son invitée lui répond que les municipales dans la capitale en 2026 sont sa priorité.
Leurs agapes terminées, Brigitte Macron raccompagne à sa voiture cette éternelle fidèle de Nicolas Sarkozy, que le président a pris soin de passer saluer quelques minutes. Dans la cour de l’Élysée, elles discutent encore, au vu et au su de tous. Avant de partir, l’ex-garde des Sceaux précise que si sa réflexion évolue, elle prendra contact avec Alexis Kohler, le secrétaire général du palais.
La maîtresse des lieux lui demande plutôt d’envoyer un SMS à son mari. Élisabeth Borne, histoire d’une occasion manquée Jeudi, un peu plus de cinq mois plus tard, celui-ci a fait de Rachida Dati sa ministre de la Culture, assommant ainsi LR. Dans l’opération « régénération » qu’a lancée le chef de l’État pour retrouver de l’oxygène dans ce quinquennat si compliqué, c’est son deuxième coup d’éclat en moins de quarante-huit heures.
Le premier a été son choix pour Matignon : à 34 ans, Gabriel Attal est ainsi devenu le plus jeune Premier ministre de la Ve République. La promotion de l’étoile montante de la Macronie, que personne n’avait vue venir, a rebattu toutes les cartes dans la majorité. En une semaine, Emmanuel Macron aura pris un malin plaisir à tout dynamiter.
Le président en mode camouflage
Bonne année ! Le 2 janvier, en fin de journée, Alexis Kohler appelle Gabriel Attal. Le bras droit du président a une commande à lui passer. Le président a de grandes envies de changement et voudrait que son ministre de l’Éducation y réfléchisse.
Le trentenaire comprend immédiatement. Au fond de lui, est-il vraiment étonné ? En tout cas, il s’attelle immédiatement à ce travail avec sa directrice de cabinet, Fanny Anor, et son conseiller spécial, Maxime Cordier, les seuls qu’il met dans la confidence. Parallèlement, il consulte quelques hommes de confiance du chef de l’État pour tenter de percer l’état d’esprit de celui-ci.
Le jeudi 4, Gabriel Attal est convoqué par Emmanuel Macron rue du Faubourg-Saint-Honoré pour discuter concrètement des choses. Il n’est pas venu les mains vides : il a avec lui une ébauche de liste de ministres. Plusieurs fois, ils rediscutent au téléphone.
Le lundi, la décision du locataire de l’Élysée sera définitivement prise. Dans cette affaire, Emmanuel Macron aura opéré de manière camouflée. En 2022, au lendemain de sa réélection, ses plans avaient été contrecarrés.
À Matignon, il voulait nommer une élue de terrain de droite, Catherine Vautrin. La rébellion suscitée chez les macronistes historiques par cette perspective l’avait contraint à désigner une techno de gauche, Élisabeth Borne, avec qui au final il ne s’est jamais vraiment entendu. Cette fois, il n’a pas l’intention d’être pareillement entravé.
Comme favoris pour Matignon, ce sont les noms de Sébastien Lecornu et de Julien Denormandie qui occupent médias et conversations. Jusqu’où sont-ils des leurres ? Le ministre des Armées ne sera en effet jamais une option vraiment envisagée. S’il voit le président au début de janvier, c’est pour évoquer l’Ukraine et le Proche-Orient afin de préparer les séquences à venir sur ces sujets.
L’hypothèse d’une promotion de l’ex-ministre de l’Agriculture est, elle, davantage explorée. Mais ce macroniste historique ne verra le président que le lundi 8 janvier, alors que le choix de Gabriel Attal est pratiquement arrêté. Lorsqu’il le comprendra, il en sera fort marri.
L’ « attalisme » selon Alexis Corbière
En 1984, quand François Mitterrand avait désigné Laurent Fabius (37 ans) comme Premier ministre et fait ainsi le choix de la rupture générationnelle, il était un chef de l’État qui entendait bien se représenter. Son lointain successeur n’a pas cette possibilité. Pour Emmanuel Macron, ce deuxième mandat sera le dernier.
Pour échapper à une fin de règne précoce, il a néanmoins une haie essentielle à passer : les élections européennes du 9 juin. Or, depuis la fin de l’automne, la situation est devenue très inquiétante pour son camp. Dans les sondages, l’écart ne cesse de se creuser entre la liste du Rassemblement national, emmenée par Jordan Bardella, et celle la majorité (selon l’enquête Elabe-La Tribune Dimanche-BFMTV réalisée cette semaine, ce sont même désormais 10,5 points qui les séparent).
Tenter de rattraper ce retard : dans tous les choix qu’il s’apprête à opérer, c’est d’abord ce qui guide Emmanuel Macron. Pourquoi donc ne pas exploiter à cet effet la popularité de Gabriel Attal ? Dans l’opinion, celui-ci a connu une ascension fulgurante depuis qu’il a été nommé cinq mois plus tôt Rue de Grenelle. Sur le fond, le jeune macroniste a aussi cranté quelque chose.
« L' »attalisme », c’est la nostalgie d’une école imaginaire », dénonce Alexis Corbière le 17 décembre dans La Tribune Dimanche. Quelques jours plus tard, Gabriel Attal croise le député LFI. Il le remercie chaleureusement d’avoir été le premier à utiliser ce concept.
Pour Emmanuel Macron, sa promotion Rue de Varenne est une petite révolution personnelle. Jusqu’alors, il n’avait fait le choix que de Premiers ministres inconnus des Français à leur nomination. Ce n’est pas le cas du trentenaire.
Par le passé, le président a également d’abord cherché à ce poste un collaborateur. En optant pour un jeune ambitieux, il acte que ce n’est plus ce qu’il souhaite. Si, depuis le début de ce mandat, l’éducation a été décrétée domaine réservé du président, Gabriel Attal est parvenu Rue de Grenelle à s’en arranger afin d’exister et de mener ses chantiers comme il l’entendait.
« Ce sera un duo qui va fonctionner comme tel et de manière très V e République, assure-t-on à l’Élysée. Ce que le chef de l’État veut instaurer, c’est de Gaulle-Pompidou. Il a choisi Gabriel Attal pour cela.
»
La com, c’est la base !
Dans la majorité, cette nomination est aussi une petite implosion. Richard Ferrand la prend mal : l’ex-président de l’Assemblée nationale, qui a pourtant l’oreille du président, militait pour Julien Denormandie. C’était aussi le cas de François Bayrou.
« Il faut que le Premier ministre soit quelqu’un qui soit entendu », répétait depuis des semaines le leader du MoDem au chef de l’État. Si celui-ci l’a, à sa manière, entendu, il n’imaginait pas que ce serait pour choisir le représentant d’une génération qui pense, à son grand désarroi, que la com est la base de tout. Les poids lourds du gouvernement, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, sont aussi déstabilisés : le premier l’été précédent, le second cet hiver se seraient bien vus prendre la place d’Élisabeth Borne.
Emmanuel Macron a décidé de tous les brusquer. Désormais, il est convaincu que la seule solution pour lui est de tout bousculer. L’issue du texte sur l’immigration a fini de le convaincre.
Le 12 décembre, au lendemain de son rejet à l’Assemblée, il a convoqué un dîner à l’Élysée. Devant la vingtaine de ministres et figures de la Macronie, il déplore que, comme sur les retraites, on lui ait demandé d’aller moins vite qu’il le souhaitait, déplorant que ce temps supplémentaire n’ait pas servi à grand-chose. Emmanuel Macron, l’affranchi
Rachida Dati, sacrée prise de guerre
Un mois plus tard, ils sont bien moins nombreux dans le salon vert du palais de la rue du Faubourg-Saint-Honoré.
C’est là que le chef de l’État a décidé de réunir dorénavant le Conseil des ministres. Aux quatorze membres du gouvernement Attal, il demande d’être des « révolutionnaires ». Pour cela, il leur recommande notamment de changer leurs directeurs d’administration centrale et leur cabinet.
Autour de la table, Éric Dupond-Moretti, reconduit Place Vendôme, a à sa gauche une nouvelle venue avec qui il rigole. Rachida Dati est devenue ministre de la Culture. Le chef de l’État n’en est pas peu fier.
C’est lui-même qui a mené l’opération. La cheffe des Républicains à Paris est une « sacrée prise de guerre », répètent ses proches. Le 12 décembre, lors du dîner de la majorité, il avait glissé une autre remarque, alors que Les Républicains étaient à l’origine des déboires de l’exécutif.
« On est le petit lapin dans les phares, avait-il noté. Les LR sont derrière le fusil et ils ont décidé de nous faire courir. » La position du chasseur est toujours plus confortable.
Un mois plus tard, il a tiré sa cartouche. En opérant ainsi, il a changé de doctrine. En juin 2022, au lendemain de législatives qui ne s’étaient pas bien passées pour la majorité, il avait suivi le conseil de Christian Jacob, alors patron de LR, et de Gérard Larcher, le président du Sénat, de ne plus débaucher dans leurs rangs, car cela braquerait leurs députés.
En juillet 2023, lors du remaniement du gouvernement Borne, il avait fait de même. Cette fois, il a changé ses plans. Mardi soir, il a informé Gabriel Attal de l’idée décoiffante qui était la sienne.
L’arrivée de Rachida Dati, la nomination de Catherine Vautrin au ministère du Travail et de la Santé, le maintien à leur poste de Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu ont donné une coloration très droitière au gouvernement. Quand les noms de la ministre de la Culture et de celle du Travail sont sortis, Aurélien Rousseau, qui, en désaccord avec la loi sur l’immigration, avait démissionné en décembre de la Santé, a envoyé un message au locataire de la Place Beauvau : « Je savais que tu finirais à la gauche du gouvernement. » Depuis, au sein de la majorité, ça tangue.
Demain, le chef de l’État réunira les parlementaires de son camp afin de les rassurer et de leur présenter le nouveau gouvernement. Mardi, il prendra la parole devant les Français. Emmanuel Macron est ravi de son big bang.