Le Sénat lance une mission d’information sur la société commerciale de la Ligue de football professionnel


 « Nous voulons savoir quelle plus-value cette société apporte pour les clubs d’un point de vue commercial, technique et dans le développement de l’attractivité du championnat de France à l’étranger », déclare Laurent Lafon, sénateur centriste et président de la commission. La création d’une société commerciale par la Ligue de football professionnel (LFP) et la cession de 13,04 % des parts de la société au fonds d’investissement luxembourgeois, CVC, suscite des réactions mitigées. La société créée, LFP Media, est chargée de commercialiser les droits TV des championnats professionnels de football en France (Ligue 1 et Ligue 2).

En achetant des parts de cette société pour 1,5 milliard d’euros, CVC récupère une partie du montant versé par les diffuseurs pour retransmettre les matchs de Ligue 1 et de Ligue 2. Sur les 1,5 milliard d’euros déboursés par le fonds d’investissement, 1,130 milliard sont directement destinés aux clubs. La répartition des sommes se fait selon des tranches définies en fonction du prestige sportif des clubs et vont de 200 millions d’euros pour le PSG à 3 millions d’euros pour les clubs de Ligue 2.

Ce mode de répartition est contesté en justice par le club du Havre, qui s’estime lésé par le mode de répartition des fonds acté par la LFP. En effet, promu en Ligue 1 après plusieurs années en Ligue 2, Le Havre ne pourrait, selon la méthode de répartition actuelle, toucher que la somme destinée aux clubs de Ligue 2, une rupture d’égalité selon le club normand.Cet accord, qualifié d’historique pour le football français, a été rendu possible par l’adoption de la loi sur la démocratisation du sport, qui permet notamment la création d’une société commerciale, promulguée le 3 mars 2022.

Si l’accord entre la LFP et CVC a été présenté comme permettant de « sauver » le football français en proie à de nombreuses difficultés financières après la crise du covid-19 et l’arrêt du championnat de Ligue 1, la cession des parts pose la question de la viabilité du modèle économique des clubs de football professionnels. En effet, les clubs professionnels tirent la majeure partie de leurs revenus des droits TV.

 « Vérifier si les objectifs présentés il y a deux ans dans la loi sur la démocratisation du sport ont été atteints »

Contacté par publicsenat.

fr, le président de la commission de l’éducation de la culture et des sports, Laurent Lafon, confirme que la mission d’information vise à « vérifier si les objectifs présentés il y a deux ans dans la loi sur la démocratisation du sport ont été atteints, conformément au rôle de contrôle du Sénat ». Si le principe de la mission d’information a d’ores et déjà été acté en conférence des présidents, Laurent Lafon informe avoir fait la demande pour être doté des pouvoirs d’une commission d’enquête afin de « pouvoir auditionner le plus largement possible ». Par ailleurs, Laurent Lafon souligne que le principe de cette mission d’information « est partagé par tous les groupes ».

Quel modèle économique pour la société commerciale ?

Alors qu’un nombre croissant de fonds s’intéresse aux sports européens (CVC détient également des parts de la société commerciale du championnat de football espagnol et du championnat de rugby anglais), cette tendance pose la question des conséquences sur le modèle économique du sport européen. « Pour CVC c’est un excellent investissement, quand vous achetez des actions dans une entreprise vous êtes, habituellement, payés sur les dividendes, là, CVC va avoir droit à 13 % des revenus générés par la société commerciale « explique Luc Arrondel, économiste du sport, directeur de recherche au CNRS et auteur de « L’argent du football », paru en 2022 aux éditions Rue d’Ulm. Un accord lucratif donc pour CVC dont le contrat n’est pas limité dans le temps contrairement au cas espagnol.

« En Espagne, le contrat a été conclu pour une durée de 50 ans et c’est une des raisons pour laquelle des clubs comme le Real Madrid ou le FC Barcelone ont refusé d’y prendre part », continue l’économiste.Parmi les éléments ciblés par Laurent Lafon, il invite à « être vigilant sur la rémunération sans limite de temps » prévue par le contrat entre la LFP et CVC. Parfois qualifiée de « contrat à vie », la cession des parts de la société commerciale de la LFP revêt en réalité une forme différente.

« Ce n’est pas un contrat à vie puisque CVC est devenu actionnaire et donc le fonds peut conserver ces parts le temps qu’il veut, ou les vendre », analyse Luc Arrondel avant d’ajouter que « le modèle économique de ce type de fonds consiste à revendre à moyen terme en tablant sur une plus-value à la revente ». En cas de revente des parts, la LFP serait libre de les racheter.

 « Les diffuseurs sont de moins en moins intéressés par les droits TV du football »

Néanmoins, en cas de baisse des revenus liés aux droits TV, l’opération conclue avec CVC pourrait fragiliser la santé financière des clubs français.

« L’accord a été conclu après la crise du covid-19 où les clubs avaient besoin de liquidités, l’autre solution était d’emprunter », rappelle Luc Arrondel. Alors que les droits TV annuels pour la diffusion du championnat de France de Ligue 1 s’élèvent à 668 millions d’euros, une augmentation de cette somme n’a rien d’une d’évidence. Si le président de la LFP, Vincent Labrune avait annoncé viser le milliard d’euros pour la période 2024-2029, l’appel d’offres de la LFP n’a pas trouvé preneur.

Avec un prix plancher fixé à 800 millions d’euros pour l’ensemble des lots, aucun diffuseur n’a souhaité enchérir. La LFP doit désormais négocier directement le prix de ses lots avec les potentiels diffuseurs. « Les diffuseurs sont de moins en moins intéressés par les droits TV du football, la demande est en baisse, par ailleurs dans les négociations de gré à gré le prix final est souvent inférieur au plancher prévu par l’appel d’offres », souligne Luc Arrondel.

Alors que le diffuseur historique du football français, Canal +, semble se désintéresser de la Ligue 1, Bein sport, propriété du Qatar, pourrait se positionner sur plusieurs lots. « Si Bein sport acquiert les droits TV, il y a un risque de conflit d’intérêts avec le PSG qui est détenu par le Qatar. Cela pourrait être une manière d’augmenter artificiellement le montant des droits TV », note Luc Arrondel.

« La création de la société commerciale avait pour objectif de développer les droits audiovisuels du championnat, notamment à l’étranger, en s’appuyant sur le savoir-faire d’une société spécialisée », rappelle Laurent Lafon. Attendu d’ici six mois, le rapport de la Mission d’information devrait pouvoir traiter cette question dans le détail.