Des conducteurs qui se rabattent sur moi, ou qui ouvrent la fenêtre pour m’insulter, ça m’arrive deux à trois fois par mois , déplore Cécile Reynaud. Cette infirmière parcourt chaque jour 14 kilomètres à vélo pour rejoindre l’hôpital de Longjumeau (Essonne), où elle travaille. Après vingt ans de trajets quotidiens à vélo, elle ne compte plus les altercations avec des automobilistes.
> La question du jour. Cycliste tué à Paris : vous sentez-vous en sécurité sur la route ? Pour répondre, utilisez la fenêtre ci-dessous ou cliquez sur ce lien.
Des différends qui s’enveniment parfois très vite : Un jour, j’ai fait remarquer poliment à un conducteur qu’il m’avait frôlée en me doublant. Il m’a poursuivie, a pris un rond-point à contresens pour me bloquer la route. Il a commencé à sortir de sa voiture, menaçant. Je me suis mise à filmer, c’est ce qui l’a arrêté . Ces incidents répétés inquiètent cette cycliste aguerrie.
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226 cyclistes tués en 2023 en France
Si la pratique du vélo ne décolle pas davantage, c’est parce que les gens ne se sentent pas suffisamment en sécurité. C’est le frein majeur , explique Camille Thomé, directrice de l’association Vélo & Territoires.
En 2023, 226 cyclistes ont été tués sur les routes de France, soit 18 % de plus qu’en 2019. Le chiffre augmente moins vite que la pratique du vélo, elle aussi en hausse, mais ce bilan est encore insatisfaisant , estime Camille Thomé.
Voies cyclables partagées avec les bus, pistes qui s’arrêtent brutalement ou intersections dangereuses : pour certaines associations, ce sont d’abord les infrastructures qui manquent.
Ces dernières années, on a progressé, notamment à Paris, mais on reste très loin du compte , estime Olivier Schneider, de la Fédération française des usagers de la bicyclette.
Des chantiers coûteux
Dans la capitale, même des aménagements récents ne sont pas toujours bien pensés , déplore la cheffe de l’opposition MoDem au Conseil de Paris, Maud Gatel.
Les chantiers sont longs et coûteux : la mairie prévoit d’investir 250 millions d’euros en cinq ans, pour atteindre 430 kilomètres de pistes protégées dans la capitale d’ici 2026.
Malgré ces efforts, l’adjoint en charge des transports David Belliard reconnaît que certaines infrastructures livrées il y a quatre ou cinq ans ne sont plus dimensionnées, victimes de leur succès .
Pour l’adjoint en charge des transports à Paris, la seule solution pour apaiser le partage de la route : « réduire encore la place de la voiture » (photo d’illustration). | CO – RÉGINE LEMARCHAND
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Pour l’adjoint en charge des transports à Paris, la seule solution pour apaiser le partage de la route : « réduire encore la place de la voiture » (photo d’illustration). | CO – RÉGINE LEMARCHAND
« Bataille pour le territoire »
À Paris, plus de 8 % des déplacements se font à vélo, bien plus que la moyenne nationale. Là où les cyclistes sont plus nombreux, les automobilistes font plus attention , rassure Alexis Frémeaux, président de l’association Mieux se déplacer à bicyclette.
Pour lui, si le partage de la route reste conflictuel, c’est avant tout parce que les automobilistes connaissent mal certaines nouvelles règles liées au vélo : Par exemple, le chevauchement d’une ligne blanche, qui est maintenant autorisé pour doubler un cycliste .
Dans des villes de plus en plus denses, le psychologue Jean-Pascal Assailly voit dans ces tensions une bataille pour le territoire plutôt qu’un partage de la route. « La voiture est une bulle où l’on passe beaucoup de temps, une seconde maison. Vous êtes coupé du monde extérieur, et ça favorise l’agressivité «, remarque-t-il.
Réduire la place de la voiture ?
Une frénésie urbaine impossible à pacifier ? Pour l’adjoint à la mairie de Paris David Belliard, la seule solution est de réduire encore la place de la voiture : libérer de l’espace pour les vélos et piétons, et apaiser le rythme de la circulation.
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Mettre dos à dos cyclistes et voitures, c’est stupide , réplique Pierre Chasseray, de 40 millions d’automobilistes. À Paris, je suis moi-même cycliste. Les vélos mal entretenus, le non-respect de la signalisation sont rarement verbalisés, or on ne pardonnerait pas cela à un automobiliste, à raison , estime-t-il. Il appelle à renforcer l’enseignement des règles de sécurité à vélo dès l’école.
Jean-Pascal Assailly soutient aussi des approches préventives et éducatives , notamment sur » les stéréotypes de la masculinité «, qui favorisent selon lui les infractions. En 2023, en France, 83 % des responsables présumés d’un accident mortel étaient des hommes, selon la Sécurité routière.