Dans le monde de la voile, où se disputent records de vitesse et prouesses technologiques, le breton repousse les possibles dans un style minimaliste à bord de son voilier de… quatre mètres seulement.
Le 8 mai dernier, le navigateur breton Yann Quenet quittait la Nouvelle-Calédonie et partait à l’assaut de l’étape la plus longue et la plus incertaine de son tour du monde en voilier. Un message laconique posté ce dimanche sur les réseaux a permis de rassurer sur l’état de santé du marin et la bonne poursuite de son périple. « Hello tout le monde, Je passe actuellement devant l’île Rodrigues, 72 jours sans toucher terre, ça se passe plutôt pas mal même sans pilote et sans batteries, arrivée prévue à la Réunion dans quatre à cinq jours yeah ».Derrière ces quelques mots sans fioriture, se cache pourtant un exploit hors normes où les superlatifs de mise se heurtent au style volontairement ascétique du principal protagoniste de cette aventure particulièrement originale. On retiendra simplement que ce que vient déjà de réaliser Yann Quenet est incroyable.Le quinquagénaire originaire des Côtes d’Armor, s’est fixé pour objectif de réaliser un tour du monde à la voile sur un navire de sa conception, dont la taille ne dépasse que de peu celle d’une barque de pêche. Pour vous donner une idée de l’affaire, le skipper avait prévu initialement de faire halte en Australie et de traverser l’île-continent en mettant son embarcation sur le toit d’une voiture. C’est vous dire si la petite embarcation relève bien d’un format passe-partout. Mais la crise du covid en aura finalement décidé autrement, et c’est en Nouvelle-Calédonie que « Baluchon » a attendu patiemment la fin de la saison cyclonique pour reprendre sa route par voie maritime.Parti de Lisbonne en mai 2019, le navigateur a fait auparavant un arrêt aux Canaries avant de traverser l’Atlantique. Gadeloupe et Panama dans son sillage, c’est le Pacifique qui s’ouvre devant l’insubmersible voilier de poche. Après une escale de quelques semaines en Polynésie, Yann Quenet reprend sa route le 4 septembre 2020 à destination de Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Il y restera à l’abri du gros temps et des cyclones de l’été austral, pour embrayer avec la navigation qui l’amène désormais sous nos latitudes.Un voyage ininterrompue de près de 80 jours entre la Nouvelle-Calédonie et La Réunion, pour s’affranchir des quelques 13 000 kilomètres qui séparent les deux îles. Et un nouveau tour de force qui laisse pantois nombre de passionnés ou de grands noms de la voile, et vient s’ajouter au près de 20 000 kilomètres déjà parcourus par l’atypique aventurier.
Little big sailor
Car ils sont nombreux en France, et désormais partout dans le monde, à suivre les prouesses de ce « bouchon flottant » comme le décrit lui-même son concepteur et propriétaire. Il y a donc du soulagement de savoir le marin breton en forme et en passe de tenir son pari de rejoindre la Réunion en traçant une grande ligne droite à travers l’Indien. Celui-ci n’avait plus donné de nouvelles depuis son passage dans le détroit de Torres, entre le nord de l’Australie et le sud de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. « Je passe actuellement devant l’île du prince de Galles en Australie , j’ai un peu de réseau pour un court moment », notait Yann Quenet, le 27 mai dernier, précisant néanmoins avoir deux batteries hors d’usage. « Plus d’elec pour le pilote donc mais j’ai bricolé à l’arrache une grosse girouette qui fait le job pas trop mal, mais je vais moins vite que prévu, ça risque de prendre un peu plus de temps… ».Parce que sur un bateau de quatre mètres de long, chaque appareil, chaque élément, chaque charge supplémentaire est évidemment minutieusement comptée. Idem pour l’eau et la nourriture qui représentent évidemment une partie considérable du lest indispensable à ce genre de traversée. Un avitaillement encombrant pour le petit cockpit, où la couchette occupe déjà plus de la moitié de la place disponible à vide. Une équation délicate… « Plus tu charges le bateau, moins tu vas vite et moins tu vas vite plus tu mets longtemps… et plus il te faut d’avitaillement ! », expliquait le navigateur à nos confrères de Voiles et Voiliers à l’aube de son départ. Une contradiction que l’homme a résolu en se ravitaillant avec les moyens du bord au cours de sa longue route. Un ingénieux système de bâche lui a notamment permis de récupérer de l’eau de pluie pour éviter la déshydratation, la pêche permettant d’économiser ses provisions. En tout et pour tout, le départ s’est fait avec environ 300 kilos de produits consommables pour un bateau qui en pèse à peine 400.
Objectif 2022
il y a en contrepartie quelques avantages de taille. « Je peux faire face à beaucoup de situations assez facilement sur Baluchon. Je peux m’en sortir avec un couteau suisse et quelques bouts de ficelle ». Sur le mini-voilier, pas de moteur et pas de passe coque (élément permettant une entrée ou une sortie d’eau sous la ligne de flottaison), et un gréement très simple. « Il n’y a rien qui peut casser, ou c’est toujours facilement réparable ».
où il devrait rester quelques semaines pour préparer la suite des événements. Le plan initial prévoyait un passage du cap de Bonne-Espérance pour la fin 2021 et un retour à Saint-Brieuc, ville de départ, dans le courant de l’année 2022.
Julien Georget
Chiffres …
4 mètres, c’est la taille de Baluchon. Certainement le plus petit voilier jamais embarqué dans un tour du monde en solitaire avec escales. 400 heures, c’est le temps de travail qu’il a fallu pour concevoir et construire Baluchon.400 kilos, c’est le poids à vide de Baluchon.4000 euros, c’est le budget que s’est accordé Yann Quenet pour construire son bateau.40 000 kms/45 000 kms, c’est environ le nombre de kilomètres qu’aura parcouru Baluchon à la fin de son tour du monde.
Yann Quenet et ses « bateaux bizarres »
ainsi que sur un design épuré et fonctionnel », peut-on lire sur le site de son chantier. Tout un programme, qui n’a plus rien de surréaliste désormais.
Le coup de chapeau du pro
c’est l’Optimist de la course au large », résume Yvan Bourgnon, en référence au petit dériveur conçu au lendemain de la seconde guerre mondiale sur lequel les jeunes mousses font encore aujourd’hui leurs premières gammes. « Non seulement il a tout fait lui-même depuis le premier coup de crayon, mais en plus, on ne peut pas faire le tour du monde de manière plus écolo (.) C’est énorme ce qu’il est en train de réaliser ».
Ce projet de tour du monde, pour déraisonnable qu’il peut paraitre, prend sa place après une première tentative qui s’était avérée bien moins concluante. Quelques années plus tôt, Yann Quenet s’était en effet déjà lancé dans un tour du monde à la voile, à bord d’un dériveur légèrement plus long de 35 centimètres. Trop large dans sa conception, la première version du Baluchon s’était retournée entre l’Espagne et le Cap-Vert. « Il n’a pas pu sortir son radeau de survie et s’est retrouvé en slip sur son bateau retourné à attendre qu’un cargo réponde au déclenchement de sa balise de détresse », confiait son ami Jérôme Delaunay à nos confrères de Voiles et Violiersà ce propos. Yann Quenet sera finalement secouru par un bateau portugais au bout de 48 heures. « Mais il voulait repartir aussitôt ! C’est une vraie tête brûlée ! Je lui ai alors proposé de refaire les calculs de son premier bateau et nous nous sommes rendu compte qu’il n’était pas redressable. Donc nous avons décidé de réfléchir à un engin de 4 mètres qui puisse répondre aux critères hauturiers. Du coup nous avons imaginé un petit quillard assez étroit et assez lourd, capable de se remettre tout seul à l’endroit, même rempli d’eau ».Cinq ans plus tard, le quinquagénaire reprenait son tour du monde où il l’avait laissé la première fois. Et ce sera bientôt depuis La Réunion qu’il contemplera le chemin déjà parcouru.