Streameuses Twitch et harcèlement : Un état des lieux alarmant...


Sur Twitter, une vague de témoignages de streameuses a récemment émergé suite à un thread de Maghla montrant les atrocités auxquelles elle est confrontée quotidiennement. Aujourd’hui, on vous propose de découvrir ce que cela fait au quotidien de subir ce harcèlement et comment l’endiguer. Spoiler alert : le pouvoir est, en partie, entre vos mains !

menaces de viol harcèlement en ligne ou dans la vraie vie… Elle y dévoile en détails toutes les immondices qu’elle vit au quotidien Cela fait des mois

Streameuses Twitch et harcèlement : Un état des lieux alarmant...

Sommaire

  • Vis ma vie de streameuse sur Twitch
  • Twitch, pire plateforme pour les créatrices de contenu ?
  • Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Petit point sur le harcèlementRappelons avant toute chose que le cyber-harcèlement est un délit puni par la loi. Les cyber-harceleurs encourent jusqu’à deux ans de prison et 35 000 euros d’amendes. Pour ce qui est des menaces de commettre un délit ou un crime (viol, meurtre…), elles sont également punies par la loi, avec maximum six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende encourus. Et si vous êtes vous-même victime de cyber-harcèlement, nous ne pouvons que vous conseiller de signaler le contenu insultant (directement sur le réseau en question ou via PHAROS), de conserver les preuves et de porter plainte auprès de la police. Une association de France Victimes peut vous accompagner dans ces démarches si vous appelez le 116 006 (appel et service gratuits). Le 3018 (E-Enfance) et le 3020 (Education Nationale) sont dédiés aux victimes mineures de cyber-harcèlement.

Vis ma vie de streameuse sur Twitch

Avant de lancer son live, la streameuse Maghla a une habitude un peu spéciale : enfiler un pull ou un tee-shirt oversize pour cacher son corps de femme. Parfois, elle se risque à ne pas prendre cette précaution d’un ancien temps, par flemme, oubli, souci de logistique ou peut-être même envie d’affirmer qu’elle peut bien s’habiller comme elle veut. Tout le monde devrait pouvoir faire une chose aussi simple non ? Et pourtant, dès qu’un petit bout de peau féminin apparaît, les clips sexualisés et autres montages immondes affluent sur Internet. Et elle n’est malheureusement pas la seule… Ainsi est le quotidien des streameuses de Twitch.

En été, c’est un peu le pire parce que je suis sous les combles donc il fait vite 40 degrés. J’ai envie de porter des trucs légers et bah non, j’évite…

Lixiviatio pour KonbiniServeurs dédiés à du contenu sexualisé, forums obscènes, DM plus que déplacés, appels masqués, menaces en tout genre… Elles connaissent toutes cela. Outre la fatigue, la peur et ces sentiments qui peuvent se révéler dévastateurs et qu’elles sont nombreuses à avoir exprimé, c’est aussi le quotidien de ces femmes qui s’en retrouve changé. Si certains aiment se convaincre qu’être une femme sur Twitch c’est « plus facile », ils sont bien loin du compte. Lancer un live en étant une femme implique bien plus de choses qu’en étant un homme. On a déjà parlé des vêtements, mais cela concerne également le rapport à la caméra (omniprésent dans ce métier). Imaginez-vous être en live depuis plus de deux heures quand une envie pressante se déclare ou qu’une urgence se présente. Vous expliquez rapidement la situation à vos viewers et vous levez aussitôt sans vous soucier de changer de scène. Mais si vous êtes une femme, peu importe l’urgence, il faut toujours penser à une chose : couper la cam avant de se lever pour ne pas se retrouver avec des tonnes de clips de son corps. Même chose quand on est sur un plateau. Les chroniques et sujets s’enchaînent mais l’angoisse que la caméra finisse par te filmer de dos, elle, reste, elle est omniprésente. Et puis il y a des choses anodines que l’on ne peut pas faire en live quand on est une femme. Faire un mime, par exemple, c’est s’assurer de finir avec des clips tendancieux par centaines. Et si une femme avait elle aussi proposé son propre calendrier les Dieux/Déesses du Stade (donation goal de Domingo lors d’un ZEvent), les retombées sur cette dernière auraient été catastrophiques.

Je réfléchis à tout et d’ailleurs c’est comme ça que j’ai créé aussi mon style vestimentaire. C’est pas du tout comment je m’habillais avant et je me suis dit “bah je ne peux pas mettre ce que je veux sur Twitch donc je vais adopter un look un peu badass”

Et même si cela est dû à un heureux hasard, un gain soudain de popularité. Rien n’y fait, le mal est fait. Car même si elle n’est pas confrontée tous les jours au harcèlement et aux contenus sexualisés, tout la ramène à ça. D’une certaine façon, ils régissent une partie de sa vie qui, comme celle des autres streameuses, s’est adaptée en fonction et non sans mal.Et là encore, il ne s’agit que de la partie immergée de l’iceberg. Car trop en dire, s’étaler sur toute l’horreur de ce quotidien et ce qu’il implique, c’est d’une certaine façon se mettre en danger. Certaines streameuses ont ainsi exprimé leur inquiétude quant au fait de témoigner sur ce sujet. Au fil du temps, elles ont en effet élaboré, ensemble, des défenses pour rendre ce harcèlement permanent moins dur et plus sûr. Là réside toute la complexité du problème. S’il faut en parler pour éveiller un peu plus les consciences et espérer un changement, le faire donne, en contrepartie, de la visibilité à tout ce système souterrain d’immondices. Dans la dernière émission Popcorn, le sujet a d’ailleurs été mentionné, si bien que l’on peut se demander si en parler est réellement une bonne chose.Mais à voir les réactions au thread de Maghla, il y a indéniablement un besoin de s’exprimer du côté des streameuses, de lâcher tout ce qu’elles subissent au quotidien, se défaire, le temps d’un instant, de ce poids. Ce thread a même transcendé le simple prisme de Twitch, ouvrant la voie à des créatrices de contenu venant de Youtube pour s’exprimer librement sur le jeu. C’est notamment ce qu’a fait la Youtubeuse ASMR Loow, appuyant non seulement les propos de Maghla mais partageant également sa courte expérience sur Twitch. Le temps de deux jours, elle a vécu une petite partie de l’enfer quotidien des streameuses de la plateforme. Elle a gentiment accepté de revenir sur cela avec nous.

J’avais rejoint cette plateforme dans l’objectif d’être en petit comité, au final, j’ai vécu plus de stress et de harcèlement misogyne en quelques jours que je n’en avais eu depuis des mois sur Youtube.

Loow sur Twitter

Twitch, pire plateforme pour les créatrices de contenu ?

tout ça en silence sans faire la moindre réaction je ne sais pas jusqu’où ça aurait pu aller…

la peur est toujours autant présente. Elle décide de changer de numéro de téléphone et, surtout, d’abandonner sa chaîne Twitch.

Je me suis dit : “avec seulement 15 viewers sur mon stream, je viens de vivre ce que vivent sûrement des streameuses au quotidien et c’est pas de ça que j’ai envie, j’ai envie d’être sereine et pas d’avoir tout ce stress au quotidien alors j’arrête, tant pis”

Témoignage de LoowTwitch s’est révélé bien trop hostile pour cette créatrice issue de Youtube, et cela n’a rien de surprenant. Plus tôt cette année, une étude de l’institut de sondage Ipsos et de l’association des Féministes contre le cyberharcèlement a montré que les pires plateformes à ce niveau étaient Steam, Discord et… Twitch. Néanmoins, l’étude en question est à relativiser. Les liens établis sont parfois un peu douteux. Le fait de fouiller dans le téléphone de son conjoint est considéré comme du cyberharcèlement par exemple et cela ne peut donc pas se montrer représentatif du harcèlement subi par les streameuses. Toujours est-il que le principe même de Twitch (contenu diffusé en direct reposant sur l’interaction) rend les streameuses plus vulnérables et la satisfaction malsaine des harceleurs plus grande encore, ce qui expliquerait que ce phénomène soit plus dévastateur qu’ailleurs sur Twitch.

La différence avec Twitch, c’est la vulnérabilité dans laquelle on peut se trouver parce que t’es en live. Tu peux pas couper, tes émotions elles sont record en direct devant beaucoup de gens et donc quand ils attaquent comme ça je pense qu’ils ont vraiment un truc de nous voir avoir peur, de nous voir réagir. Ça c’est un kiff chez certains mecs.

déclarations sur les seins, les fesses ou les organes génitaux, menaces concernant du contenu sexualisé… Twitch annonce même que les sanctions en cas d’harcèlement sexuel seront prises avec les victimes afin de “comprendre comment agir”. Ajoutez à cela la mise en avant de nombreuses streameuses ainsi que la possibilité de limiter la création de clips à certains viewers ou de n’accepter que les messages des comptes vérifiés et vous obtenez une plateforme qui semble vouloir faire bouger les lignes. Le harcèlement sexiste et sexuel est dans le viseur de Twitch. Mais en pratique, l’essai ne parvient pas à être transformé.Car dans les faits, ces interdictions sont loin de suffir et se heurtent à une plateforme encore trop obsolète sur certains points. Et celles qui en parlent le mieux, c’est bien sûr les principales concernées. En 2021, la streameuse Manonolita, victime d’importantes vagues de harcèlement, ne mâchait pas ses mots chez Numerama : “Leurs outils de modération sont dépassés. Il suffit que les gens fassent juste une petite faute d’orthographe ou qu’ils changent une lettre pour que des mots interdits passent, du coup ils ne servent à rien.” Dans le même article, Shakaam pointait du doigt la possibilité de recréer un compte beaucoup trop facilement sur Twitch :

J’ai dû bannir une personne au moins 150 fois, car à chaque fois elle se refaisait un nouveau compte

Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Depuis

Ils m’ont dit : “écoutez mademoiselle vous vous exposez sur Internet, vous savez très bien qu’il y a des fous sur Internet et qu’on peut rien faire.” Ils m’ont dit qu’ils avaient concrètement pas les moyens de le retrouver même si moi j’avais trouvé tout ce qu’il fallait.

le refus de plainte car la personne n’est pas encore passée à l’acte, les remarques déplacées et les petites blagues visant à diminuer la gravité des faits… Et tout ça, souvent pour rien. Rares sont les plaintes du genre qui aboutissent à quoi que ce soit. La plupart des streameuses ne sont pas rappelées et ne peuvent donc qu’espérer que le harcèlement qu’elles subissent finira par s’arrêter comme par magie, et tant pis pour la peur, l’angoisse et les préjudices moraux…

J’ai apporté plus de 1000 preuves à la police, plus de 1000 captures d’écran. J’ai fait des enregistrements vidéo et audio où le mec m’insulte de tous les noms et où il me dit juste que de toute façon, il finira par me tuer d’une manière ou d’une autre. J’ai clairement l’impression que la police se retrouve impuissante face à ça car c’est du virtuel. Le seul truc qu’ils me conseillaient c’était : “tu devrais arrêter ce que tu fais jusqu’à ce que ton dossier soit clôturé”.

Témoignage de LoowIl y a de quoi désespérer non ? Se dire qu’après tout on ne peut rien faire face à cette situation ? Baisser les bras ? Et pourtant, les créatrices de contenu tiennent le coup et gardent le cap. Malgré le manque de considération et de résultat pour sa plainte, Loow nous affirme qu’elle retournera porter plainte s’il le faut, bien que cela soit sans grand espoir. Mais pour pallier l’absence de suivi juridique, les créatrices de contenu développent leurs propres défenses et s’entraident pour affronter le mur de haine dégoûtant qui s’est dressé contre elles. Cet esprit de sororité est probablement la seule chose positive que l’on peut tirer de tout ceci. Un esprit d’entraide et de soutien qui se répand petit à petit jusqu’à la gente masculine, et qui peut réellement aider à faire bouger les choses.

Tu te rends vite compte quand t’abordes ce genre de sujet que les déchets sont pas si loin de nous

Et cela est notamment dû à une intransigeance de la part des streamers et des modérateurs (alliés de poids contre le harcèlement d’ailleurs) qui ont banni à tout va les moindres remarques déplacées. Selon notre streameuse anonyme, cela fait clairement la différence. Car normaliser la présence des femmes sur Twitch, c’est aussi un moyen de limiter les attaques sexistes. Elle espère donc voir plus de streamers agir ainsi et sur ce point, les choses avancent donc dans le bon sens. Mais les streamers ne sont pas les seuls à avoir un rôle à jouer.

C’est leur donner une excuse, quelque part, de les appeler des “détraqués”. Ça peut être n’importe qui.

de près ou de loin 2022

Suite au brassage médiatique qu’a suscité le thread de Maghla, la Ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, Elisabeth Rome, a indiqué qu’un travail de co-construction d’un code de conduite dans le secteur du jeu vidéo. Il reste encore à voir si ce code, développé en partenariat avec la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, se concentrera uniquement sur les boîtes travaillant dans le secteur ou s’il permettra aux streameuses d’obtenir un véritable cadre légal pour se défendre. Quoi qu’il en soit, Maghla a d’ores et déjà proposé son aide pour que le travail du ministère aille dans ce sens.