La simplicité avec laquelle cette mère de deux enfants nous accueille, dans sa maison en bordure de forêt, dans la vallée de Chevreuse, contraste avec les chiffres de vente de ses livres, qui peuvent donner le tournis : un premier livre, édité il y a cinq ans, plus d’un million d’exemplaires vendus en 2023, trois millions de ventes au total, et déjà des droits de traduction vendus pour 30 langues.Et surtout, une adaptation en série par TF1 avec Camille Lou dans le rôle de Joanne et Hugo Becker dans celui d’Émile, les deux âmes en peine du road trip de Tout le bleu du ciel, son best-seller. Preuve de la confiance de son éditeur Albin Michel, son huitième roman, Tenir debout, huis clos fascinant qui explore crûment l’intimité d’un couple confronté à de terribles épreuves, sort en pleine période de rentrée littéraire.
« L’autoédition m’a permis de court-circuiter le système »
Le JDD. En 2023, vous êtes la romancière qui a vendu le plus de livres en France, détrônant Guillaume Musso, qui tenait la tête du classement depuis onze ans. Ça ne donne pas trop le tournis ?Mélissa Da Costa.
Non ! Si j’ai ressenti une immense fierté et de la reconnaissance, c’est surtout l’incrédulité qui a dominé au départ… tout est allé si vite ! Mon premier roman, Tout le bleu du ciel, est sorti il y a à peine cinq ans, dans une petite maison d’édition.J’ai toujours écrit, mais, consciente qu’il y avait peu d’élus, jamais je n’aurais cru un jour être repérée et publiée par un éditeur. Ce fut pour moi l’accomplissement d’un rêve fou, enfoui profondément.
D’ailleurs, je n’avais pas fait de démarches pour être éditée, je n’avais même pas envoyé mon manuscrit…
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Vous faites justement partie d’une génération d’auteurs qui a débuté avec l’autoédition, publiant votre histoire sur une plateforme, un moyen de recevoir des retours directs de lecteurs. Quel rapport entretenez-vous avec vos lecteurs ?L’autoédition m’a permis, en quelque sorte, de court-circuiter le système et d’outrepasser mes peurs. J’étais tellement effrayée par les retours des professionnels de l’édition qui lisent des piles et des piles de manuscrits.
J’ai voulu me confronter directement aux lecteurs, et leurs premiers retours ont eu une grande importance symbolique. Aujourd’hui, leur place est toujours capitale.En étant présente sur les réseaux sociaux, je tâte la température, j’essaie de comprendre ce qu’ils ressentent et ce que le livre provoque chez eux.
En revanche, concernant l’écriture, je suis seule avec moi-même.Lorsque je choisis un sujet et que je me laisse porter par celui-ci, je ne pense pas à mes lecteurs ou à ce qu’ils aimeraient lire, parce je ne tiendrais jamais six à huit mois d’écriture, des personnages dans la tête en permanence, si je n’écrivais pas sur un thème qui me passionne, me fascine, que j’ai envie de gratter en profondeur.Depuis que vous vous êtes professionnalisée, comment se passe la relation avec votre éditeur ?La transition avec un éditeur professionnel peut s’avérer frustrante au début.
Dans l’autoédition, on choisit chaque détail technique, de la couverture – qui est souvent très moche et que l’on trouve très belle – au titre. Mais il faut accepter que des personnes dont c’est le métier vous aident à améliorer votre roman.Le titre initial que j’avais choisi pour Tout le bleu du ciel n’était pas forcément adapté [Recherche compagnon de voyage pour ultime escapade, NDLR] ! Je me souviens, c’était difficile pour les premiers manuscrits : j’avais l’impression d’être dépossédée de mon texte et de mon histoire.
Progressivement, j’ai appris à lâcher, comprenant que c’était dans mon intérêt de faire confiance aux différentes personnes qui interviennent. Je le vis maintenant comme une collaboration fructueuse. En revanche, j’ai gardé une grande liberté pendant la période d’écriture.
J’ai besoin d’être tranquille, mon éditrice le sait, tant que le point final de mon manuscrit n’a pas été posé.Depuis quelque temps, vous vous éloignez du genre « feel good », auquel on vous identifie, pour des romans plus sombres comme La Doublure, et aujourd’hui Tenir debout. Vos lecteurs ont-ils été désarçonnés ?Lorsque mon premier roman Tout le bleu du ciel est sorti en librairie, j’avais déjà écrit Les Lendemains, qui a été publié ensuite.
Les deux romans qui ont suivi, Je revenais des autres et Les Douleurs fantômes, sont d’anciens manuscrits, écrits dans ma vingtaine.C’était joli, mignon, mais ce n’était déjà plus vraiment moi. Je ne les renie absolument pas, mais j’avais envie d’évoluer.
J’ai attaqué la rédaction de La Doublure alors que Tout le bleu du ciel sortait en librairie, sans avoir reçu encore beaucoup de retours.Je me suis plongée dans ce récit sombre, tourmenté, qui évoquait l’emprise et me permettait de décortiquer les méandres de l’âme humaine. J’ai rapidement senti que c’est le genre d’histoires que j’aime raconter, celles que j’aime lire, aussi.
C’est à la sortie de La Doublure que j’ai été confrontée de plein fouet aux attentes de mon lectorat, qui s’était habitué à un certain style – mon style de jeunesse, finalement, encore un peu timide dans l’écriture, qui n’osait pas aborder des sujets trop intimes comme la sexualité. La première vague de retours a été vraiment très violente.Je n’imaginais pas à quel point les gens le prendraient à cœur.
Je me souviens encore de cette réaction d’une lectrice qui m’a écrit : « Vous m’avez trahie et déçue, j’ai jeté votre livre à la poubelle. Quelle horreur ! » Aujourd’hui, avec du recul, je me rends compte qu’à l’époque, la part des lecteurs déçus était faible comparée à celle qui a aimé et en redemandait !Vous considérez-vous vous-même comme une romancière « feel good » ?J’ai beaucoup de mal à circonscrire une définition du « feel good ». On y range à la fois des livres légers, girly, du développement personnel, de Maud Ankaoua ou Laurent Gounelle.
Mon premier livre a été classé dans cette catégorie parce qu’il parlait de méditation et de pleine conscience ; les suivants ont été classés de la même manière avec un peu de mépris. Qu’est-ce que l’on entend par « feel good » ? S’il s’agit d’un livre que l’on referme en se disant qu’on est capable de traverser des épreuves ou de changer des choses de sa vie, pourquoi pas ; si c’est une catégorie qui sert à qualifier un roman de gare sans consistance, qui l’exclut de la littérature, ça me convient moins.
« Pas un seul de mes romans n’est écrit dans la même veine »
Personnellement, je ne me rangerai pas dans cette catégorie, car je déteste qu’on me colle une étiquette.
C’est bien trop restrictif ! Pas un seul de mes romans n’est écrit dans la même veine : certains sont sombres, sans rédemption, quand d’autres sont plus lumineux, sans être fleur bleue.Venons-en à Tenir debout. Comment vous est venue l’idée de ce livre ?Je retravaillais Les Douleurs fantômes, qui possède une grande galerie de personnages.
Parmi eux, un ancien sportif professionnel, Anton. Une grave chute l’a rendu quasi paraplégique, il a passé trois ans dans un centre de rééducation. Je l’évoquais vaguement, mais assez pour décrire le déchirement de son couple ; la colère et la frustration grandissantes de son conjoint devenu dépendant, qui s’envenimaient en violences psychologique et physique.
J’ai senti que ce sujet du couple face au handicap et à la dépendance pouvait faire l’objet d’un roman. L’idée a infusé. J’ai senti qu’il faudrait exposer au handicap un homme qui se définit uniquement par son physique et son pouvoir de séduction : le choix d’un comédien, tributaire d’un métier pour lequel on vend son image, son apparence et sa prestance, s’est imposé rapidement.
Très vite, j’ai aussi tranché pour une grande différence d’âge dans le couple, avec une jeune première admirative, sur laquelle on ne parierait pas un centime, et qui n’aurait aucun intérêt à rester.Que se passe-t-il quand celui qu’on plaçait sur un piédestal s’effondre, qu’il ne reste plus qu’un homme plus âgé, cloué dans un fauteuil ? À partir de là, j’ai commencé à me renseigner en profondeur, j’ai lu des manuels passionnants, mais cela restait des faits cliniques, médicaux. Il manquait le ressenti.
Que se passe-t-il après un accident ? Quel est le parcours de soin ? Lorsqu’on est en hôpital, qu’y fait-on ?J’ai commencé à parcourir des forums, des articles de presse. Lors de mes recherches, j’ai découvert l’histoire de Yann et de Pauline, un couple magnifique, amoureux, qui renvoie une lumière et une tendresse incroyables. Yann sensibilise à la question du handicap sur ses réseaux sociaux.
Pendant quelques semaines, j’hésite à lui écrire. Je me lance, et il accepte de répondre à mes questions.Après un premier échange en visio sur les aspects techniques des soins postopératoires, sur le parcours de rééducation ou le fonctionnement des orthèses, je continue l’écriture de mon roman.
Dès que j’ai besoin d’une précision, j’écris au couple. Quand j’ai eu fini l’écriture du livre, nous nous sommes rencontrés à Paris, et je leur ai remis mon manuscrit. C’était magnifique !Comment tissez vous votre intrigue ? Dans ce roman, vous avez choisi d’alterner les points de vue des deux personnages principaux, sans narrateur extérieur.
Contrairement à ceux qui écrivent avec des plans extrêmement précis et détaillés, quand je démarre un roman, je ne sais jamais très précisément où je vais. J’avais comme idée de départ un huis clos, au sein d’un couple, avec une descente aux enfers. Sans temporalité arrêtée ni lieu géographique défini.
La fin de Tenir debout est d’ailleurs différente de celle que j’avais imaginée, qui était beaucoup plus sombre. C’est, entre autres, la conséquence de mes discussions avec Yann et Pauline !Concernant la narration, je voulais m’exprimer à la première personne. J’ai imaginé dès le départ une alternance très rapide, rythmée.
Il me semble que le handicap se vit de manière extrêmement personnelle, que ce soit celui des autres ou le sien. J’ai voulu qu’on puisse vivre la même scène à travers leurs regards alternés, afin de montrer à quel point tout est absolument subjectif.On ne peut pas s’en rendre compte sans être dans le corps et l’intimité de quelqu’un – ce que permet le roman.
Ensuite, j’ai navigué, laissant l’histoire se décanter au fil de l’intrigue. La construction d’un roman est un jeu d’allers et de retours. Je cherche, je tâtonne, je creuse et je chemine avec et en même temps que mes personnages.
Pour votre héroïne, Éléonore, l’écriture est une catharsis, elle s’y réfugie pour se libérer de ses traumatismes. Ressentez-vous la même chose ?C’est vrai qu’à travers le personnage d’Éléonore, j’ai mis beaucoup de mon rapport à l’écriture. Cette impression d’enfiler un costume pour vivre d’autres existences que la mienne, à travers des drames ou des réussites, dans la peau d’hommes, de femmes, de vieux ou de jeunes.
Je m’évade, je m’échappe.Dans l’arrière-boutique de la boulangerie, dès qu’elle a quelques minutes de répit entre deux clients, Éléonore se dépêche d’écrire dans son carnet : c’est une espèce d’impulsion, de nécessité. Comme elle, j’ai démarré par petites touches, tâtonnant, et je ressentais l’écriture comme un besoin impérieux et personnel.
Des haïkus pour mon héroïne, pour moi, des phrases, des scènes éparses. Surtout, nous partageons la difficulté à montrer nos manuscrits !De manière générale, quelle part de vous-même et de votre vie mettez-vous dans vos romans ?J’ai distillé dans Tenir debout de nombreux clins d’œil, des détails qu’on ne peut pas forcément deviner : par exemple, j’ai moi aussi travaillé dans un centre d’appels, le casque vissé sur la tête, à réciter des discours préétablis toute la journée, vingt, trente fois.Je pense qu’on met toujours un peu de nous-mêmes dans nos romans, même fictionnels, dans nos rapports à la nature, aux autres, au couple.
Si mes personnages plient bagage en Bourgogne, ce n’est pas un hasard. J’y ai mes racines, j’ai grandi dans un petit village où il ne se passait pas grand-chose, et où les hivers pouvaient sembler très longs.La géographie est toujours très présente dans vos différents récits : les Pyrénées, le Queyras,ici la Bourgogne.
Quelle place les lieux tiennent-ils dans vos romans ?Ils sont essentiels ! Au début du roman, l’action se passe dans un appartement, en rez-de-chaussée, sans lumière, situé dans une banlieue-dortoir. Entouré de grandes barres d’immeubles, dans une atmosphère grise, le couple formé par Éléonore et François n’a pas d’intimité ; ils entendent tout ce qui se passe autour d’eux.Mon éditrice me faisait remarquer que la partie dans l’appartement lui faisait penser à L’Écume des jours de Boris Vian, on a l’impression que les murs se rapprochent, que le couple se fait écraser, étouffer.
En changeant de lieu et de perspective, ils peuvent enfin essayer de se reconstruire. La campagne, ses sons et ses odeurs, va leur permettre de retrouver un nouvel horizon ; la lumière ouvre leur champ de vision. C’est en changeant de lieu que j’arrive à changer l’état d’esprit de mes personnages.
Vous êtes maman de deux jeunes enfants. Votre maternité a-t-elle changé votre manière d’écrire ?Bien sûr ! Dans mes premiers romans, mes personnages féminins s’accomplissaient tous à travers la maternité, il leur suffisait d’avoir un enfant pour être heureuse. J’avais de la maternité une vision très simpliste et idéalisée.
Lorsque j’ai vécu mon premier post-partum, j’alternais entre un état d’émerveillement et des moments, notamment la nuit, où j’éprouvais la solitude, avec l’impression que je ne m’en sortirais jamais, pensant : « Alors c’est ça ma vie ? C’est fini, je ne peux plus vivre pour moi, lire deux lignes d’un bouquin, ça ne s’arrêtera jamais ? »Dans ce roman, j’ai donc eu envie et besoin d’être plus nuancée, de montrer qu’il n’y a rien d’inné, je parle aussi de naissance par césarienne. Ce roman était déjà sans filtre sur le couple, sur la sexualité, je voulais n’avoir aucune concession sur la maternité.Que souhaiteriez vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?J’ai voulu échapper à cette idée que, lorsqu’un drame se produit, on se relève, qu’il suffit de suivre un chemin tout tracé pour que tout s’éclaire soudain.
Je voulais montrer que la vie n’est pas linéaire, que la progression permanente n’existe pas. Les cheminements de reconstruction sont bien plus nuancés et compliqués : on avance, on retombe encore plus bas, on remonte, puis on recule. Je crois qu’il faut en avoir conscience pour tenir debout.
En écrivant Tenir debout, aviez-vous des influences littéraires ?Je dévore de plus en plus les romans de Sandrine Collette. Je l’admire pour son style travaillé, fin, ciselé. Sa langue est à la fois tranchante et poétique.
Elle m’inspire énormément. J’aime aussi beaucoup l’auteur irlandais Donal Ryan, son écriture est rugueuse, plus masculine. Ce sont deux plumes qui m’inspirent beaucoup dans leur façon d’écrire.
Tenir Debout, Mélissa Da Costa, Albin Michel, 608 pages, 22,90 euros.