Sur les applis de rencontre, «  on a toujours en tête la possibilité de l’agression »


Audrey n’utilise plus Tinder. Fini, lassée. Quand elle était encore sur l’application de rencontre, les fétichistes l’assaillaient. Des hommes obsédés par sa couleur de peau, persuadés que « les Noires sont plus libérées, sauvages au lit ». Certains allant jusqu’à lui asséner d’élégantes réflexions, type « Salut Rihanna, je te tirerais bien les tresses » ou « Je n’ai jamais baisé de métisse, tu seras ma première expérience ». La jeune femme de 29 ans en a eu assez de ces prétendants mal intentionnés, qui « sous couvert de féminisme et d’autres belles valeurs, s’avéraient des chiens de la casse ». Avec le temps, elle était bien parvenue à les repérer — et surtout s’en détourner. Mais elle trouvait épuisants cette « mise en scène, ce jeu trompeur que jouent entre eux les utilisateurs ». À lire aussi >> Sur les applis de rencontre, les violeurs aussi peuvent « matcher »

Défiance quotidienne

«  En tant que femme, on est forcément traversée par cette défiance quotidienne, on a toujours en tête la possibilité de l’agression, analyse Mireille Dubois-Chevalier, psychothérapeute-sexologue. Alors face à l’inconnu — et, par définition, les sites de rencontre nous plongent dans l’inconnu —, il y a quelque chose de très propre à l’expérience féminine à mettre automatiquement en place des stratégies d’évitement. » À vrai dire, ce réflexe se serait même intensifié ces derniers mois. Films documentaires (« L’Arnaqueur de Tinder») ou fictions (Flesh) qui illustrent des manipulateurs employant les applis de rencontre, mouvement comme #balancetonbar qui dénonçait les abus commis par les hommes en milieu festif… Le climat récent aura eu de quoi alimenter la peur du dating.  

Techniques plus ou moins formelles

Gabrielle (le prénom a été changé), elle aussi, a donc élaboré une série de techniques plus ou moins formelles pour se préserver des rencontres indésirables. Premier code : s’assurer que la personne de l’autre côté de l’écran existe et dit vrai — ce qui n’est pas acquis. En d’autres mots, recouper les informations : d’abord demander à son interlocuteur ce qu’il fait dans la vie, puis le chercher sur Google et les réseaux sociaux — notamment LinkedIn, où il reste difficile de mentir —, observer s’il a l’air de quelqu’un socialement intégré. « Si le gars a toujours les deux ou trois mêmes photos figées qui reviennent d’un site à l’autre, je commence à me méfier », confie-t-elle. Les discussions sur des sujets d’actualité, a fortiori politiques, sont ensuite un moyen de confirmer qui on a en face de soi. « Être de gauche ou un allié ne garantit pas de ne pas être dangereux, concède Pauline, 25 ans. Mais je me sens forcément plus en sécurité avec quelqu’un de la même couleur politique que moi. »  

« On se rencontre dans un lieu public et fréquenté, ni trop tôt ni trop tard »

La règle suivante est presque toujours similaire : « On se rencontre dans un lieu public et fréquenté, à un moment approprié de la journée, ni trop tôt ni trop tard », résume Nia, qui parcourt les applis de rencontre depuis cinq ans. Il arrive que des utilisatrices préviennent même leurs amies de l’endroit où elles se trouvent, par précaution. Les confinements, forcément, étaient venus faire voler en éclats cette étape. Mais, y compris lors de cette période d’isolement forcé, Nia, qui vit en colocation, veillait à ce que des proches restent dans l’appartement au moment de ses dates.  

Campagne de sensibilisation sur Tinder

L’association Consentis, qui promeut une culture du consentement et lutte contre les violences sexuelles en milieu festif, lançait en mai 2021 une campagne de sensibilisation sur Tinder. « Sans oui, c’est non », « Retirer un préservatif sans demander à la personne, c’est aussi retirer le consentement » : des messages responsabilisants apparaissaient à mesure que les usagers swipaient sur leur téléphone. « L’opération avait été saluée par la communauté Tinder, se félicite Clémentine, chargée de prévention auprès de Consentis. Ce genre d’annonces ont un double effet bénéfique : elles tendent à apaiser les utilisateurs lambda aussi bien qu’à dissuader les personnes qui viendraient avec de mauvaises intentions. »  

Une préférence pour d’autres sites

Il n’empêche que, face aux risques constatés sur l’appli de rencontre la plus populaire du marché, certaines femmes choisissent de s’orienter vers des sites ostensiblement plus safe. « Pour l’homme en face, c’est une démarche en soi de se rendre sur une application plus confidentielle, considère Gabrielle. Je me dis qu’il a au moins fait l’effort » — même si cet effort peut aussi, bien sûr, servir d’argument aux escrocs. Bumble est particulièrement plébiscitée. Sur cette plateforme, « l’avantage, c’est qu’il n’y a que les femmes qui peuvent initier la conversation », rappelle Nia. Après un match, les utilisatrices ont 24 heures pour choisir ou non de commencer à parler. D’aucunes préfèrent OkCupid, une autre appli qui nécessite de répondre à une série d’interrogations avant de pouvoir flirter. « Il y a des questions bateau, sur l’orientation sexuelle ou du type “plutôt bière ou vin ?”, explique Pauline. Mais aussi des questions plus intenses comme “pour ou contre l’avortement ?”, qui permettent vite d’avoir une idée du positionnement de la personne en face ». « Il est pesant et un peu triste de devoir être aussi prévoyantes, de te dire que tu sais tout de ton date avant même de l’avoir rencontré, conclut Gabrielle. Il me paraît toutefois indispensable de songer à sa sécurité. » Une affirmation que Nia vient nuancer : « Même avec une personne inconnue rencontrée dans un bar, il y a un risque. On ne connaît jamais vraiment les gens, ce ne sera jamais 100 % safe. »