« Ma fille entretient une relation amoureuse depuis huit mois avec un certain James. Et je pense que c’est celui qui est mentionné dans votre article. Comprenez mon angoisse ». Les propos sont ceux d’un père inquiet qui adresse il y a quelques mois un mail à la rédaction de France Bleu Provence. Il s’inquiète en effet d’une relation qu’entretient l’une de ses filles avec un homme qui se fait appeler James Jacob Kempinsky, mais dont il pressent que l’individu en question cache quelque chose. Ces doutes vont être confirmés quelque temps plus tard grâce à notre enquête fouillée.
Lorsque Sophie (prénom modifié) rencontre James en 2020 dans le parc de la Tête d’Or à Lyon, elle est fragilisée après une rupture sentimentale. Il lui raconte qu’il sort de l’hôpital après une opération du cœur qui a nécessité huit mois de rééducation. Le jeune homme prétend avoir 39 ans. Il a en réalité 10 ans de moins. Il affirme être l’héritier de la famille Kempinsky, propriétaire selon lui de 75 hôtels de luxe dans le monde entier. « Il parle de son jet privé, de sa vie aux États-Unis, du fait qu’il ait perdu ses parents » livre le papa à France Bleu Provence. La jeune femme est sous le charme. « Il la faisait rêver, la faisait danser sans pourtant jamais l’emmener nulle part avec lui » argumente la sœur de Sophie qui ressent toute de suite une certaine méfiance.
« Je sentais bien qu’il y avait quelque chose de bizarre, mais ma sœur semblait tellement heureuse. »
« Je sentais bien qu’il y avait quelque chose de bizarre, mais ma sœur semblait tellement heureuse. Ils parlaient mariage et bébé » témoigne la sœur dont l’intuition finit aussi par se révéler exacte. « Il voulait que je déménage parce qu’il prévoyait de s’associer avec un duo de chefs d’entreprises du Rhône qui devait lancer un logiciel, mais ça ne s’est pas fait » raconte la même source.
« Un talent gâché »
Contacté par France Bleu Provence, l’un des deux jeunes entrepreneurs raconte. « L’un de nos informaticiens nous a tout de suite alerté que quelque chose clochait. Mais James s’est débrouillé pour l’écarter. Et nous l’avons crû au début. Il avait une analyse tellement brillante. Il savait de quoi il parlait. Un vrai talent gâché. Il pourrait tout à fait gagner de l’argent en travaillant honnêtement, mais ça n’est pas le choix qu’il a fait » témoigne-t-il sous couvert d’anonymat, afin de ne pas mélanger l’image de leur société avec celle d’un individu au lourd passé judiciaire. Il n’y aura jamais d’association finalement. Le duo a remercié le jeune homme et a déposé une main courante à son égard afin de protéger ses intérêts.
« Il avait une analyse tellement brillante […] Il pourrait tout à fait gagner de l’argent en travaillant honnêtement mais ça n’est pas le choix qu’il a fait. »
Car celui qui se fait passer pour James Jacob Kempinsky n’en est pas à son coup d’essai. Les policiers qui le contrôlent au rond-point du Gargalon à Fréjus en octobre 2019 sont presque bluffés. « Il conduisait la voiture de sa compagne, une berline allemande, s’exprimait très bien. Il avait tout pour lui, de l’assurance, un bagout incroyable, sauf des papiers » se souvient l’un d’entre eux. « Son discours était rodé, on sentait bien qu’il était à l’aise. Mais quand je lui ai fait remarquer qu’il ne semblait pas avoir 38 ans comme il le prétendait, il m’a répondu qu’ils étaient tous comme ça dans la famille, qu’ils faisaient très jeunes. J’ai tiqué. Il a raconté qu’il s’était fait voler ses papiers à Cannes et que justement, il comptait déposer plainte. J’ai flairé quelque chose d’anormal et je lui ai dit que je l’accompagnais au commissariat pour m’occuper de sa plainte » explique le Major Yann Zint, confronté à JJK.
Un lourd passé judiciaire
Sauf qu’au commissariat, l’apparente façade parfaite se fissure. Les empreintes de James renvoient à une autre identité, Aurélien A. né à Armentières qui est donc âgé de 28 ans et non pas 38 ans comme il le prétend. Sa fiche fait état de 40 mentions notamment pour des défauts de permis, escroqueries et de nombreux vols de véhicules. Un parcours de délinquant commencé à Paris, puis qui s’est poursuivi à Grenoble, Bordeaux, Nice et enfin Fréjus. En garde à vue, il ne se démonte pas. Il évoque la perte de son père, son enfance difficile. Et prévoit la suite. « Ma compagne va-t-elle lire ce procès verbal d’audition ? Car si c’est le cas, je refuse de le signer » prévient-il.
Un parcours exceptionnel
Son parcours a de quoi intéresser les plus grandes entreprises. En tout cas, le parcours qu’il s’est crée. Il déclare en effet sur son profil Facebook qu’il obtient son bac au lycée français dans une ville des États-Unis en 94. Il n’a pourtant en réalité que quatre ans à cette époque-là. Puis en 2000, il obtient un doctorat à Boston et en 2009 devient même consultant pour le gouvernement américain. En réalité, il n’a pas obtenu plus qu’un brevet des collèges. Il se prétend moitié américain-moitié suisse, l’anglais étant selon ses dires sa langue maternelle, il est bilingue en chinois, parle couramment l’hébreu, et maîtrise de manière avancée le français et l’italien. Il se revendique comme un enfant de la Shoah.
Il est extrêmement bien introduit partout. Se fait voir dans de nombreux cocktails mondains. Et parvient même à se faire recommander. « Il a une telle emprise que même les femmes avec qui il entretenait des relations ont du mal à s’en défaire. Celle avec qui il était au moment de son contrôle à Fréjus, a découvert qu’il avait en parallèle une autre vie avec une mannequin à Cannes avec qui il devait se marier. Mais malgré tout, elle est allée le voir en prison et lui a servi de caution morale pour sortir plus vite » commente un connaisseur du dossier.
Des amoureuses meurtries
« Il cherche souvent des femmes qui peuvent lui servir à quelque chose, même si cela n’est que le gîte et le couvert le temps qu’il se refasse » analyse un enquêteur. D’ailleurs, Sophie (prénom modifié), rencontrée au parc de la Tête d’Or à Lyon, n’était pas particulièrement riche. Professeur dans un établissement scolaire, elle menait une vie « normale » par rapport à celle que lui décrivait son bien-aimé. « Ma fille est meurtrie, elle se sent coupable » résume le papa inquiet qui avec l’aide de son épouse, de la patience et beaucoup d’amour, ont réussi à lui faire ouvrir les yeux au bout de plusieurs semaines.
« Vu sa façon d’être, ses ambitions, il fera tout pour gagner plus d’argent, pour vivre avec encore plus de paillettes. » – le Major Zint
« On est face à quelqu’un qui s’est inventé une vie depuis au moins 2014, quand il sort déjà de prison. Il a choisi James Jacob Kempinsky. Et n’a plus quitté cette fausse identité. Et selon notre expertise, vu sa façon d’être, ses ambitions, il fera tout pour gagner plus d’argent, pour vivre avec encore plus de paillettes. Il continuera toute sa vie » argumente le Major Zint.
« Rocancourt, de la gnognotte »
À l’époque de son contrôle à Fréjus, un proche du dossier évoquant la personnalité du jeune homme confiait : « Celui-ci, il est incroyable. Christophe Rocancourt à côté, c’est de la gnognotte ». James Jacob Kempinsky du haut de ses 30 ans a encore de belles années devant lui.
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