les vertes années de Maël, jardinier passionné, apprenti maraîcher et militant pour le climat


À l’écart des villes, des grandes écoles et de leurs étudiants bifurqueurs, une autre jeunesse militante pour le climat tente de mettre ses idéaux en actes. Entre le lycée agricole, un contrat d’apprenti chez un maraîcher bio et son potager qu’il chérit plus que tout, Maël grandit, convictions altermondialistes chevillées au corps. Par le prisme tout en finesse de son documentaire « Maël et la révolution », la réalisatrice Céline Thiou nous le révèle en pleine mue, de l’adolescence vers l’âge adulte.

En toile de fond de ce documentaire, il y a un décor : une cité pavillonnaire de Coulaines dans la périphérie du Mans, un garage ouvert sur une rue sans autre circulation que les vélos de quelques gamins qui tournent pour tromper l’ennui d’un samedi après-midi. C’est là que vit Maël, avec son père et son frère. C’est là, autour de sa Mobylette qu’il entretient minutieusement, que Céline Thiou choisit de nous le présenter, entouré de son cercle rapproché, copains et copines au milieu de leurs années lycée qui se connaissent depuis l’école primaire. Depuis ses 14 ans, Maël milite : pour le climat, pour la sobriété énergétique, pour l’agriculture bio. Pour l’égalité femmes-hommes, pour l’accueil des étrangers exilés. Contre le racisme, contre l’homophobie, et contre toutes les injustices du monde.

les vertes années de Maël, jardinier passionné, apprenti maraîcher et militant pour le climat

Ses potes sont un peu loin de tout ça, et ses camarades de classe au Centre de Formation d’Apprentis de La Germinière encore plus, mais qu’importe  : Maël adore discuter, exprimer ses idées, débattre.

En classe au CFA de la Germinière à Rouillon (Sarthe)

Céline Thiou

La révolution, il l’envisage sans la pesanteur des grands discours, mais comme une nécessité d’aller vers l’autonomie face à l’effondrement qui, il en est certain, nous guette. « Admettons qu’il y a une révolution » dit-il à Marion, une copine avec qui il bricole sa mob. « Je viens avec toi parce que tu sais tout faire » répond-elle sans attendre.

 Issu d’un milieu populaire peu acquis à la cause écologiste, il s’est construit une conscience politique au contact d’autres adultes, notamment au sein du mouvement Alternatiba qu’il fréquente assidûment à la manière d’une famille.

En écrivant « Une chambre à soi » il y a près d’un siècle, Virginia Woolf  posait comme condition de l’émancipation des femmes la nécessité de disposer d’un lieu intime, en retrait des obligations sociales. Pour Maël, c’est « un potager à soi ». Une parcelle au milieu de quelques hectares de jardins ouvriers qu’il a entrepris de cultiver, où il concrétise en miniature sa vision du monde, respectueuse du vivant et auto-suffisante. Terre de labeur et de récompense, enclos de silence et de patience, ce potager est sa fierté. Il aime le faire visiter et en partager les récoltes.

Maël dans sa parcelle de jardin ouvrier

Céline Thiou

Et se ressourcer, car Maël en a besoin : c’est qu’autour de lui, on est loin de partager ses convictions. S’il a trouvé à la Ferme du Grillon chez le maraîcher bio qui l’a pris en apprentissage un modèle avec lequel il est en accord, les relations avec les autres élèves de l’Agrocampus de La Germinière sont l’occasion de joutes verbales qui se font l’écho des débats qui parcourent l’opinion entière quand il faut aborder le sujet de la transition écologique et du climat.

et tu la manges, ça te dérange pas ? » lance Maël à Hugo, camarade sceptique lors d’une visite scolaire dans une exploitation. « Si je te propose une pomme bio et une pomme non-bio, laquelle tu vas choisir ? »

« Comme j’ai faim, je choisirai la plus grosse » répond l’autre, goguenard.

Au travers d’échanges en apparence anodins, la classe du CFA se révèle au fil du récit documentaire de Céline Thiou en un condensé de notre société, où s’affrontent des postures et des cultures antagonistes : car derrière le débat entre décroissance et productivisme entamé dans la classe de Maël, ce sont deux visions du monde opposées qui confrontent leurs arguments, leurs valeurs, leurs croyances.

Ainsi, à l’approche de l’élection présidentielle de 2022, les élèves du CFA passent tour à tour au tableau pour classer les différents candidats sur une ligne qui va de gauche à droite –ce qui réserve quelques surprises- avant de débattre avec leur enseignant des programmes de chacun. S’ouvrent des débats aussi divers que l’accueil des étrangers en France, les menus bios dans les cantines, la discrimination envers les homosexuels et les questions de genre : autant de sujets sur lesquels les arguments de Maël butent sur l’incompréhension, ou la réprobation de nombreux élèves, sensibles au discours du RN qu’ils assument sans détour.

Durant un cours au CFA de La Germinière à Rouillon (Sarthe)

Céline Thiou

 

Maël le traite de « Bourrin », l’autre de « Hippie » mais ces deux –là  s’adorent et se respectent. Il y a pourtant bien de la politique dans les conversations de ces jeunes travailleurs que sont Maël et Hugo, mais elle n’a pas tout dévoré, n’a pas transformé les désaccords en haine, ni fait prononcer de mots irréparables.

L’accès à une citoyenneté pleine et entière vécue comme l’aboutissement naturel d’un engagement de plusieurs années. Reste l’examen du bac : plus à son affaire dans le concret du travail à la Ferme des Grillons que dans les cours théoriques, Maël décrochera néanmoins le sésame.

Bulletin de vote dans l’urne, bac en poche, râteau en main et clope au bec, Maël âgé d’à peine 17 ans au début du documentaire, est désormais majeur, et s’apprête à entrer de plain-pied dans un monde qu’il veut changer. 

Discussion nocturne à Coulaines (Sarthe) entre Maël et ses amies et amis d’enfance

Céline Thiou

 Lors d’une dernière scène chorale avec les copains, filmée en extérieur un soir de printemps, chacune et chacun s’interroge sur son avenir, ses projets. Maël évoque des séjours lointains dans des fermes de par le monde pour y acquérir davantage d’expérience, rencontrer d’autres gens.  Les autres se projettent dans une vie plus ordinaire, lucides sur ce qui s’offre à eux dans ce coin de Sarthe, sur leurs envies, sur leurs capacités financières et celles de leurs familles.

 « Il faudra que je travaille » dit Marion, pour payer l’appartement nécessaire à la poursuite de ses études. « C’est dégueulasse, s’exclame Maël, ça veut dire que quelqu’un qui a de la thune a plus de chances de réussir ses études que quelqu’un qui doit travailler à côté, c’est pas normal !  »

« C’est pas normal, mais ça a toujours été comme ça » lâchent les autres. Le concret rattrape vite la jeunesse des milieux populaires et des petites villes.

Maël sur sa mobylette, indispensable pour se rendre au lycée, chez son employeur et au jardin.

Céline Thiou

ou d’un aviateur. Partir dans une ville étrangère, ça va bien deux semaines, avance l’un des copains, mais passer des années là où on ne connaît personne, à quoi ça rimerait ? 

À Maël, il reste le jardin. Un pays à soi, un monde en soi où l’on peut réfléchir à celui, plus vaste, qu’il va falloir désormais habiter. Et entre plants de tomates et de haricots, envisager la révolution au rythme patient du désherbage à la main et des saisons de l’âge.

« Maël et la révolution » un documentaire de Céline Thiou (79’)

Une coproduction France 3 Pays de la Loire – Les Nouveaux Jours Productions

tv dans notre collection La France en Vrai 

tv