Bienvenue un brainstorming sur la confiance...


L’intelligence collective, vous connaissez ? Forcément  ! Non pas seulement parce que c’était très à la mode au tournant du siècle, lorsqu’internet a pris son essor mais aussi et surtout parce qu’Agoravox est directement né de cette dynamique. Ainsi l’ont voulu ses concepteurs, Joël de Rosnay et Carlo Revelli, comme on peut le découvrir dans leur livre, La Révolte du Pronétariat, qu’ils ont gracieusement mis en ligne ici même, sur Agoravox.

Si je vous parle de ça, c’est d’abord parce que le sujet m’a toujours passionné et je me suis un temps penché dessus en tant que chercheur avec alors l’espoir de construire une sorte de « serre » à idées dans laquelle il suffirait de planter des graines pour voir ensuite les meilleures « pousser » grâce à la « création collaborative » façon Wikipedia. Mais, en définitive, j’étais trop attaché à mes idées pour les abandonner comme ça à la vox populi car on ne sait plus alors ce qu’elles vont devenir.

Quoi qu’il en soit, sous le rapport de l’intelligence collective et de la création collaborative, il existe une différence notable entre Agoravox et Wikipedia en raison de l’orientation journalistique du premier. Cette distinction n’a toutefois rien d’absolu puisqu’un article pourrait parfaitement viser une forme de connaissance objective sur tel ou tel sujet et se trouver publié sur Agoravox. Mais cela se réaliserait alors fatalement avec des auteurs uniques et bien identifiés — comme dans l’encyclopédie Knol trop vite disparue à mon goût. Les contributions des lecteurs se trouvent, de fait, réduites aux seuls commentaires.

 Ce fonctionnement hiérarchique avec distribution des rôles sans équivoque entre auteur et lecteur limite passablement le potentiel de l’intelligence collective mais il présente aussi l’avantage de le canaliser utilement. En effet, dès lors qu’ils ne sont pas du pur trollage, les commentaires et les discussions qu’ils amènent peuvent constituer un réel et très sérieux apport de connaissances susceptible de complémenter utilement l’article initial ne serait-ce qu’en opérant une forme de brainstorming.

C’est justement dans l’idée d’avancer dans cette direction que j’écris aujourd’hui. Alors que j’ai constamment cherché à écrire, autant que possible des articles maîtrisés, voire aboutis, je me suis rendu compte avec le tout dernier, celui de la semaine dernière — écrit « en surfant plutôt qu’en labourant » — que cela présentait l’intérêt de laisser aux lecteurs davantage de latitude d’interprétation et de « complémentation ». J’étais donc déjà en route vers le brainstorming et aujourd’hui je voudrais essayer d’adopter plus franchement l’attitude consistant à mettre des vues et mes conceptions en retrait afin de laisser davantage de place aux apports des lecteurs.

Il va de soi que je resterai l’auteur puisque c’est mon nom qui se trouve associé au titre du présent article mais celui-ci sera davantage, au moins à mes yeux, un objet hybride dans la mesure où, dorénavant, son contenu sera à concevoir comme incluant les commentaires. Je vais donc me contenter de réaliser une sorte d’introduction du thème de la discussion, comme si nous étions réunis en présentiel pour un café psy dans lequel ce sont les prises de paroles des uns et des autres qui constituent la véritable matière à penser. En effet, quelles que soient ses qualités et compétences propres, l’animateur d’un café-psycho ou philo est là avant tout pour allumer le feu de la discussion et tâcher ensuite de l’entretenir et/ou de la contenir de manière à ce qu’elle reste vivante et éclairante — même si, par ailleurs, ses contributions personnelles au débat sont tout aussi bienvenues que celles des autres participants, cela va de soi.

A présent je peux bien avouer que ce que je viens d’évoquer est justement ce que je suis en train de faire en écrivant cet article : je prépare mon feu pour un « Kfé-psy » qui se tient tous les deuxièmes vendredis du mois à Saint Denis (de la Réunion) — donc pour vendredi prochain — et, par avance, je vous remercie des contributions que vous pourriez être amené(e)s à faire ici. Soyez très à l’aise, la base d’un brainstorming c’est la libre association d’idées. Toute contribution est bonne à prendre, même si elle n’apparaît pas d’emblée utile et/ou précieuse. De sorte que les trolls peuvent aussi faire des apports — bien qu’ils soient le plus souvent involontaires, « à l’insu de leur plein gré » ;-).

Quoi qu’il en soit, il est temps d’aborder notre sujet du jour : qu’est-ce que la confiance ? Telle est la question que je ne vais donc plus m’efforcer de « traiter » à proprement parler mais dont je vais seulement tenter de faire le tour, comme dans une promenade en boucle, une circon-spection (regard circulaire) ou une encyclo-pédie (marche en cercle). Autrement dit, les perspectives vont s’enchaîner comme on enfile des perles. Le fil thématique restera présent mais il n’y aura pas nécessairement une articulation.

Pour autant que je la comprenne bien, l’étymologie de con-fiance est très simple : con veut dire « avec » et fiance substantive, en quelque sorte, le participe présent du verbe (se) fier qui renvoie au fait d’avoir foi. Une fiancée est donc, avant tout, une personne en qui on a foi, c’est-à-dire, quelqu’un à qui on peut se fier et à qui on sera fi-dèle — de sorte qu’on pourra et la croire et être heureux en accueillant ses vœux de fi-délité.

L’entrée « confiance  » de Wikipédia est éclairante ici car elle permet de venir à un aspect crucial que j’avais manqué et qui s’entend avec le verbe « confier ». Celui-ci… :

…signifie qu’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant ainsi à sa bienveillance et à sa bonne foi.

On pourrait donc dire que, d’une certaine manière, dans la confiance, on « s’en remet à l’autre », on en fait le gardien de quelque chose qui nous est précieux comme, par exemple, lorsqu’on partage un secret ou quelque chose de nature con-fidentielle.

Là, d’emblée, grosse surprise — car je ne l’avais pas vu venir alors qu’en fait, ça tombe sous le sens — il apparaît que la confiance est une prise de risque. En faisant confiance, nous renonçons à un total contrôle sur quelque chose de précieux, quoi que ce soit, pour le confier à une autre personne… de confiance.

Cet aspect est tellement important que L’Encyclopédie de Philosophie de (l’université) Stanford attaque bille en tête là-dessus. Voici, en effet, le tout premier paragraphe de l’entrée Confiance (Trust) :

« La confiance est importante, mais elle est aussi dangereuse. Elle est importante parce qu’elle nous permet de dépendre des autres — pour l’amour, pour des conseils, pour de l’aide en matière de plomberie ou autre — surtout lorsque nous savons qu’aucune force extérieure ne les oblige à nous donner ces choses. Mais la confiance implique aussi le risque que les personnes en qui nous avons confiance nous déçoivent, car s’il y avait une garantie qu’elles ne nous déçoivent pas, nous n’aurions pas besoin de leur faire confiance. La confiance est donc dangereuse. Ce que nous risquons en faisant confiance, c’est de perdre des choses précieuses que nous confions à d’autres, y compris peut-être notre amour-propre, qui peut être brisé par la trahison de notre confiance.. »

Pour résumer, nous sommes dans la confiance quand, quelque chose qui nous est précieux, matériel ou immatériel, est remis dans les mains d’une autre personne qui, de par sa nature humaine, trop humaine, est toujours susceptible de nous faire défaut, de sorte qu’une prise de risque est inévitable.

Que ce soit notre vie que nous remettons dans les mains du chirurgien qui va nous opérer ou celles de la bien-aimée que nous demandons en mariage, que ce soit notre maison que nous confions à des étrangers venus y séjourner pendant que nous allons occuper leur domicile de l’autre côté de la Terre, que ce soit simplement le garagiste à qui nous confions notre véhicule avec l’idée qu’il fera ce qui doit être fait dans notre intérêt et pas le sien, il y a nécessité d’une confiance/prise de risque dans toutes les interactions humaines puisque n’avons jamais de garantie que la personne de confiance l’est vraiment ou, si elle l’est, le restera jusqu’au bout.

A ce moment de l’exposé, s’il était présent, un auditeur impertinent pourrait me demander : « le bout de quoi ? ». Force me serait de répondre : « bonne question  !  ».

En effet, de quoi parle-t-on, lorsqu’on évoque le fait de confier quelque chose de précieux à quelqu’un, si ce n’est d’une transaction appelée, comme toutes les autres, à se terminer en respectant un certain nombre de normes fondamentales des relations humaines telles que la réciprocité, l’équité, la justice, l’honnêteté, etc.

Quand, par exemple, nous sommes en voyage et qu’un autochtone nous invite à venir manger et même dormir chez lui, il nous dit sans même l’avoir dit qu’il nous fait confiance et nous sommes invités à lui faire confiance. Refuser l’invitation serait traduire un manque de confiance, c’est-à-dire, refuser de s’en remettre à lui, refuser de lui confier nos biens et peut-être nos vies.

La question de la confiance nous fait donc plonger au cœur des relations humaines, quand il s’agit de se risquer à l’ouverture nécessaire pour accueillir l’autre tel qu’il est autant qu’il nous accueille nous-mêmes comme nous sommes, avec une part de vulnérabilité qui nous oblige à faire confiance.

Grâce au Ciel, et à des voyages improvisés qui ont été autant de micro-aventures, j’ai vécu cela bonne nombre de fois dans ma vie et cela a toujours été de belles expériences. Je dirais même que cela a été des moments de grâce, justement parce qu’il s’agissait de propositions grâcieuses, gratuites ou gratis, sans arrière-pensées, sans calculs. C’était du pur don auquel je n’ai souvent pu retourner que ma gratitude et la reconnaissance de facto du statut de « personne de confiance » que valait à mon hôte le fait que je sois venu dormir chez lui.

Il me semble qu’il serait possible d’explorer à l’infini ces jeux de miroir de la confiance supposément mutuelle dans les affaires humaines mais, pour finir, je préfère tenter un passage à la limite en considérant le rôle de la confiance dans le « commerce » humain sous l’angle… économique et politique.

Sous l’angle économique d’abord, il importe, je crois, de rappeler que la question de la confiance a été à la base du développement économique en raison de son rôle en manière d’argent. Pour commercer à l’autre bout du monde, au sortir du Moyen-Age, il fallait faire confiance… aux banquiers, aux marchands, aux transporteurs mais, avant tout, à la monnaie. Même l’or peut-être contrefait, alors les billets au porteur, c’est un challenge. La prise de risque est importante. Il faut avoir confiance dans le fait qu’ils seront dûment payés en monnaie sonnante et trébuchante le moment venu. Il s’agit en fait d’une reconnaissance de dette et c’est pourquoi rien de mieux qu’une dette sur le souverain lui-même car, lui, au moins, on peut avoir confiance  ! De là l’image des rois et des reines sur les billets des monarchies passées et présentes. Ils sont les garants de l’ordre financier et du caractère repayable de la dette que constitue le billet. On peut accepter ce fiduciaire en confiance.

A défaut du souverain, la famille c’est encore ce qu’il y a de mieux. Si elle couvre un large territoire on peut donner son argent ici en sachant qu’il sera versé là-bas, parfois à l’autre bout du monde. On s’évite ainsi les risques du transport de fond et quand la maison est solide, on a alors des garanties : un contrat remplacera avantageusement la confiance.

Sauf que lorsqu’on se débarrasse du risque et de la nécessité de faire confiance, on se débarrasse aussi de ce qui fait la beauté des relations humaines. On est plus alors que dans une transaction calculée qui peut devenir parfaitement inhumaine puisque la confiance mutuelle n’a plus lieu d’être, puisqu’on peut faire l’économie de ce qui se trouve en son cœur et que la notion de famille révèle, à savoir, la fraternité, c’est-à-dire, le fait de se reconnaître mutuellement semblable (homo) donc humain avant toute chose.

On comprend alors pourquoi le contrat garanti par la loi peut être source d’inhumanité quand, avec par exemple le prêt à intérêt — qui s’est toujours appelé usure et qui a toujours été interdit par les grandes religions, quel que soit son taux même le plus minime — on peut mettre des hommes dans l’esclavage de la dette et donc dans une quête avide d’argent par tous les moyens possibles, donc par l’exploitation indéfinie des hommes et de la Terre.

Je sais, je livre là une vision enflammée et dramatique qui peut légitimement apparaître très discutable à première vue. Mais ne s’agit-il pas pour moi d’allumer la mèche du débat. Quoi qu’il en soit, je lui laisse cette question et je viens à la dernière, politique en diable et diaboliquement problématique.

Comme je l’ai dit, on peut penser que la confiance recèle en son sein la question du semblable, de la famille, mais aussi de la nation, c’est-à-dire, cet ensemble flou des personnes nées ici et non pas quelque part. Je comprends bien que tout homme est un homme et mérite d’être respecté et même aimé en tant que tel. Il n’en reste pas moins que dans la vaste population des hommes, chacun est enclin à distinguer ceux qui sont de sa famille et ceux qui ne le sont pas — et parfois avec l’espoir d’échapper à sa propre famille.

Il est très clair que nous avons généralement besoin de faire confiance et nous sommes alors plutôt enclin à faire confiance au semblable, de sorte que nous sommes ensuite soucieux de vérifier qu’il n’en a pas que l’apparence. Nous craignons le traître, la cinquième colonne, celui qui est avec nous mais au service d’intérêts étrangers.

Par conséquent, dès lors qu’on est conscient de ce à quoi peuvent mener les travers du genre humain, la confiance ne va pas sans une certaine défiance.

Autrement dit, la confiance, souvent et de plus en plus, se mérite. On fera confiance à ceux qui ont risqué leur vie pour nous. Mais quelle confiance peut-on avoir vis-à-vis de ceux qui ne songent qu’à nous exploiter ?

Quelle confiance avoir en une classe politique au service de la finance et qui nous met en situation d’esclavage via la dette souveraine ?

Pour ma part, je n’ai plus confiance dans les institutions. Je crois que nous allons au désastre. A plus ou moins brève échéance, plus rien ne sera garanti par la loi. Nous, les humains, nous retrouverons alors face à face, prêts à en découdre ou à nous rassembler selon que nous serons dans la défiance ou la confiance. Si, comme disait Martin Luther King, nous ne voulons pas mourir comme des idiots, ce sera le moment de réapprendre à vivre en frère.

Voilà ce que je crois, à vous la parole  !

Qui veut la prendre ?