une étude dévoile la vulnérabilité des cépages face aux sécheresses


C’est une étude particulièrement instructive pour le monde viticole qui est parue le 12 mai dernier. Même si ses conclusions sont partielles, puisque d’autres facteurs doivent encore être approfondis, huit chercheurs bordelais dressent un classement de 30 cépages selon leur niveau de résistance à la sécheresse. Les espèces ont été cultivées sous serre dans les mêmes conditions ambiantes afin de mesurer la résistance de leur système vasculaire au stress hydrique.

Entretien avec Sylvain Delzon, directeur de recherches à l’Inrae en écophysiologie. LA TRIBUNE – Pourquoi s’intéresser en particulier aux cépages ? Sylvain DELZON – La résistance à la sécheresse des vaisseaux de la vigne n’avait jamais été mesurée auparavant, on n’avait jamais comparé les cépages entre eux. L’intérêt est de savoir quels sont les cépages les plus résistants et prédire ceux qui seront les plus vulnérables, les plus à risque.

une étude dévoile la vulnérabilité des cépages face aux sécheresses

Il faut déterminer quelles sont les variétés à planter maintenant dans l’optique d’un climat plus sec, plus chaud, plus aride. La « Parcelle 52 », nouvel arsenal de la vigne anti-réchauffement climatique (2/4) La vigne est pourtant une plante particulièrement résistante à la sécheresse, mais l’amplification de ce phénomène climatique pourrait donc la menacer ? La vigne est très résistante au déficit hydrique. Mais dans sa réponse à la sécheresse, il y a deux niveaux.

Est-ce que le cépage sera capable de maintenir de la production dans une année sèche ? Et, dans un cas plus extrême, est-ce que l’on peut constater une défoliation [chute des feuilles, ndlr], voire une mortalité s’il y a des sécheresses ? Les viticulteurs ne rencontrent pas encore de mortalité, ce n’est pas un phénomène très marqué. Mais lorsqu’il fait sec, ils ont une faible production. Les cépages les plus vulnérables que nous avons quantifié ne peuvent pas continuer à transporter de l’eau lorsqu’il fait très sec.

Ils sont obligés de fermer leurs stomates au niveau des feuilles pour limiter les échanges gazeux. Cela a un impact sur la productivité de la plante. L’année dernière, on a quand même eu des vignes qui ont perdu leurs feuilles, à cause de la sécheresse extrême.

Elles ne sont pas restées toutes vertes jusqu’à fin août. Ce qui nous intéresse, c’est de voir si elles ont produit du raisin ou pas. Notre étude veut montrer si des cépages identifiés comme vulnérables, comme l’Ugni blanc, peuvent produire du raisin quand il fait sec.

Ce cépage sera limité avant les autres en terme de production de baies pour des sécheresses identiques. C’est-à-dire qu’il faut éviter de le planter dans des régions où la disponibilité en eau est faible. C’est pour cette raison que votre étude montre que le Cognaçais est, de ce point de vue, l’une des régions viticoles les plus vulnérables au monde.

Nous n’utilisons pas le mot vulnérable car nous n’avons pas encore quantifié cette vulnérabilité. Nous avons identifié des régions dans le monde qui utilisent souvent un cépage très vulnérable. C’est le cas du Poitou-Charentes avec l’Ugni blanc, c’est le cas aussi en Inde avec la Sultanine ou en Nouvelle-Zélande avec le Chardonnay.

Le risque y est élevé. Ce que nous faisons maintenant, c’est de regarder avec des satellites la disponibilité en eau des sols de ces régions viticoles. Nous pourrons ainsi établir le niveau du stress hydrique des vignobles.

Si le seuil de stress hydrique que l’on mesure dans le Cognaçais est moins élevé que celui de l’Ugni blanc, alors ce cépage gardera une marge de manœuvre relativement importante dans cette région. Pour l’instant, on ne peut pas dire que le Poitou-Charentes est vulnérable mais qu’il est à risque. La transition technologique des vignobles contrariée par les aléas climatiques Votre étude montre que les écarts sont assez faibles entre les seuils des cépages vulnérables et ceux qui sont plus résistants.

Dans des régions à faible disponibilité en eau, toutes les variétés pourraient donc être menacées ? Effectivement, cet écart n’est pas extrêmement important. Chez les arbres, l’amplitude va de -25 à -19 mégapascals. Sur la vigne, la fenêtre est relativement réduite, on est sur seulement 1 mégapascal d’écart entre variétés vulnérables et résistantes.

Les plus résistantes vont maintenir des échanges gazeux beaucoup plus longtemps lors d’une sécheresse et cela va moins pénaliser leur production. Parmi les cinq cépages les plus vulnérables, trois sont des croisements récents issus des recherches de l’Inrae (Floreal, Vidoc et Voltis). Est-ce-à-dire qu’ils n’ont pas été pensés en fonction de la hausse des sécheresses ? Ce sont des cépages sélectionnés pour leur résistance aux maladies dans le but de réduire l’utilisation des fongicides.

Ce qui est extrêmement bien réussi puisque certains peuvent totalement s’en affranchir. Ils sont en tout cas très résistants aux maladies foliaires. Par contre, ils n’ont pas fait l’objet d’une étude intégrée.

Quand on fait des croisements et qu’on produit des hybrides plus résistants aux maladies, il faut que l’on vérifie qu’ils sont aussi résistants à la sécheresse, ce qui n’a pas été le cas ici. Malheureusement, la recherche se fait surtout en silo… De notre côté, nous devons aussi vérifier la résistance des cépages au gel par exemple. À l’opposé, la majorité des espèces parmi les plus résistantes proviennent de croisements anciens.

Est-ce qu’elles représentent l’avenir de la viticulture à l’heure du changement climatique ? C’est difficile de répondre, on n’a pas mesuré assez de cépages anciens pour conclure là-dessus mais c’est clairement une voie à étudier. En parallèle, nous travaillons aussi sur le blé et là ce sont les espèces ancestrales, présentes avant la domestication, qui sont deux fois plus résistantes à la sécheresse que l’espèce actuelle. Il y a eu une sélection pour le rendement, et uniquement pour le rendement.

Ça s’est fait au détriment de la résistance à la sécheresse. La sélection des croisements, menée pendant des siècles, qui a conduit à une plus grande productivité, s’est faite au détriment de la résilience. Sur la vigne, on ne dispose pas de suffisamment de données.

Changement climatique : « Il faut investir davantage et plus vite, il y a un vrai compte à rebours » Les cépages ont façonné l’histoire des vignobles et symbolisent les terroirs. Le changement climatique va-t-il provoquer un grand chambardement des cépages ? Ce sera une réponse par vignoble. Si je prends l’exemple de Bordeaux, la majorité des cépages qui y sont associés et que nous avons mesurés sont résistants à la sécheresse (Cabernet Sauvignon et Merlot).

Mais ça dépend du climat et du sol pour chaque région. Ce n’est peut-être pas un chambardement mais au moins une ouverture à l’intégration de nouveaux cépages. Ça me semble être au minimum pour l’avenir oui.

Pour le Cognaçais, comme l’Ugni blanc est plus vulnérable que les autres, il sera peut-être judicieux d’ouvrir le cahier des charges pour avoir quelques cépages plus résistants. La viticulture est-elle réceptive par rapport à ce que préconisent les scientifiques ? Je dirais que les vignobles essayent de faire évoluer leurs pratiques, en matière d’agro-écologie et de surface de culture. Mais c’est un milieu où l’on se reporte au passé, au terroir, où les savoirs sont ancrés.

Les Vignerons de Buzet testent la vigne de demain avec New Age (3/4).