Yolaine de la Bigne  : « Être un animal sauvage aujourd'hui, c'est un miracle »


Publié le 4 Mai 23 à 12 :00 

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qu’elle proposait sur France Info), ses écrits (Les 12 sagesses des animaux, Les Secrets de l’intelligence animale ou encore Mon année zéro souffrance animale), la journaliste Yolaine de la Bigne sera à Évreux (vendredi 5 mai, à 18 heures, au Cadran) pour une conférence qu’elle animera sur le thème : Mini-monde vaste sujet, dans le cadre du festival Les AnthropoScènes 2023. Avant qu’elle ne prenne la parole, on a fait un état des lieux avec elle. De l’intelligence à la condition animale, en passant par l’avenir de l’Homme.  Avec l’Anthropocène, Yolaine de la Bigne est en terrain connu. « J’ai monté un magazine avec une web-radio sur l’environnement. Déjà, tout ce qui est lié à l’écologie, ça me parle. Là, je suis plus branchée sur tout ce qui est biodiversité et protection animale. Et je me suis spécialisée sur les intelligences animales, et tout ce qu’on découvre depuis une quarantaine d’années », précise-t-elle. On s’interroge, pourquoi l’Homme a-t-il nié l’évidence d’une intelligence animale pendant tout ce temps ? « Pour plusieurs raisons, estime-t-elle. Depuis toujours, les religions, notamment les monothéistes, le christianisme a fait énormément de mal à la cause animale, les philosophes, on connaît tous Descartes : l’animal est une machine… En fait, on a toujours méprisé les animaux, rappelle-t-elle. Parce que ça nous arrange bien. Lorsque vous exploitez quelqu’un ou un être… C’est un peu le même combat que pour le racisme. L’esclavage, on a passé notre temps à dire que les Noirs étaient bêtes. Les femmes, pendant des années, on s’est demandé si elles avaient une âme. On disait qu’elles étaient bêtes, futiles, bavardes. C’était une bonne façon de les exploiter. Pour ce qui est des animaux, ça rapporte énormément d’argent. De la viande à la fourrure, en passant par les jeux comme la corrida, la chasse. »« Comme l’animal n’a pas le même langage que nous, poursuit-elle, comme il ne peut pas parler comme nous, alors qu’il a un langage – qu’on découvre aujourd’hui – extrêmement sophistiqué, souvent plus que le nôtre, comme on ne s’intéresse pas du tout à ce qu’il a à dire, eh bien, on l’a exploité gentiment pendant des années. Il y a eu quelques penseurs un peu géniaux, Léonard de Vinci a été le premier, plus récemment c’est [Charles] Darwin – qui est un vrai génie de la cause animale. Il a tout compris avant l’heure. Il a découvert que, dès qu’il y a du vivant, il y a de l’intelligence, en s’inspirant d’animaux que les gens méprisent, comme le ver de terre. Les gens le trouvent moche, sale ; en attendant, c’est le meilleur ingénieur de la terre qui existe, il connaît mieux la terre que nos agriculteurs. D’ailleurs, là, on veut aller sur Mars pour voir si on peut exploiter la terre, et qu’est-ce qu’on va faire? On va emporter des vers de terre ». Le progrès technologique permet de porter un nouveau regard sur ce qui nous échappait jusque-là, souligne-t-elle.

Yolaine de la Bigne  : « Être un animal sauvage aujourd'hui, c'est un miracle »

C’était très tabou avant : être végétarien, c’était être l’emmerdeuse.

Yolaine de la Bigne

« Grâce aux drones, par exemple, depuis une dizaine d’années, on arrive à comprendre les animaux marins. Avant, étudier des cachalots ou des baleines, c’était super compliqué. Maintenant, on peut les suivre. Il y a aussi la miniaturisation, on arrive à poser une petite puce sur un animal pour le suivre et comprendre comment il vit. Il y a l’informatique, évidemment, qui permet l’échange de savoirs. Tout ça fait qu’on a énormément découvert de choses sur les animaux. Le progrès de la biologie aussi. Et l’évolution des gens. À l’époque de Darwin, on était tellement tous catholiques qu’on ne pouvait pas entendre que l’Homme n’était pas la créature suprême créée par Dieu. Alors qu’aujourd’hui, on est tout à fait prêt à comprendre des choses comme ça. Les Français sont très, très en retard sur tout ce qui concerne la nature et les animaux, observe-t-elle. Et puis il y a les nouvelles générations. J’ai écrit un livre qui s’appelle Mon année zéro souffrance animale, ça m’a frappé de voir à quel point c’est générationnel. En dessous de cinquante ans, les femmes ne portent plus de fourrure, les gens ne vont plus à la corrida, etc. En fait, les gens qui n’en ont rien à faire des animaux, ce sont souvent des gens d’un certain âge, constate-t-elle. Ils s’accrochent à une certaine conception de la vie où l’être humain est le seul intelligent, le seul qui domine le reste du monde ». « À partir de là, ce qu’on découvre, c’est du délire, assure-t-elle. Moi, quand j’ai découvert ça, il y a 8 ans, j’ai constaté que personne n’en parlait plus que ça. Moi, ça me passionne. Comme je suis journaliste, je me suis donnée pour mission de porter la parole de tous ces gens qui souvent – malheureusement – ne sont pas assez médiatiques. On ne les entend pas souvent en télé ou en radio. » Sa prise de conscience date de cette époque ou était-elle antérieure ?, l’interroge-t-on. « J’ai découvert ça un peu par hasard, reconnaît-elle, lors d’une interview d’un vétérinaire spécialisé dans les animaux sauvages, Norin Chai. J’étais sur l’environnement, à l’époque. Je lui dis : c’est terrible, avec la 6e extinction, des animaux vont mourir ? Et il me répond très calmement : oh, les animaux, il y en a qui vont s’en sortir, l’Homme, en revanche, ça va être chaud, parce qu’il y a toute une intelligence écologique qu’il n’a pas. C’est la première fois qu’on me donnait cet argument de l’intelligence écologique. C’est à partir de là que j’ai commencé à me passionner pour ça. C’est un sujet assez époustouflant ». Tout ça devrait nous à amener réfléchir au moment de mettre un animal dans son assiette, lui fait-on remarquer. « Je suis végétarienne depuis 35 ans. Ce qui me frappe, c’est que dans tous les événements que j’organise, je suis quasiment la seule. Un jour, j’ai eu cette discussion avec des gens qui adorent les animaux, qui les protègent, ils m’ont tous répondu : ben, oui, mais c’est bon ! Je leur ai rétorqué : il y a ceux qui sont dirigés par leur estomac et ceux qui sont dirigés par leur cerveau, rit-elle. Mais c’est la réalité. Ils culpabilisent un peu, hein. Ils savent bien que ce n’est pas top, mais ils ont la flemme. Vous savez très bien, souvent vous vous dites : il y a des choses, ça serait bien que je les fasse. Vous êtes plein de bonnes intentions, vous avez vu un documentaire de L214 qui dit : oh la la, c’est horrible, et après, bon, ben, il y a un bon saucisson qui passe… J’ai des discussions, on me dit : écoute Yolaine, l’Homme est omnivore, il mange des animaux, comme les animaux se mangent entre eux. Je suis assez d’accord avec ça. Mais j’ai choisi, en tant qu’être humain, j’ai envie d’être un peu au-delà de ça, un peu plus évolué. Et puis les animaux tuent d’une manière un peu saine, nous, ce qu’on leur fait, c’est dégueulasse, ce n’est pas acceptable pour un être humain. En tout cas, ce n’est pas ma conception de l’être humain. C’est pour ça que j’ai choisi cette voie, et que je n’ai jamais regretté, je me regarde dans la glace le matin sans avoir honte, c’est déjà pas mal. » Elle dit avoir eu le déclic, alors qu’elle était « enceinte de [son] deuxième enfant. Je regardais la télé – moi qui ne regarde jamais la télé -, je suis tombée sur un reportage de Brigitte Bardot, sur un abattoir. Et sur les chiens qu’on mangeait – après les avoir torturés – en Chine. Ça a été terrible. Je n’aimais pas spécialement la viande, mais je ne me posais pas de questions. J’ai eu vraiment un choc. J’ai accouché et je n’ai plus pu jamais manger de viande. Je n’ai jamais compris pourquoi. Mon mari a une explication un peu psychologique. Quand vous accouchez, on est très animal. Il y a du sang, du placenta, de la souffrance, la mort n’est pas très loin, la vie aussi, malgré toute la technologie, on n’est pas loin de toutes femelles, rit-elle, qui mettent bas, qui accouchent. Inconsciemment, je me suis sentie comme tous ces animaux qu’on torture, qu’on maltraite avant de les manger. Ça a été très compliqué vis-à-vis des autres. Pas du tout pour moi. Du jour au lendemain, je n’ai plus mangé d’animaux. Ça fait 35 ans, et ça me va très bien. Je pète le feu. En revanche, pour les autres… Au début, je me cachais. Les gens sont extrêmement agressifs en France. Aujourd’hui, ça a changé – grâce aux Anglo-Saxons qui ont beaucoup influencé les Français. C’était très tabou avant : être végétarien, c’était être l’emmerdeuse. Je disais toujours à mes copains, en riant, heureusement que je bois du vin rouge… »Vidéos : en ce moment sur Actu

Chaque animal a l’intelligence qui lui permet d’évoluer et de survivre.

Yolaine de la Bigne

chez les poissonsla fin de ce travail est prévue pour 2026. On essaie, quand même. On n’a pas encore réussi. C’est très nouveau. Là où je suis d’accord, c’est que je ne comprends pas qu’on mette autant d’argent dans le spatial, ça fait trente ans qu’on met un fric de malade là-dedans, pour finalement rien. Parce que ça n’a jamais rien donné. Alors que pour les animaux, ça serait extrêmement utile. Parce qu’ils peuvent nous aider dans beaucoup de domaines ». On s’étonne que personne ne s’étonne de cette richesse animale, ne soit vraiment curieux de cette forme de vie pourtant fascinante, juste là, sous nos yeux. « Il y a un côté fascinant, qui fascine les gens dès qu’on leur en parle, d’ailleurs, mais souvent les gens ont peur. Il y a un autre problème, aujourd’hui, qui est très nouveau, c’est l’inculture totale que nous avons de la nature. Ça, c’est un vrai souci. J’habite à la campagne, en Bretagne, même pour des fils d’agriculteurs, la nature, c’est sale, ça fait peur. On voit une araignée, on tombe dans les pommes. On voit un ver de terre, on dit : beurk, c’est dégueulasse. Je ne sais pas comment on va régler ça. C’est un vrai souci », insiste-t-elle.   « J’ai des voisins qui considèrent qu’on est sales, confie-t-elle. Parce qu’on laisse des endroits en friche. On laisse certaines ronces. Les ronciers, c’est génial. Il y a plein d’animaux qui s’y abritent. Mais pour mes voisins, c’est sale, ils ont cette obsession de la propreté et de la pelouse tondue. Malgré la canicule, nous, on avait un terrain magnifique, parce qu’on laisse un peu d’herbe, ça garde l’humidité, ça protège quelques animaux; ça, normalement, on devrait le savoir. Même dans les campagnes, on ne pense qu’à une chose, c’est avoir une maison bien propre », déplore-t-elle. Les animaux sont-ils capables d’apprendre de leurs erreurs et de modifier leur comportement ? « À fond !, tranche-t-elle. Là-dessus, ils sont plus forts que nous. Ils arrivent à s’adapter beaucoup plus vite. Parce que chez eux, c’est une question de survie – une fois de plus. Nous, on est très lents pour évoluer. Un animal est obligé de s’adapter très vite sinon il meurt ». S’adapteront-ils alors plus vite que nous au changement climatique ? « En soi, a priori, oui. Mais là où il y a une mauvaise nouvelle, c’est qu’ils sont attaqués de partout. Il y a le changement climatique qui est déjà dramatique. Il y a l’empoisonnement, on empoisonne les sols. Ensuite, comme on bétonne tout, ils ne savent plus où nidifier, où se protéger, où rencontrer un partenaire, etc. Et si jamais ils ont réussi à s’en sortir, ils sont chassés, et s’ils ont réussi encore à s’échapper, en général, ils tombent sur un chat qui va les bouffer… Être un animal sauvage aujourd’hui, c’est un miracle, en fait. Ils ont beau être malins, s’adapter, etc. eh bien, il y en a plein qui n’y arrivent pas, malheureusement. » Y a-t-il des animaux qui auraient un système d’organisation proche du nôtre, du capitalisme ?, lui demande-t-on. « Des organisations de société, il y en a en pagaille – surtout chez les insectes. Ce qu’on appelle l’intelligence collective, mais elle est très différente de notre système à nous. Le capitalisme est basé sur l’individualisme. C’est la liberté de gagner du fric. Si j’en gagne beaucoup, tant mieux pour moi, je serai riche. Tant mieux pour moi, je l’ai mérité. Alors que chez les animaux et avec l’intelligence collective, il y a toujours le sens du groupe. Parce que sans groupe, vous ne pouvez pas vivre. Donc, pour des fourmis, des oiseaux, des poissons, pour la plupart des animaux, l’important, c’est le groupe. Sauf, évidemment, pour les animaux solitaires. Non, je ne vois pas de système comme le capitalisme. Cette idée de s’enrichir est typique de la névrose humaine. Ça n’intéresse pas un animal. Une fois qu’il a mangé, il va dormir. Il est peinard. Le lion s’en fout d’avoir dix gazelles en provision. Il tuera une autre gazelle quand il aura faim. Alors que chez l’humain, on dit que le début des malheurs, c’est la propriété. Dès que les peuples nomades se sont installés et sont devenus sédentaires, à partir de là, on a voulu un troupeau plus gros que l’autre, une femme plus jolie, un terrain plus grand, une maison plus belle, et les guerres ont commencé. Et la jalousie. L’être humain est un être profondément jaloux. Ce qui n’est pas du tout le cas des autres animaux. Ça ne sert à rien la jalousie dans la nature. C’est que des emmerdes. Les animaux sont très pragmatiques. Ils veulent vivre. Ils ne font que ce qui va les aider à survivre. Le reste, ils s’en foutent. C’est là où ils ont beaucoup de leçons à nous donner », estime-t-elle. 

Les animaux sont très pragmatiques. Ils veulent vivre.

Yolaine de la Bigne

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