"En finir avec la seule logique du diplôme"  : les réponses à la quête de sens au travail des jeunes


« La jeunesse est au cœur de ce manifeste, explique Jean-Hervé Lorenzi, le président du Cercle des économistes et maître de cérémonie. Il faut absolument que les élites de ce pays s’engagent à endiguer le flux de jeunes qui quittent le système éducatif sans diplôme ni perspective d’emploi. »En amont de ces Rencontres, des milliers de 18-30 ans ont exprimé leur vision, à la fois inquiète et scrupuleuse, du monde du travail. Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, Philippe Brassac, DG du Crédit Agricole, Saïd Hammouche, entrepreneur social et fondateur du groupe Mozaik, et Hippolyte d’Albis, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, ont accepté de leur répondre pour L’Express.

« L’identité des jeunes est effacée au profit de la rentabilité et de la productivité. Changeons le travail, donnons-lui un sens réel !  » Pauline (Chatou)

C’est écrit comme ça la voiture que vous conduisez, sont des innovations portées par les entreprises. Si ces innovations sont utiles, ces mêmes entreprises vont avoir des clients, générer un chiffre d’affaires, dégager du profit. Montrer ce lien qui part de l’utilité pour aboutir au profit, cela paraissait être une révélation pour ces jeunes.

« Les gens vont au travail comme des machines, appliquent des ordres, puis rentrent chez eux avec le sentiment de n’avoir rien accompli. » Ines (Lyon)

L’une des raisons qui occulte cette utilité L’entreprise veut qu’ils développent leur capacité à exécuter Les dirigeants doivent s’astreindre à expliquer l’utilité de leur entreprise. C’est une discipline absolument nécessaire.Olivia Grégoire : On nous dit depuis des décennies qu’il faut faire des études, pour trouver un boulot, avec l’espoir d’un CDI – le Graal – qui nous assurera la sécurité de l’emploi et la possibilité de se mettre un toit sur la tête. Dans l’Hémicycle, on continue de légiférer en pensant que la liberté, c’est la sécurité et la propriété. Alors que la jeune génération se positionne sur une tout autre définition de la liberté, fondée sur la flexibilité et l’usage. Ce qui l’intéresse, c’est de pouvoir utiliser à un instant T ce dont elle a besoin : le ou la partenaire, avec Tinder ; la voiture, avec BlaBlaCar…La flexibilité, elle, englobe toutes les considérations autour de l’équilibre vie pro/vie perso. La pénurie de main-d’œuvre qu’on constate dans l’hôtellerie et la restauration ne vient pas de nulle part : les jeunes ne veulent pas travailler au détriment de leur couple ou de leur famille ; ils veulent avoir le choix de couper quand ils le souhaitent, quitte à travailler le soir et le week-end de temps en temps. C’est tout notre modèle de contractualisation, autour du CDI et du temps plein, et notre rapport au travail qui sont en train d’être chamboulés.La seule valeur que les jeunes « surpondèrent » par rapport à nous, c’est la liberté. Ils veulent faire le tour du monde entre deux boulots, quitte à manger des patates pendant des mois, ce que leurs parents ne se sont jamais autorisé.Ce n’est pas une génération de fainéants, comme on l’entend parfois, qui rejetterait en bloc le travail. Elle est exigeante, parce qu’elle a vu les méfaits du métro-boulot-dodo chez ses parents. Cette exigence passe notamment par le fait de pouvoir se dire chaque soir : qu’est-ce que j’ai fait d’utile aujourd’hui ? Finalement, je trouve que c’est plutôt à leur honneur.

« L’Education nationale n’accompagne pas bien les jeunes dans leur orientation. Beaucoup ne savent pas quoi faire après le bac. » Quentin (Bayonne)

L’arrivée de Parcoursup a engendré du désarroi chez les jeunes et leurs parents. Un rapport parlementaire vient d’ailleurs de pointer le manque de confiance croissant en cet outil. Au motif de plus d’égalité, on a recréé de nouvelles formes d’inégalité : les enfants des foyers aisés, qui veulent s’épargner le côté aléatoire de la plateforme, commencent à quitter le système universitaire français pour s’inscrire à l’étranger dans des bachelors. Concernant l’orientation, il est fondamental de dissocier les tâches, entre celui qui éduque – l’enseignant – et celui qui guide vers une filière. Ce ne sont pas les mêmes métiers. Pour progresser dans un apprentissage, il faut pouvoir échouer. Donc avoir une relation de confiance avec l’enseignant. Lequel est de plus en plus sommé de jouer le rôle de conseiller. Réduire le temps de transmission à un temps d’orientation est fort dommageable.

« Avec les progrès technologiques, on perd l’idée de pouvoir faire quelque chose d’original qui changerait le monde. Ça décourage. » Evan (Caen)

Jamais d’intelligence naturelle et ils l’expriment à travers cet appel au « sens » A un moment donné c’est qu’autrefois, la machine remplaçait les biceps. Demain, elle remplacera les cerveaux. Il faut entendre cette inquiétude, mais sans verser non plus dans un pessimisme excessif. L’IA n’a pas réellement de fonction créative, elle permet surtout à l’homme d’aller plus vite. Quand DeepBlue a battu pour la première fois un champion du monde d’échecs en 1997, ce fut un traumatisme. Vingt-cinq ans plus tard, on continue de jouer à ce jeu, pour le plaisir.Olivia Grégoire : Il y a un retour vers les métiers d’artisanat et d’art. Pourquoi ? Parce que les jeunes reviennent vers des métiers de la main, du geste, dans lesquels ils trouvent le plaisir de faire. Et plus encore, de faire de A à Z. Plus le monde se virtualise, et plus le tangible leur parle. Le défi maintenant, c’est que les entreprises fassent elles-mêmes leur révolution.