Dans la conquête spatiale, la Russie est devenue un « personnage secondaire »


Sur Terre « Il s’agit d’un événement spatial qui s’inscrit sur un temps très long. On parlait déjà de cette mission en 2010 et en 2016, on ne peut absolument pas considérer qu’il s’agit d’une décision qui revêt un sens politique immédiat », avertit Isabelle Sourbès Verger, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des questions de géopolitique de l’espace et des politiques spatiales.

Etats-Unis et Chine, deux sphères d’influence

Toutefois, ce lancement « s’inscrit dans un contexte particulier que certains appellent la nouvelle course à l’espace. A minima, on observe un nouvel élan vers la Lune », note Olivier Sanguy, responsable de l’actualité spatiale à la cité de l’espace de Toulouse. L’investissement financier des années 1950 à 1970 est incomparable, proportionnellement, avec celui d’aujourd’hui. Les projets semblent aussi répondre à des objectifs scientifiques et économiques, plus précis et plus terre à terre. Mais la Lune continue d’attirer des projets du monde entier. Dans ce désir d’explorer ce satellite qui éclaire nos nuits, la Russie est toutefois devenue un « personnage secondaire ».

« Il y a deux nouveaux grands blocs qui vont s’affronter pour la Lune. Le bloc américain avec ses partenaires japonais, européens et canadiens et le bloc chinois avec son partenaire russe », simplifie Olivier Sanguy. « Mais ces blocs ne sont pas aussi marqués que lors de la course à l’espace, on n’a pas vu de discours comme celui de Kennedy en 1962. », note-t-il. Le lancement de Luna-25 ne marque donc pas le début d’une nouvelle guerre de l’exploration spatiale entre Moscou et Washington. Toutefois, « le succès ou l’échec de cette mission va bien évidemment avoir un retentissement médiatique, diplomatique, psychologique inévitable, dans le cadre d’un regain des tensions avec la Russie », note la directrice de recherches au CNRS.

Le spatial, « un élément absolu de la puissance » américaine

A l’époque de la course à l’espace, Washington et Moscou mesuraient leurs puissances respectives à l’aune de leurs accomplissements dans la découverte du cosmos. « C’était une symbolique de la puissance avant Apollo. Aujourd’hui, il s’agit plutôt d’un retentissement médiatique, d’image internationale et de fierté nationale », estime Isabelle Sourbès Verger qui rappelle que les médias occidentaux ne donnent pas la même place à d’autres événements, à l’instar du lancement d’une mission japonaise ou de l’échec d’une sonde israélienne en 2023. D’autant que le « programme spatial de la Russie est de l’ordre de 5 milliards de dollars par an contre 60 milliards pour les Etats-Unis », rappelle-t-elle, ajoutant que Washington est « une puissance spatiale exceptionnelle ».« Pour les Etats-Unis, le spatial est un élément absolu de leur puissance mondiale. Il joue dans leur vision de gendarme du monde, du soft power ou des enjeux économiques du marché de l’espace », note la spécialiste des questions de géopolitique de l’espace. « Les Etats-Unis sont toujours dans le dogme de la « space dominance », on ne peut pas être la première puissance mondiale sans être le premier dans l’espace », note Olivier Sanguy. En se lançant à la conquête de la Lune, les Américains espèrent donc appuyer une nouvelle fois leur hégémonie.

Coups de pouce et coups d’arrêt

« Les sites scientifiquement pertinents ont été répertoriés, ils sont au nombre de treize et tout le monde veut s’y poser rapidement. C’est un peu comme à la plage, le premier qui pose son parasol n’est pas délogé  !  », explique-t-il. Car tous les acteurs espèrent « installer une base » à « moyen ou long terme ». La « logique Apollo » est complètement dernière nous. Aujourd’hui, l’objectif est d’utiliser la Lune comme un tremplin vers mars et, donc, « d’être capable de fabriquer sur place les ressources dont on a besoin », détaille Olivier Sanguy. Pour aller plus vite, les différentes agences spatiales se donnent des coups de pouce.

« L’ESA devait contribuer à Luna-25 mais l’invasion en Ukraine a mis un coup d’arrêt à cette coopération », déclare Isabelle Sourbès Verger. La coopération interétatique, voire avec des entreprises privées comme SpaceX, semble permettre à de nombreux acteurs de la scène spatiale de chausser plus rapidement leur scaphandre. Malgré de très fortes tensions internationales, la Russie continue de collaborer avec les nations occidentales sur l’espace, notamment en partageant la station spatiale internationale (ISS). Pour le moment. « Il y a dix ans, ils envisageaient de suivre le programme américain et de continuer leur coopération sur et autour de la Lune. Mais aujourd’hui la question ne se pose plus », tranche Isabelle Sourbès Verger.