Bassem, Olga, Sofi, Oleksandra, Tany et Elena font partie des quelque 100 000 Ukrainiens accueillis en France. Il et elles ont quitté l’Ukraine après le début de l’invasion russe, le 24 février dernier et ont été accueillis par la France comme réfugiés. Certains pensaient ne rester qu’un mois, d’autres espèrent ne pas quitter l’Hexagone ; ces réfugiés ont en commun des histoires de déchirement et de deuil de leur vie d’avant. Et une question, qui revient en fil conducteur : comment se reconstruire et avancer quand on a laissé son pays, ses proches et sa vie à 3 000 kilomètres ?
Pour franceinfo, cet homme et ces femmes ont accepté de raconter leur quotidien dans leur pays d’accueil, entre problème de logement, difficulté à faire son deuil, à étudier ou à créer.
« J’ai mis deux mois à comprendre à quel point j’étais triste »
Sofi Zakrasniana, 16 ans, est accueillie à Alixan (Drôme). Elle avait peur d’étudier en français avant d’arriver sur place. (FRANCEINFO / PIERRE MOREL)
dans la Drôme je suis devenue plus réservée. J’ai mis deux mois à comprendre à quel point j’étais triste. Triste de perdre tout ce que j’avais.
Je me suis accrochée. J’ai été fâchée, en colère, puis j’ai accepté.
Mon rêve est d’avoir deux formations : devenir psychologue pour enfants et étudier les sciences politiques. J’avais le projet de partir à l’étranger, mais jamais je n’aurais pensé que cela se ferait dans de telles conditions. Je rêve du Canada, mais là-bas, les études ne sont pas gratuites, et mes deux parents ont perdu leur travail avec la guerre. Je ne sais absolument pas où je pourrai aller.
« En même temps, il est plus rassurant d’être en sécurité, de ne plus entendre les sirènes. Elles me donnaient envie de pleurer. »
Sofi Zakrasniana
à franceinfo
en France, je prépare l’équivalent du bac ukrainien. C’est étrange, car je ne pourrai pas le passer. Il faut être en Ukraine pour cela. Pourrai-je retourner à Kiev dans un an ? Je n’en sais rien. Cela m’inquiète beaucoup, car il me faut cet examen pour poursuivre mes études.
« Je ne peux créer que des œuvres liées à cette guerre »
Tany Cheprasova, réfugiée à Paris, est artiste. Elle explique ne pouvoir créer que des oeuvres en rapport avec la guerre en Ukraine. (FRANCEINFO / PIERRE MOREL)
à Paris. Ma place, c’est celle au fond, derrière le grand chevalet. Je viens tous les jours, du matin au soir. Je crée, je dessine, je peins. Vous avez vu à l’entrée, ça s’appelle « L’Atelier des artistes en exil ». Ça porte bien son nom puisque j’ai quitté Kiev fin mars à cause de la guerre. J’ai pris peu de choses avec moi. Juste cette trousse rouge avec des crayons et des marqueurs que j’emmène partout, et ce dossier dans lequel je stocke des croquis. Je pensais que j’allais rentrer vite. Et ça fait cinq mois que je suis là.
Ni les tubes de peinture sur les étagères, ni les pinceaux sur la table. Ce pinceau que j’utilise beaucoup, je l’appelle « mon amour ». »
Tany Cheprasova
à franceinfo
J’ai aussi ce portrait en cours. C’est une vieille dame originaire de Marioupol, une rescapée de l’Holocauste, qui a dû de nouveau fuir sa ville.
J’avais des blocages
c’est important pour moi Je laisserai aussi les pinceaux, même celui que j’appelle « mon amour ».
« Je réalise que mon père est mort »
Oleksandra Zakrasniana, réfugiée à Alixan dans la Drôme, a enquêté depuis la France sur la mort de son père, au troisième jour de la guerre en Ukraine. (FRANCEINFO / PIERRE MOREL)
Oleksandra Zakrasniana, 40 ans, Alixan (Drôme). Au troisième jour de la guerre, des soldats russes ont tué mon père dans le village où je suis née. Ils l’ont fusillé en public. Nous l’avons appris le soir même, alors que nous étions déjà en Moldavie. Nous n’avons pas pu l’enterrer. Son corps est sûrement dans une fosse commune, quelque part.
J’ai cherché tous ceux qui étaient prêts à témoigner pour ce crime. Depuis la France où nous sommes arrivées le 13 avril, avec ma fille et ma mère, j’ai échangé avec plus de vingt personnes, localisé l’endroit où papa a été tué. Je suis repartie trois jours à Lviv témoigner auprès de la police et faire un test ADN pour tenter de retrouver son corps. Cela m’a occupée chaque jour pendant plus de deux mois. C’était mon devoir. Je ne pouvais pas ne pas le faire. Je serai soulagée quand nous aurons trouvé sa tombe, quand les coupables seront punis.
Mon sentiment est impossible à décrire. J’ai eu une haine très forte envers les soldats russes. Je me demande : « Pourquoi ? » Je réalise que mon père est mort. Mais il n’a pas pu être enterré, et cela empêche un processus de deuil. Perdre l’accès à son village natal, c’est aussi, en quelque sorte, un deuxième assassinat. Avec ma famille, nous voulons construire un monument en hommage à papa, à l’endroit précis où il a été tué.
« Je n’ai pas encore tourné la page. Mes émotions vont d’un extrême à l’autre. »
Oleksandra Zakrasniana
à franceinfo
Avec ma formation de psychothérapeute, je comprends ce qui se passe. Je cherche la motivation et la force pour recommencer à vivre de nouveau. Savoir que ma fille est en sécurité, avec moi, me donne de la force. Le soutien de nos proches et de la famille qui nous accueille aussi.
Je vois le chemin parcouru : ma fille est scolarisée, j’ai commencé les cours de français, je recherche un emploi. J’ai posé des bases sur lesquelles je pourrai m’appuyer. Si papa était en vie, il me dirait que j’ai sauvé le reste de la famille. J’ai réussi à amener maman en France. Elle est hospitalisée depuis un mois. Grâce à cela, j’ai pu prolonger sa propre vie.
« J’aimerais que la France donne des visas aux étudiants étrangers »
Bassem, tunisien de 21 ans, étudiait à Odessa (Ukraine) avant que la guerre éclate. Il espère pouvoir obtenir un visa pour rester à Paris. (FRANCEINFO / PIERRE MOREL)
Bassem, 21 ans, Andrésy (Yvelines). Je n’étais à Odessa que depuis trois mois quand la guerre a éclaté. Je suis tunisien et j’ai quitté mon pays pour suivre un doctorat de psychologie en Ukraine. Je venais à peine de commencer ma première année. J’aimais beaucoup la ville, mais je n’ai pas eu le temps de vraiment la découvrir.
J’ai décidé de partir d’Ukraine avec un ami le 27 février, en car, en direction de la Moldavie, parce que l’on entendait constamment des bombes tomber. Mon ami avait peur. Moi non, je m’étais préparé à l’idée d’un départ. Nous n’avons passé qu’une seule journée en Moldavie avant d’arriver à Iasi, en Roumanie, où un avion affrété par mon pays devait décoller pour la Tunisie. J’ai décidé de ne pas monter dedans.
« Je ne veux pas revenir en Tunisie, où il y a trop de problèmes de sécurité, l’éducation n’est pas au même niveau. Je n’y ai pas de futur. »
J’ai pris un train pour Bucarest où je suis resté trois mois. Puis j’ai passé trois semaines en Allemagne. Je m’y plaisais, mais il n’y avait aucune opportunité pour moi là-bas. Je suis finalement arrivé à Andrésy, dans les Yvelines, en juin, où j’ai rejoint un autre ami qui y habite.
Je cherche aussi du travail pour avoir un peu d’argent. Je peux tout faire, et j’ai entendu dire que certaines universités pourraient accepter des étudiants sans papiers. On verra si c’est vraiment le cas. Tout cela est très compliqué, car tous mes documents d’identité et mon diplôme sont restés en Ukraine. Je n’ai aucun moyen d’y avoir accès et je ne peux donc pas m’inscrire. Je veux demander le statut de réfugié, mais l’Etat français nous dit de rentrer chez nous, en Tunisie. J’aimerais que les autorités donnent des visas aux étudiants étrangers qui ont fui l’Ukraine et qui sont en France. Bien sûr, je ressens de la tristesse et je suis inquiet, mais je dois continuer à avancer.
« Loin de ma maison, je ressens comme un vide »
Elena Yarovenko et son fils Bogdan son arrivés à Viarmes (Val-d’Oise) après avoir respectivement quitté Marioupol et Kherson (Ukraine). La vie d’Elena en Ukraine lui manque chaque jour. (FRANCEINFO / PIERRE MOREL)
nous manquions d’eau et de nourriture. C’était terrifiant. Maman ne voulait pas partir : « C’est ma maison. Comment pourrais-je partir ? » me disait-elle. Elle est morte fin juin, quand nous étions en Pologne. J’avais besoin de fuir la guerre, mais aussi de fuir son décès.
Viarmes est une très belle ville, calme, et les gens sont accueillants. Nous essayons d’apprendre le français avec Grégory, qui nous a permis d’être hébergés. J’essaie de tout noter pour travailler la prononciation. Je peins chaque jour, je cuisine, je me promène au parc.
« J’aime ce nouveau pays, sa langue, sa culture. Mais c’est un pays différent. Tout est différent. »
Elena Yarovenko
à franceinfo
Et une part de moi dit : « Je veux rentrer chez moi ». Ces paysages qui m’entourent, ce n’est pas l’Ukraine. De nombreux amis sont toujours à Marioupol et ce qu’ils m’écrivent est terrifiant. D’autres sont en Allemagne, en Suisse, en Israël. Je veux rentrer chez moi. Je suis loin de ma maison, et je ressens comme un vide en moi. La France, comme l’Ukraine, sera peut-être dans mon cœur un jour. Mais j’ai besoin de temps pour cela.
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Olga Vasylchenko a trouvé refuge en France pour que son fils Myron (15 ans) puisse poursuivre ses études. (FRANCEINFO / PIERRE MOREL)
Olga Vasylchenko, 51 ans, Toulouse (Haute-Garonne). Je suis partie de Kiev le 17 mars avec mon fils de 15 ans, Myron. L’immeuble où j’habitais n’était pas loin de Boutcha et d’Irpin et les bombardements y étaient très intenses. J’ai choisi la France comme point de chute car je voulais un pays où mon fils puisse continuer ses études. J’ai trouvé une famille d’accueil grâce à Facebook. On a été très bien accueillis, mais la maison était située loin de tout. Le village le plus proche était à plus de 2 km. Heureusement, nos hôtes m’ont aidée à trouver une autre famille d’accueil, plus proche de Toulouse. J’ai été soulagée et j’ai pu inscrire mon fils au collège.
les réfugiés. Finalement, on nous a demandé de partir.
Grâce à l’aide d’une association, on a pu trouver une autre solution d’hébergement. Un ancien monastère reconverti en centre d’accueil temporaire, en banlieue de Toulouse. Le problème, c’est que l’endroit est loin de tout. Il n’y a pas de magasins, un bus qui ne passe plus après 19 heures. Le pire, c’est qu’on se retrouve à 2 heures de voiture du collège de mon fils.
« Je ne sais pas comment je vais régler ce problème, mais je vais le régler. Je n’ai pas le choix, car je veux que Myron puisse rester dans le même établissement. »
Olga Vasylchenko
à franceinfo
parce que là-bas, Myron ne pourra pas recevoir l’éducation que je veux pour lui tant que la guerre n’est pas terminée. J’espère que nous pourrons trouver une solution de logement en France à long terme. Je ressens un désespoir total à cause de tout cela.