Publié le 28 Juil 22 à 18 :12
Lorraine Actu
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/ol>Lorraine Actu a contacté des témoins de cet usage abusif, dont une personne diabétique, le CHRU de Nancy, l’Ordre des Pharmaciens et la société leader du marché de ces capteurs pour vous expliquer de quoi il retourne dans cette polémique…
Vu en boîte
Samir et Sasha (prénoms modifiés) sont en institut de formation en soins infirmiers (IFSI). Ils ont 22 et 23 ans, et connaissent bien les capteurs (lecteurs) de glycémie utilisés par les personnes atteintes de diabète. En effet, Imane, une de leur amie, en porte un depuis 2018.Ils étaient tous les trois, un jeudi soir, dans une boîte huppée de Nancy où quelques têtes connues de la Tiktok-sphère nancéienne étaient également présentes.
Ils étaient dans un coin de l’établissement, en groupe, tous très branchés « bien-être » ou sport sur les réseaux. On avait déjà connaissance du phénomène via TikTok et d’un débunkage fait par coco_and_podie , une instagrammeuse diabétique qui fait de la vulgarisation de la maladie. Imane a très vite compris que malgré le capteur, rond et blanc donc facilement visible en boîte sur bras nu, les gens présents n’étaient pas diabétiques. Le problème pour nous c’est pas quelques personnes qui en font un usage abusif. C’est que notre amie, au quotidien, souffre vraiment ! C’est pas un accessoire de mode !SamirAmi d’Imane
Même son de cloche chez ses amies, qui rappellent toutes deux que les patients atteints de diabète ne portent pas ce dispositif par plaisir.Imane, atteinte de diabète de type 1, est insulino-dépendante : « Sans ce dispositif médical, ma vie serait bien plus complexe. Se piquer en public, y penser assez régulièrement pour pallier les trop grandes variations de glycémie et avoir cette pression constante de risquer un malaise ou un coma… Les gens ne se rendent pas compte ».
Inutile, voire dangereux
Vous pensez que contrôler votre taux de sucre dans le sang peut vous permettre de perdre du poids ?Vidéos : en ce moment sur ActuBruno Guerci, chef de service endocrinologie, diabète et nutrition, explique pourquoi ce n’est pas possible :
Tout d’abord, une personne en bonne santé n’a pas de pics de glycémie, excepté en dehors des prises de repas mais dans des limites acceptables, et surtout pas d’hypoglycémie. Seules les personnes diabétiques (ou atteinte d’une autre pathologie influant sur la glycémie, ou un traitement abaissant le taux de glucose circulant) y sont sujettes. De plus, que vous preniez ou perdiez 3 kg, le taux de sucre dans le sang reste extrêmement stable.Professeur Bruno GuerciChef de service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition
« Stable ». C’est à dire que la valeur normale de la glycémie, chez une personne à jeun est comprise entre 0,7 et 1,1 g/l (de sang). Elle peut monter à 1,8g/l au cours de la journée (avec les repas) sans que cela ne soit problématique.
En savoir plus sur la glycémie
On commence à suspecter un diabète si la glycémie est supérieure à jeun à 1,26g/l. Une hyperglycémie -toujours à jeun- peut être aussi le signe de :- une atteinte du pancréas, comme une inflammation ou un cancer ;- une hyperthyroïdie (la glande thyroïde sécrète dans ce cas trop d’hormones thyroïdiennes) ;- ou encore un stress, causé par un traumatisme.Au contraire, une glycémie trop basse, on parle alors d’une hypoglycémie, peut être le signe de :- une dénutrition ;- une perte de poids importante ;- une consommation excessive d’alcool ;- une insuffisance surrénalienne ou hypophysaire ;- une hypothyroïdie (la glande thyroïde sécrète dans ce cas trop peu d’hormones thyroïdiennes).Notons qu’une hypoglycémie ou une hyperglycémie peuvent entraîner un malaise ou même un coma.
En vente sur ordonnance, seulement dans les pharmacies
Plusieurs capteurs sont plébiscités par les personnes diabétiques (FreeStyle Libre (Abbott), Guardian (Medtronic) et Dexcom G6 (Dexcom)). Celui au centre de la polémique, rond, blanc, de la dimension d’une pièce de deux euros, c’est le FreeStyle 2, commercialisé par Abbott.La société a répondu à nos questions, par mail :
Le capteur de glucose est un dispositif médical destiné aux personnes vivant avec un diabète. Il est remboursé par la sécurité sociale sur prescription médicale spécialisée depuis 2017 pour les personnes ayant un diabète traitées par une insulinothérapie intensifiée. Abbott travaille en étroite collaboration avec les associations de patients, les diabétologues et les autorités de santé depuis la mise sur le marché de ce capteur.AbbottUn des leaders du marché
Néanmoins, le « FreeStyle » – un des dispositifs les plus populaire du fait de sa durée de vie de 14 jours – est en vente libre sur le site de la société qui le commercialise.
Vente libre et usage de dispositif médical
Il est donc aisé de s’en procurer par ce biais, moyennant toutefois 59,90 euros, plus la livraison. Des sites revendeurs sur le net, dont le géant Amazon, propose également des capteurs, ou lecteurs, de glucose, à des tarifs plus élevés.Pour ces deux cas, aucun justificatif, ni ordonnance. Il s’agit de vente libre, nous avons par ailleurs simulé un achat pour nous en assurer.Un autre dispositif existe, lui aussi en vente libre, impliquant également le capteur développé par cette marque : le « Supersapiens ». Il s’agit d’un « programme d’entraînement » développé pour les sportifs.La marque nous confirme d’ailleurs sa commercialisation : « Il existe une version de capteur LibreSense destinée aux sportifs de haut niveau pour l’entrainement. Il est en vente sur le site ».Les influenceuses concernées par la polémique ont assurée (sur les réseaux) en majorité se fournir en capteurs via ce dernier biais. Coût : de 150 euros mensuel pour deux capteurs à 700 euros pour neuf pièces, avec -en sus- une application pour smartphone « Supersapiens », et un livret explicatif sur la glycémie envoyé par mail.
Un possible trafic d’ordonnance ?
Outre la possibilité de se fournir en libre service, Lorraine Actu s’est interrogé sur d’autres voies possibles pour se procurer le dispositif à moindre coût.Trafic d’ordonnance, usurpation d’identité, la réutilisation de capteurs ou détournement du matériel d’un proche…
Concernant le trafic d’ordonnance, nous sommes très vigilants, nous y faisons face régulièrement pour des médicaments. il s’agit d’un dispositif médical et la pharmacie n’est pas la seule source d’approvisionnement. Il faut tout de même alerter et redoubler de vigilance puisque ce comportement pourrait mettre des patients en difficulté. Nous allons travailler à renforcer notre stratégie pour éviter cette dérive, ainsi que l’utilisation de l’ordonnance d’un proche.
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Qu’en est-il du risque de rupture de stock ?
Abbott répond sur ce point à Lorraine Actu : « Nous ne rencontrons aucun problème de stock actuellement pour les patients ».Du côté des pharmacies nancéiennes, nous n’avons pas les mêmes échos. Selon elles, des « tensions sur l’approvisionnement, se produisent par période. Elles peuvent effectivement pénaliser momentanément les patients ».Des tensions confirmées par Bruno Maleine : « Depuis la commercialisation des capteurs, nous sommes souvent en tension d’approvisionnement avec Abbott. Nous avons même été contingentés sur les capteurs FreeStyle ».
Entre législation autour des dispositifs médicaux et intérêts
Du côté d’Abbott, la réponse donnée concernant la vente libre est la suivante : « La règlementation de ce dispositif autorise la vente sans ordonnance aux personnes atteintes de diabète non éligibles aux indications du remboursement en pharmacie ou sur site. » Et, légalement, nous l’avons vérifié sur le site de l’ANM (Agence Nationale du Médicament), c’est juste.Néanmoins, le phénomène encouragé par les influenceurs inquiète, du fait de sa possible diffusion auprès d’un large public :
Si le phénomène prend de l’ampleur, nous devrons envisager des discussions avec Abbott.
Le statut de dispositif médical, en ce cas, implique que les capteurs n’appartiennent pas au monopôle des pharmaciens. On les dispense, mais nous ne sommes pas les seuls.
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Il est à se demander si le mésusage fait de ce dispositif, qui remue désormais le débat public autour des dispositifs médicaux, ne serait pas susceptible de faire bouger les lignes en matières de gestion et de législation.Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Lorraine Actu dans l’espace Mon Actu. En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.