« Il n’y aura pas de place pour l’improvisation dans les mois à venir », avertit la ministre fédérale de l’Énergie, qui veut parer à toutes les éventualités avec son ‘plan hiver’.
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Tinne Van der Straeten rappelle qu’entre ces deux grands voisins, la Belgique est plutôt bien positionnée : nous pouvons compter sur le gaz norvégien et le GNL (gaz naturel liquéfié), des flux importants viennent également du Royaume-Uni. « Ce sont des flux qui ne sont pas menacés par le dictateur Vladimir Poutine. Et nous importons beaucoup plus que ce dont nous avons besoin, en été mais aussi en hiver. »
Le gouvernement avance un « plan hiver » pour l’énergie
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On l’interroge sur le risque que certains fournisseurs qui approvisionnent aujourd’hui la Belgique ne détournent ce gaz vers l’Allemagne. « L’Allemagne n’a pas de capacité d’accueil de GNL », répond la ministre. « Et la destination des gazoducs ne peut pas changer. Ni Fluxys, le gestionnaire du réseau de transport de gaz, ni la Creg n’ont relevé de risque en la matière. Cela ne fait pas partie de nos inquiétudes. »
Quels sont les risques, alors?
Une inquiétude est que les transporteurs doivent acheter le gaz à des prix élevés et s’exposent donc à des problèmes financiers les empêchant de nous approvisionner. Un autre risque, c’est que les cargos GNL changent de direction. C’est la raison pour laquelle nous militions depuis des mois pour des achats groupés au niveau européen, à un prix de référence qui est celui du Henry Hub, aux États-Unis. Nous voulons que la plateforme d’achats groupés européenne soit opérationnelle.
Vous craignez donc un détournement du GNL vers l’Asie ?
Oui. C’est ce qui s’est passé au début de la crise énergétique, avant la guerre en Ukraine, avec la reprise post-covid.
Et puis il y a les prix, qui sont excessifs – ils étaient encore à plus de 170 euros par MWh en début de semaine. Certains fournisseurs ne peuvent plus payer et ne parviennent plus à honorer leurs contrats et à approvisionner leurs clients. Nous voulons donc renforcer le rôle de Fluxys, qui est fournisseur en dernier ressort, pour qu’il puisse reprendre leurs responsabilités si nécessaire. Je veux être à 100% sûre que tout est en ordre si Fluxys doit agir. Il n’est pas question d’improviser cet hiver. Il n’y a pas de place pour cela, cette crise affecte déjà suffisamment notre économie et nos ménages.
« Il n’est pas question d’improviser cet hiver. Cette crise affecte déjà suffisamment notre économie et nos ménages. »
Nous allons aussi questionner la Creg pour voir si on peut travailler sur les sommes de plus en plus importantes que les fournisseurs doivent déposer en garantie pour s’approvisionner.
Où en sont les réserves de gaz?
Aujourd’hui, elles sont remplies à plus de 70%, nous avons un mois et demi d’avance sur le programme. L’objectif est de 90% et nous allons y arriver. En février, nous avons changé la loi afin que les capacités puissent être remplies plus vite. Parce qu’à partir de – 11 degrés, il est sûr qu’on aura besoin de ce stockage, d’autant plus s’il y a des problèmes dans les pays qui nous entourent.
Mais combien de jours de consommation cela représente-t-il?
Ce stockage ne représente qu’une dizaine de jours de consommation en hiver. Il n’a pas été conçu, et ne peut pas être utilisé, pour envoyer de grosses capacités en continu. C’est pourquoi il faut s’assurer que la Norvège et le GNL continuent à nous approvisionner. Ce stockage est destiné à couvrir les pics de consommation et à lisser les prix, et il peut jouer ce rôle durant 40 à 50 jours.
Que peut faire la Belgique pour s’assurer que la Norvège et le GNL continuent à nous approvisionner?
Nous avons signé un MoU avec la Norvège en février, qui concerne l’hydrogène, mais aussi l’éolien en mer et le gaz, et renforce la relation privilégiée que nous avons avec ce pays.
Mais de quelles garanties disposez-vous que les opérateurs privés qui achètent ce gaz vont effectivement le livrer chez nous?
Notre meilleure protection est la capacité d’accueil du gaz dont nous disposons. Physiquement, le gaz entre en Belgique, et tant les ménages que les entreprises sont approvisionnés. Et cela ne fait pas partie des inquiétudes.
J’ai donc demandé à tous les acteurs qui ont des capacités de production de revoir leurs plannings, pour disposer d’un maximum de capacités durant l’hiver. L’hiver dernier, nous avons été exportateur net, nous voudrions réitérer cela cet hiver, afin également d’aider nos voisins.
Mais il y aura deux réacteurs nucléaires en moins cet hiver-ci…
C’est pour cela que j’ai demandé aux producteurs s’ils peuvent revoir les plannings de disponibilité de leurs centrales.
Doel 3 sera déconnecté dans la nuit du 23 au 24 septembre, confirme Engie
Avez-vous déjà reçu les réponses?
Pour Doel 3, j’ai expliqué mardi à la Chambre qu’il ne va pas être possible de le faire fonctionner plus longtemps, faute de combustible. Et l’arrêter maintenant pour le relancer plus tard pose une question de sécurité nucléaire. Pour Tihange 2, la situation pourrait être différente. Mais ce n’est pas dans mes compétences. C’est à l’opérateur et au régulateur, l’AFCN, à trancher. (NDLR : entre-temps, Engie a affirmé que la prolongation de l’activité de Doel 3 et Tihange 2 n’était pas possible.)
Nous allons recevoir les réponses durant l’été, et nous aurons une vue plus claire. Nous ne sommes pas dans une course contre la montre comme en 2018, où le parc nucléaire n’était pas disponible et où nous n’étions pas préparés. Je trouve hallucinants les messages alarmistes qui sont diffusés, y compris par des personnes qui ont occupé le même siège que moi, disant que nous allons connaître des pénuries. Ce n’est pas le cas. L’heure n’est pas au populisme, mais au sang-froid. La situation est grave, les foyers ont des difficultés à payer leurs factures et les industries doivent décider si elles peuvent encore produire ou non.
» Je trouve hallucinants les messages alarmistes qui sont diffusés, y compris par des personnes qui ont occupé le même siège que moi. »
Où en êtes-vous concernant les éventuels rationnements en gaz des industriels?
On affine les choses. Quand la Russie a envahi l’Ukraine, il existait un plan d’urgence, mais qui n’avait pas encore été promulgué. On l’a fait. Rappelons que les ménages sont des clients protégés. Ceux qui pourraient être rationnés, ce sont les entreprises. Mais le plan était linéaire : toutes les entreprises devaient faire un effort de x%. Or certaines peuvent faire plus, d’autres ne peuvent pas se permettre d’arrêter leur production. C’est pour cela que nous avons lancé une large consultation. Nous avons reçu les réponses, et certains constats nous inquiètent. Par exemple, sur les 706 entreprises qui ont répondu, 56% n’ont pas de plan d’urgence interne. C’est très interpellant: il faut agir.
« Sur les 706 entreprises qui nous ont répondu, 56% n’ont pas de plan d’urgence interne en matière de gaz. C’est très interpellant. »
L’industrie belge craint plus les prix de l’énergie que la pénurie de gaz
Concrètement, en cas de rationnement, y aura-t-il des entreprises prioritaires? Ou allez-vous faire appel aux volontaires?
Cela est discuté en ce moment au niveau du gouvernement. Nous essayons de prendre toutes les remarques en compte. Et il y a même de grosses entreprises qui viennent dire : nous, on va prendre nos responsabilités.
Les mesures du « plan hiver »
et il est demandé à Elia de remplacer ses capacités de réserve à l’étranger par de la gestion de la demande et du stockage.Du côté du gaz, la Belgique veut garantir son approvisionnement en consolidant ses relations avec la Norvège, en renforçant son hub GNL à Zeebrugge et en s’assurant que le stockage à Loenhout soit entièrement rempli. Un mécanisme de gestion de la demande va être développé, pour permettre à l’industrie de réduire sa consommation en hiver contre rémunération.Enfin, « l’utilisation responsable » de l’énergie va être promue, en concertation avec les Régions.
Cela veut-il dire qu’à un certain prix de gaz, la solution va venir d’elle-même, avec des entreprises qui arrêtent de produire et revendent leur gaz à d’autres?
Cela va être une des pièces du puzzle. On va demander à la Creg et à Fluxys de développer un produit spécifique pour cela – un mécanisme de gestion de la demande pour le gaz. Mais la situation est tellement urgente et complexe que l’on doit prévoir d’autres pièces de puzzle. On ne sait pas ce que Poutine va faire. On ne sait pas dans quelle mesure l’Allemagne sera atteinte. Nous sommes dans une situation irrationnelle. En tant que gouvernement, nous avons l’habitude de travailler avec des méthodes de temps de paix. nous sommes en situation de guerre, et nous devons adapter nos méthodes.
« En tant que gouvernement, nous avons l’habitude de travailler avec des méthodes de temps de paix. Il faut nous adapter. »
La question énergétique est cruciale pour notre économie et notre société. Avec des prix trop élevés, il existe un risque réel de ralentissement de l’économie parce que les industriels arrêteront de produire. C’est pour cela que nous devons travailler en amont, et également au niveau européen.
Vous dites que nous sommes en situation de guerre. N’aurait-il dès lors pas fallu procéder à un effort de guerre, avec toutes les mesures possibles de réduction de la consommation d’énergie?
Nous l’avons fait avec la campagne « J’ai un impact »…
Mais c’est une campagne très ‘light’. Elle ne limite même pas la vitesse sur les autoroutes…
Le 18 mars, après l’invasion de l’Ukraine, nous avons décidé de prolonger 2 GW nucléaires et d’accélérer la transition énergétique, en baissant la TVA, entre autres, sur les pompes à chaleur et les travaux d’isolation. Et en avril, nous avons lancé la campagne « J’ai un impact », qui prévoit notamment que la Régie des bâtiments baisse la température dans tous ses bâtiments de 1 degré.
La taxe sur les surprofits dans l’énergie déjà recalée
Cette semaine, vous avez annoncé une taxe sur les surprofits, qui a été aussitôt dézinguée par le cabinet du ministre des Finances… Avez-vous été surprise?
qui n’a d’équivalent dans aucun autre secteur. Et la Banque nationale indique qu’en Belgique, ces prix élevés sont davantage répercutés sur les consommateurs. Il y a donc une justice fiscale à rétablir.
Ce n’est pas le seul clash dans la Vivaldi. Est-il encore possible de travailler au sein de ce gouvernement?
Avec Vincent Van Peteghem, nous sommes arrivés à implémenter la norme énergétique, qui était discutée depuis 10 ans. Nous travaillons ensemble à la réforme des accises. Ce n’est pas parce qu’il y a un petit hic que tout est foutu.
Quelle place prennent les négociations avec Engie dans votre agenda? La deadline du 21 juillet tient-elle toujours?
et je le suis encore, dans la possibilité d’arriver à un accord favorable à tous les Belges. Une fois qu’il sera signé, la date importera peu. On parlera du contenu.
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Négociez-vous toujours dans le périmètre du mandat initial : 2 réacteurs à prolonger pour 10 ans ?
Survivriez-vous, en tant que ministre, à un échec sur la prolongation du nucléaire? Et la Vivaldi survivrait-elle?
Oui, pour les deux questions ! Mon job en tant que ministre, c’est sécuriser l’approvisionnement. Cela veut dire que si Engie ne veut pas conclure d’accord, on utilisera le CRM. Mais le monde a changé. Nous avons la possibilité de prolonger 2 GW nucléaires. Il faut discuter avec l’exploitant parce que nous arrivons tard et que c’est compliqué. Mais je suis confiante parce que, pour Engie aussi, le monde a changé.
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- « Sur les 706 entreprises qui nous ont répondu, 56% n’ont pas de plan d’urgence interne en matière de gaz. C’est très interpellant. »
- « En tant que gouvernement, nous avons l’habitude de travailler avec des méthodes de temps de paix. Il faut nous adapter. »
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