Petit quiz. Depuis dix ans, de 2012 à 2022, quels sont les trois lieux les plus empruntés par le Tour de France comme site d’arrivée d’étape ? Paris est évidemment imbattable dans ce domaine avec le dénouement traditionnel de l’épreuve sur les Champs-Elysées. Pau est sa dauphine, que ce soit sur cette décennie ou à l’échelle de l’histoire du Tour. Dans le passé récent, seules les éditions 2013 et 2022 ont oublié la capitale du Béarn. Qui complète le podium ? La Planche des Belles Filles, présente cette année sur le parcours pour la sixième fois depuis 2012.Une récurrence assez folle pour un site qui n’avait jamais été visité par la Grande Boucle avant cela. Plus incroyable encore, la Haute-Saône n’avait jamais accueilli une arrivée d’étape. Le « 70 » a longtemps été le grand oublié du Tour. Il avait parfois vu les coureurs traverser les routes de son département. Ils s’y étaient même élancés, une seule fois, lors de l’étape Vesoul – Auxerre en 1972. Mais d’arrivée, jamais. Jusqu’à la Planche des Belles Filles, qui jouit d’une réputation désormais solidement établie.La Planche et le Tour, c’est à la fois un mariage d’amour et de raison. Les organisateurs ont eu un vrai coup de foudre pour cette montée. Son site. Son appellation, aussi. « C’est un nom extraordinaire, s’enthousiasmait Christian Prudhomme en 2020 dans les colonnes de L’Est Républicain. Ça sonne, même pour les étrangers. » Le lieu est aussi chargé d’histoires et d’Histoire. Celle des jeunes filles de la Planche, qui se réfugiaient au sommet de la montagne. Celle des maquisards, aussi, pendant la Seconde Guerre mondiale, un célèbre maquis.Tour de FranceLe profil, les horaires, la carte : Tout savoir sur la 7e étapeIL Y A 6 HEURESBien avant que le Tour ne s’y intéresse, les locaux n’ignoraient pas son potentiel sportif. La Planche est alors le point d’orgue de la cyclosportive Les Trois Ballons. C’est d’ailleurs en lisant des commentaires de participants que le patron du Tour, intrigué, allait s’enquérir à la fin des années 2000 auprès de Yves Krattinger, le président du conseil départemental. « C’est quoi, la Planche des Belles Filles ? Ça a l’air dur. » « Si tu veux, c’est la prochaine arrivée du Tour », lui a répondu ce dernier.Le profil de la 7e étape : Une Super Planche à ne pas raterMais la grande chance de la Planche, ce fut aussi d’être située au cœur des Vosges. La même ascension dans les Pyrénées ou les Alpes n’aurait sans doute pas émergé de la même manière. Depuis sa prise de fonctions en 2007, Christian Prudhomme a eu une double obsession, l’une étant liée à l’autre : dénicher de nouveaux sites et dynamiser le parcours. Pour cela, il souhaite se tourner davantage vers les massifs intermédiaires. Or les Vosges sont à l’abandon. Elles n’offrent plus de pentes suffisamment sélectives pour le cyclisme moderne, à l’image du vénérable Ballon d’Alsace, scène mythique du Tour de France, mais guère plus emprunté. La découverte de la Planche est donc tombée à pic. Au bon endroit, au bon moment.
Un immense défi logistique
Le 7 juillet 2012, le Tour et la France entière découvrent cette ascension brève mais ultra-sélective : 5,9 kilomètres avec une déclivité moyenne de 8,5%. Le défi a été immense. La petite station vosgienne n’était pas adaptée à la venue du barnum de la Grande Boucle. Son peloton, bien sûr, mais aussi tous les suiveurs, les dizaines de véhicules, sans parler de la caravane. Jean-Louis Pagès est alors le directeur des sites (départ et arrivée) du Tour. Dans Bistrot Vélo, sur Eurosport, il rappelait cette semaine la nature et l’ampleur du challenge : « C’est une belle découverte la Planche des Belles Filles. Christian avait sa logique sportive des massifs intermédiaires, ce qui est tout à fait légitime, si ce n’est que, quand il m’a envoyé là-bas, il y avait un tout petit plateau, une petite plate-forme et… rien après. » Malgré tout, le potentiel est là. « Cette plate-forme, à mon avis, pouvait accueillir les moyens du Tour à condition d’y mettre des plaques pour stabiliser un tout petit peu. Puis on a créé une rampe de bitume d’environ 500 mètres », explique-t-il. »La Planche des Belles Filles, une superbe découverte »Les travaux d’aménagement, onéreux, feront hurler les écologistes et une partie de la population qui engagent, en vain, une action juridique. Sportivement, la réussite sera en revanche incontestable. Dès cette édition 2012, la planche des Belles Filles impose ses deux atouts qui ne se sont jamais démentis depuis : son côté spectaculaire et son poids sur la course. En 2012, c’est ici que débute pour de bon l’ère Sky. Chris Froome s’y impose devant son leader, Bradley Wiggins, lequel endosse le maillot jaune pour ne plus le quitter jusqu’à Paris. La Planche tenait son acte de naissance.
Il arrivait dans la beauté des forêts vosgiennes
Une image frappe. Celle des coureurs semblant émerger brusquement au plus fort de la pente. Avant d’être une image, ce fut une vision. Celle de Jean-Louis Pagès, qui l’a eue en tête en avant-première lors de sa première visite sur le site de façon virtuelle : « Je ‘voyais’ le coureur sortir de nulle part. D’abord son casque, sa tête, son torse. Il arrivait dans la beauté des forêts vosgiennes. Je l’ai vu avant tout le monde, même si je ne suis pas spécialiste. Et ça s’est réalisé. C’est un très beau souvenir. »Le coup d’essai a viré au coup de maître. Pour tout le monde, une certitude : le Tour reviendra. Henri Terreaux, grand manitou de la logistique chez Orange avait vécu lui aussi la venue à la Planche comme un défi. « Ce que je demande à Christian, c’est si, dans son esprit, il envisage de revenir quelque part à moyen terme, nous avait-il confié voilà quelques années. Dans ce cas, sur un site compliqué comme la Planche, on va faire en sorte de laisser la fibre par exemple. C’est de l’investissement. Quand vous posez 15 à 20 km de fibre optique, ce n’est pas négligeable. Si je sais que le Tour veut revenir, je les laisse. » En 2012, il pose donc la question à Prudhomme à propos de la Planche. Réponse du boss : « Pas à moyen terme. On va revenir très vite. »Christian Prudhomme promet d’abord à Yves Krattinger de ramener le Tour à la Planche d’ici cinq à six ans. Il n’en faudra que deux. En 2014, Vincenzo Nibali signe un coup double. Il s’impose devant Thibaut Pinot, l’enfant du pays, pour reprendre le maillot jaune. Comme Wiggins, il le conservera jusqu’au bout. Nait un petit mythe, comparable à celui de l’Alpe d’Huez jadis : en jaune à la Planche, en jaune à Paris. Lors des cinq premiers passages, ce fut toujours le cas, sauf en 2019. « Elle dit en partie, et même en grande partie, la vérité du Tour », confiait Prudhomme lors de la présentation du parcours 2022 l’automne dernier.La palette des RP : « 600m de graviers » pour briller sur la Super Planche des Belles Filles
2020, la page d’histoire
En dix ans, la Planche s’est installée. Imposée, même. Le succès initial a été consolidé et les organisateurs ont su réinventer son utilisation, malgré sa jeunesse. En 2019, ce fut le passage à la « Super Planche », celle qui sera à nouveau empruntée vendredi. Un kilomètre extrêmement raide (jusqu’à 24% au plus fort de la pente) sur une voie au revêtement compacté, non goudronnée, a été ajouté. Par rapport aux arrivées précédentes, la montée passe à 7 kilomètres à 8,7% de moyenne.L’année suivante, nouvelle innovation. Deux pour le prix d’une, même. Pour la première fois, la Planche est utilisée comme point d’orgue d’un contre-la-montre. Et celui-ci est placé la veille de l’arrivée. Jusqu’alors, la Planche, comme ce sera le cas cette année, était davantage servie en apéritif montagnard, comme premier sommet agissant en détonateur. Dès 2014, Jean-François Pescheux, à l’époque le directeur de course du Tour, avait émis l’hypothèse : « Ce serait un endroit formidable pour une étape la veille de l’arrivée à Paris, comme juge de paix. »Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il avait visé juste. Le samedi 9 septembre 2020, la Planche est témoin d’un renversement de situation ahurissant lorsque le jeune Tadej Pogacar déboulonne son compatriote slovène Primoz Roglic pour survoler le chrono et arracher le maillot jaune 24 heures avant Paris. La Planche des Belles Filles, décidément bien née, tient alors le dernier élément de sa naissante légende : une page d’histoire du Tour.A dix ans, on n’a pas encore tout à fait l’âge d’être un mythe. Ces réputations-là se construisent sur la durée. Mais il est tout de même saisissant de voir le chemin parcouru en si peu de temps par cette montée inconnue du plus grand nombre il y a peu. A défaut d’être encore tout à fait digne des Galibier, Ventoux, Alpe d’Huez et tant d’autres, elle est déjà la Planche. Séduisante et incontournable. Tour de France »C’est un nouveau Tour qui débute » : Gaudu – Bardet, jusqu’ici tout va bienIL Y A 9 HEURESTour de FranceLa palette des RP : « 600m de graviers » pour briller sur la Super Planche des Belles FillesIL Y A 10 HEURES