"Tout feu, tout flamme" : un débat théâtral autour de la sexualité des jeunes


Rouge plaisir, rouge danger, rouge désir, rouge embrasé, rouge interdit, rouge baiser : les rectangles de tissu composant le fond de scène semblent cousus d’émotions et sensations, décor propice à retenir l’attention. Cinq silhouettes vêtues de noir s’en détachent, vivantes, le verbe haut, le corps en mouvement : Virginie Percevault, Madeline, Matthieu, Maëva et Sylvain, les comédiens de la compagnie Entrées de Jeu invitée par le bureau information jeunesse de la Nièvre.

Sous le regard de Greta Thunberg ou de Malala Yousafzai, dont les visages sont peints sur les murs de cette salle du centre socioculturel de La Baratte, à Nevers, des lycéens de l’établissement professionnel Pierre-Bérégovoy s’installent, masque sur le nez, sac de cours au pied. Ils doivent leur venue à l’infirmière du lycée, Christèle Duvernois. Le parterre de spectateurs sera, ce jour, à majorité largement masculine. 

De la séduction à l’image de soi

Le prologue débute. Il s’intitule : « chassé-croisé des étincelles ». Les comédiens s’avancent, un à un, devant les adolescents, mimant la séduction, l’attraction, en un mot, la drague. Ils font de leur main un avatar de smartphone à cinq doigts, tourné vers leurs visages, imitant la capture d’un selfie, ou bien s’observent, le regard inquiet, dans un miroir fictif.

Quel adolescent n’a jamais étudié de près sa pilosité naissante ou ses muscles en développement ? Quelle adolescente ne s’est jamais jugée moins belle que sa copine ? À l’âge où la recherche et l’affirmation de l’identité passent pour beaucoup par la validation des pairs, on se scrute, on se jauge, on se compare. Focalisé sur l’apparence, le regard posé sur soi-même se fait parfois plus dévastateur que celui qu’on nous porte réellement.

Le débat théâtral vous permet d’essayer des choses sans risque, sans conséquence dans votre vie à vous.

Virginie, comédienne (empty)

La liberté d’être et de choisir, l’attirance, la différence, le respect, mais aussi les sentiments ou l’amour : autant de thématiques que ce débat théâtral s’apprête à questionner. Formidable outil de médiation impliquant une porosité entre la troupe et le public, entre la fiction et la réalité, il consiste, d’abord, en la représentation de scènes abordant des problématiques bien définies.

« Le débat théâtral vous permet d’essayer des choses sans risque, sans conséquence dans votre vie à vous », rassure Virginie Percevault. « Vous devenez un personnage. Et personne ne vous obligera à venir sur scène ! » Inciter au débat plutôt qu’imposer l’échange, voilà qui encourage à la prise de parole.

« Tout le monde l’a fait »

« Voilà, ça y est, je l’ai fait. Et bien fait ! Comme dans les films, j’ai a-ssu-ré. » Le spectacle s’ouvre sur une discussion de jeunes évoquant leur première fois, entre vantardise, assurance peut-être trop marquée pour être vraie (« moi j’ai commencé les préliminaires au collège ! »), moqueries, et. pression des camarades. L’un des personnages, une fille, dit « s’en foutre un peu », ce qui entraîne l’insistance de ses amis : « mais c’est comme le bac, c’est obligatoire pour sortir du lycée », ou encore : « moi, au début, je me suis forcée, et après ça allait ! »

Alors que Matthéo, outré de l’acharnement des personnages, vient de se lancer sur scène en imposant un franc « j’ai pas envie d’en parler », la salle se prend au jeu. Les élèves rapportent vivre, parfois, cette compétition qui ne dit pas toujours son nom entre potes. « Y a des gens qui racontent des « mythos » sur leurs expériences », témoignent-ils. Mentir pour ne pas passer pour « le puceau de service » semble n’être pas si rare. « Mais faut pas être pressé », dit un autre. « Y en a qui préfèrent prendre leur temps. » 

« Avec moi, tu ne risques rien »

dont il fait des captures d’écran, lui promettant : « Ça reste entre nous. Avec moi, tu ne risques rien. »

À l’ère numérique, le harcèlement s’est déplacé sur les réseaux, avec des conséquences tangibles qui ne sont pas toujours mesurées en amont. La situation proposée instaure un dialogue sur la liberté des filles à disposer de leur corps et de s’habiller comme elles le souhaitent, mais aussi sur les relations saines et respectueuses du ou de la partenaire.

Chloé, lycéenne, entend libérer le personnage féminin de l’emprise de son copain fictif.

Autre notion longuement discutée, celle du consentement et de ses zones grises. La scène présente un jeune couple, visiblement amoureux, qui envisage une première relation sexuelle. Auprès de son amie qui lui rappelle qu’elle ne doit pas se sentir obligée, et surtout en « avoir envie », la jeune fille estime que faire l’amour avec son copain serait une façon de « lui prouver » qu’elle a des sentiments.

La majorité des viols ne sont pas commis dans un parking, la nuit, par un inconnu.

Virginie, comédienne (empty)

Le garçon, quant à lui, est vivement encouragé par un comparse valorisant cette première fois comme une conquête, un symbole de virilité, un rituel de passage. « Faut y aller », quoi. Et puis, dit-il en riant, « quand elles disent non, elles pensent oui. Qui ne dit mot consent. » En l’absence de ses parents, le jeune homme invite chez lui son amoureuse, et, progressivement, l’attitude de celle-ci change. Elle ne se sent pas prête, mais n’ose pas le dire. « Si elle vient dans ma chambre, c’est que c’est bon », pense-t-il, quand elle, cédant, hausse les épaules : « Je peux bien faire ça pour lui. »

« Tu ne vas pas me larguer ? »

Si elle a dit oui voilà une heure, son consentement est-il toujours valide ? S’ils ont gagné le lit, nus sous les draps, peut-elle encore dire non ? Au fond, il ne l’a pas forcée. « Vu comme c’était parti, ils ne sont pas allés dans la chambre pour faire un Uno », plaisante un lycéen.

Le débat porte alors sur la communication au sein du couple. Jordan endosse le rôle du copain, demandant à la comédienne si « elle est vraiment sûre », et lui proposant de « remettre ça à plus tard ». « Mais tu ne vas pas me larguer ? » lui répond-elle, soucieuse.

Alors, que faire ? Faut-il attendre ? Combien de temps ? Et si elle ne veut rien faire avant le mariage ? « On la marie le lendemain », rigole un jeune dans la salle. « Si on aime vraiment quelqu’un, on attend que la personne soit prête », lance un autre. L’occasion, pour Virginie Percevault, de définir le consentement : libre (sans contrainte), clair, et éclairé. « La majorité des viols ne sont pas commis dans un parking, la nuit, par un inconnu », rappelle-t-elle. 

Si les questions de genre, de non-binarité notamment, ne sont pas encore au programme du spectacle (la compagnie y travaille), l’amour et la vie sexuelle ne sont pas traités que sous l’angle de l’hétérosexualité. Par exemple, le sujet de la jalousie émerge du conflit naissant dans un couple de filles, l’une craignant les interactions de la seconde avec d’autres filles ou garçons. L’occasion de débattre sur la confiance, la limite des compromis, le tolérable et l’intolérable. La question de l’homophobie, incarnée par le harcèlement d’un élève dans son établissement parce qu’homosexuel, ne laisse pas non plus les lycéens indifférents. 

Contraception et IST

Enfin, la dernière scène jouée, « Flamme d’un soir », embrase la salle. Deux personnes flirtent au cours d’une soirée, et finissent dans le même lit. Fuse alors une série d’interrogations qui se croisent : « Dois-je faire comme dans le porno ? Les préliminaires, ça dure jusqu’où ? », s’inquiète le garçon. « Est-ce que je suis assez épilée ? Comment savoir si on a un « vrai » orgasme ? » se désole sa partenaire. Enfin, ils se lancent, et puis. c’est le drame. « Oh non. La capote a craqué. » Elle panique, quand lui dit n’être pas porteur de maladies. Et accuse son « coup d’un soir »  : « Mais tu prends pas la pilule ? »

Au-delà du dialogue orienté dans ce débat sur la vie affective dans son ensemble, apportant un peu plus d’humanité qu’un strict cours de biologie, la prévention des risques sanitaires et de grossesse n’est cependant pas passée sous silence. « Faut aller chercher la pilule du lendemain », propose un élève. « Aujourd’hui, on parle plutôt de pilule d’urgence », corrige Virginie Percevault. « Il ne faut pas forcément attendre le lendemain pour la prendre. »

S’ensuivent une démonstration de pose de préservatif masculin mais aussi féminin (« C’est énorme, ça ! » a-t-on pu entendre), des conseils quant au fait de prendre son temps ou de ne pas employer de lubrifiants douteux. et un message : « Il y a sur votre territoire des interlocuteurs à qui vous pouvez parler. »

Deux heures sont passées, riches d’un dialogue sain et apaisé. Le décor se replie, rouge amour. La scène, dorénavant, ce sera la vraie vie.

Au centre départemental de planification et d’éducation familiale, « on parle aussi de responsabilité »

Le CDPEF (centre départemental de planification et d’éducation familiale) accompagne de jeunes nivernaises et nivernais pour les aider à vivre une sexualité épanouie et sans risques.

Chaque année, 3.000 entretiens y sont menés. De jeunes filles viennent notamment se renseigner sur la contraception, ayant la possibilité de rencontrer un médecin ou une sage-femme comme Christine Pommier. « Il faut une sexualité sans inquiétude, ni de grossesse, ni d’infections. Pour la contraception, on leur dit qu’elles peuvent prendre le temps de trouver celle qui leur convient le mieux. »

» Certaines filles ne voient pas le mal qu’il y a à cela, tant qu’elles ne sont pas reconnaissables. « Ils semblent décomplexés, mais ils n’ont pas conscience de tout. On leur dit que ça, ça doit rester entre eux. »

Aurélie Perrin répond moins aux questions qu’elle n’en pose elle-même aux jeunes. « On les amène à réfléchir, à s’interroger. On leur parle aussi de responsabilité, c’est important. »

L’impact de la pornographie

entretenant les clichés.

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Pratique. Le dépistage est gratuit et anonyme au CeGIDD (où se trouve aussi le CDPEF), 3 bis rue Lamartine à Nevers. Contact : 0.800.58.00.00.

Alice Forges

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