Avez-vous changé votre manière de vous déplacer depuis la pandémie  ?


Début mai 2023, le gouvernement a présenté son nouveau plan vélo et mobilités actives pour 2023-2027. Celui-ci acte un doublement des investissements de l’État en faveur du développement de la pratique du vélo, qui complète les investissements déjà très conséquents engagés récemment par les collectivités locales.Ces financements s’inscrivent en continuité d’une intégration graduelle du cyclisme dans les politiques de mobilité depuis une dizaine d’années. Ceux-ci visent également à répondre à l’augmentation de la pratique du vélo accélérée par la crise du Covid-19. Mais, au-delà de cet engouement pour la petite reine, comment ont évolué les pratiques et les politiques de mobilité depuis la pandémie ?La suite après la publicitéSi la modification des mobilités pendant la crise est attestée (diminution des déplacements en transports collectifs et en voiture, augmentation des déplacements à pied et à vélo, valorisation de la proximité spatiale), il apparaît plus difficile de caractériser une inflexion des pratiques après la pandémie.Peu d’enquêtes sont disponibles pour documenter ces évolutions. L’Île-de-France fait office de précieuse exception : 8 enquêtes y ont été menées entre 2020 et 2022 par l’Observatoire des Mobilités. Celles-ci soulignent une amplification des tendances existantes et infirment l’hypothèse d’« un monde d’après » radicalement différent. Cinq informations principales ressortent de ces études.

Davantage de marche et de vélo

La première souligne une réduction du nombre de déplacements par jour, avec une baisse de 10 % (de 43 millions avant la crise sanitaire à 39 millions de déplacements en juin 2022). La seconde indique une augmentation du télétravail avec une part des actifs télétravaillant au moins un jour par semaine en hausse (34 % en juin 2022 contre 29 % en juin 2021). La troisième information mesure une diminution de la fréquentation des transports collectifs (-21 % de déplacements en juin 2022 par rapport à 2018) et de l’usage de la voiture (-22 % de déplacements en juin 2022 par rapport à 2018). La quatrième confirme la croissance de la marche comme premier mode de déplacement (17 millions de déplacements par jour) et de l’usage du vélo, même si sa part dans le total de déplacements reste faible (1,2 million de déplacements par jour). Enfin, la cinquième atteste du renforcement des logiques de proximité, déjà majoritaires dans la période pré-crise (49 % des déplacements dans la commune de résidence et 12 % dans une commune limitrophe en 2018), mais s’accentuant (62 % des déplacements dans la commune de résidence en juin 2022 et 13 % dans une commune limitrophe).Ces enquêtes apportent des informations sur les déplacements mais également leur sociologie et leur géographie. Elles montrent par exemple que le développement du télétravail est réel, mais concerne principalement les cadres et les professions intermédiaires. Enfin, si ces enquêtes ne traitent pas de la mobilité des marchandises (4,3 millions de mouvements logistiques en Île-de-France en 2018), le chiffre d’affaires du commerce en ligne en France a connu une hausse importante (+37 % en 2020). L’impact de cette croissance sur la réorganisation des circuits logistiques (livraison à domicile, drives, dark stores…) est considérable. Elle implique des enjeux nouveaux de régulation.La suite après la publicité

Avez-vous changé votre manière de vous déplacer depuis la pandémie  ?

Une inflexion des politiques de mobilité ?

Cette amplification des tendances préexistantes à la pandémie s’est-elle accompagnée d’une évolution des politiques de mobilité ? Ces politiques sont marquées depuis les années 2000 par des objectifs de réduction des impacts environnementaux associés à une boîte à outils standard (développement du transport collectif, réduction de la place de l’automobile, soutien aux modes actifs que sont la marche et le vélo, densification urbaine).À la fin du premier confinement, les collectivités locales ont eu recours à un urbanisme « tactique » pour aménager des espaces dédiés au vélo et aux piétons pour organiser la distanciation spatiale, fluidifier la circulation et décongestionner les transports publics. En Île-de-France, 158 km de pistes temporaires ont ainsi été aménagés durant la crise sanitaire, dont un tiers à Paris. Ces aménagements ont pris des formes différentes : pistes, espaces pacifiés, voies sur chaussée ou sur trottoir, etc. La pandémie a eu également un effet immédiat sur l’aménagement des espaces publics piétons de façon à organiser la distanciation sociale (extension des zones à priorité piétonne, réservation de rues aux modes actifs, création d’espaces d’attente et traversées piétonnes). Une partie de ces aménagements temporaires a été ou est en cours de pérennisation, en lien avec des incitations de l’État, des appuis financiers de la Région et des revendications d’associations. La crise liée au Covid-19 a eu ainsi des effets sur l’intensification des politiques vélo, à l’échelle régionale (avec la consolidation du projet de RER vélo engagé en 2020), métropolitaine (Plan vélo métropolitain soutenu par la métropole du Grand Paris) et locale, de manière différenciée – comme le souligne cette carte.Pour des communes déjà engagées en faveur du vélo, comme à Paris, à Montreuil ou Sèvres, la crise a conforté leurs actions. Pour d’autres, elle a accéléré la concrétisation d’une politique vélo en émergence (comme au Kremlin-Bicêtre autour du projet de requalification de la RD 7).La suite après la publicitéPour d’autres, la pandémie n’a rien changé. Certaines communes, telles qu’Argenteuil ou Puteaux, ont en effet supprimé des aménagements cyclables temporaires, pour ne pas contraindre la fluidité automobile. Ces exemples illustrent alors le caractère controversé de ces aménagements cyclables, comme l’illustrent les conflits médiatisés autour des voies cyclables de l’avenue de Saint-Ouen ou de l’avenue Michelet à Saint-Ouen – ou des aménagements temporaires à Drancy ou Noisy-le-Grand.Au-delà de la question des modes « actifs », la crise liée au Covid-19 a également interpellé les politiques de mobilité sur d’autres points. Elle a révélé la fragilité du système de transport collectif en Île-de-France. En effet, le niveau de service peine à revenir à ces niveaux antérieurs, du fait du cumul de différents problèmes (recrutement de chauffeurs et conducteurs, retard dans des chantiers, difficultés de financements de l’exploitation). Les effets du télétravail sur la fréquentation du transport collectif (avec l’apparition de jours de pointe) soulèvent également de nouvelles questions pour l’autorité organisatrice (Île-de-France Mobilités) et les exploitants.La crise sanitaire, combinée au surcoût de l’énergie en raison de la reprise de l’activité post-pandémie puis de la guerre en Ukraine, a creusé le déficit des transports franciliens que l’autorité organisatrice Île-de-France Mobilités peine à combler sans appui de l’État. Au plus fort de la pandémie, la perte de recettes d’Île-de-France Mobilités était estimée à 1,4 milliard en 2020. Cela pose la question controversée d’une augmentation de la contribution des usagers au financement des transports.

Tout bouge, rien ne change ?

Si l’hypothèse d’une évolution radicale des mobilités a pu être avancée au plus fort de la crise, les tendances en cours indiquent plutôt une inflexion relative des pratiques. On constate une baisse mesurée des déplacements, un renforcement des logiques de proximité, une croissance de la marche et du vélo, une fragilisation des transports collectifs et une inflexion de la mobilité automobile.La suite après la publicitéCette évolution participe d’une modification des politiques publiques en particulier en faveur du vélo. Il sera intéressant d’en suivre la pérennité. Le monde « d’après » semble néanmoins ressembler beaucoup au monde « d’avant », car si cette pandémie a modifié pour un temps les conditions de mobilité, les modes de vie restent peu bousculés en sortie de crise. À l’exception de quelques ménages plus libres de leurs mouvements, la majorité reste dépendante de conditions de mobilité contraintes à l’échelle francilienne. Les inégalités sociales et spatiales persistent, posant la question d’une évolution des politiques de mobilité pour mieux prendre en compte ces enjeux.Par Jean Debrie, professeur des Universités, Urbanisme et Aménagement, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Juliette Maulat maître de conférence en urbanisme et en aménagement, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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