René Frydman. En tant qu’obstétricien, je sais à quel point il est merveilleux de voir une femme qui l’a souhaité mettre un enfant au monde. Durant ma longue carrière, j’ai accompagné près de 3 000 accouchements et donc, bien évidemment, mon propos n’est pas d’affirmer que le désir d’enfant n’est pas respectable.
Cela dit, il est aussi respectable de ne pas vouloir devenir parent. Ce qui m’interpelle, c’est une évolution des mentalités, une croyance qui s’est répandue chez nombre de candidats à la parentalité qui rencontrent un problème de fertilité : cette idée que les progrès de la science auraient pour conséquence que, désormais, « tout est possible » en matière de PMA. En regard d’une demande qui croît, on constate des dérives liées à la méconnaissance générale des enjeux de la médecine procréative par le grand public, à des récupérations commerciales des avancées de la connaissance.
Le débat que j’appelle de mes vœux porte aussi sur l’organisation de notre société, sur notre rapport à la médecine, à sa technicité toujours plus grande qui accentue le risque de franchir des limites éthiques au nom d’un prétendu « droit » à la parentalité. Nous sommes en train d’oublier qu’avoir un enfant n’est qu’une possibilité, une volonté, une éventualité. L’idée s’impose de « l’enfant à tout prix », de l’enfant « quand je veux », tandis que certains fantasment déjà sur un temps futur de l’enfant « comme je veux », programmé avec certaines caractéristiques physiques, certains talents.
Et bien sûr, là où il y a une demande, voire une détresse, des charlatans guettent. Ici et là dans le monde, des cliniques privées établissent des « business plans ». Dans ce contexte, les médecins de la reproduction qui exercent leur métier avec déontologie sont sous tension.
Ils sont l’objet de demandes pressantes, de l’expression de désirs d’enfant qui confinent parfois à l’obsession, venus de personnes qui se mettent elles-mêmes beaucoup de pression pour aboutir. Cette tyrannie de la reproduction est source de beaucoup de souffrance morale et d’égarement pour les patients, et elle peut nourrir des dévoiements, des pratiques éthiquement contestables.En 1982, le professeur Frydman (à gauche) et ses collèges Emile Papiernik et Jacques Testard ont permis la naissance d’Amandine, le premier « bébé éprouvette » en France.
©AFP/ArchivesLes grossesses « extraordinaires » dont la presse et les réseaux sociaux se font souvent l’écho nourrissent-elles ce nouvel imaginaire ?Bien entendu. Sait-on encore que les grossesses naturelles au-delà de l’âge de 50 ans sont rarissimes, alors qu’on nous donne à contempler des stars dans la cinquantaine, resplendissantes, exposant leur gros ventre ou leur nourrisson devant les objectifs ? Elles ont évidemment eu recours à un don d’ovocyte, mais on parle peu ou pas de ce qu’impliquerait pour la société la généralisation de ces pratiques pour procréer à un âge toujours plus avancé. L’illusion est parfaite.
Le grand public retient de ces histoires « merveilleuses » que, désormais, tout peut être envisagé. D’ailleurs, de nouveaux carnets roses font le buzz : à 63 ans, l’Italienne Rosanna Della Corte a mis au monde un petit garçon et Mangayamma Yaramati, une Indienne de 74 ans, est devenue l’heureuse maman de jumelles. Un record battu par la dénommée Prabha Devi, 75 ans, qui a donné la vie à un enfant de deux kilos après six mois de grossesse, l’heureux papa étant âgé de 80 ans.
Lors d’un congrès en Inde, j’ai écouté, stupéfait, le témoignage d’un homme d’âge mûr, célibataire, qui avait fait appel avec succès à deux mères porteuses en même temps pour être sûr d’être père. Son mobile : faire plaisir à sa vieille maman, qui souhaitait être grand-mère. Aux États-Unis, une certaine Nadya Suleman, qui était déjà maman de six enfants, a trouvé un médecin pour se faire transférer huit embryons issus d’une fécondation in vitro (NDLR : l’éthique recommande pourtant de n’en transférer qu’un ou deux).
Après la naissance de ses octuplés, cette « super maman », a été surnommée « Octomom ».
« Toutes ces histoires « extraordinaires » renforcent une confusion entre le désir d’enfant est un prétendu droit impérieux à la parentalité dont on pourrait jouir à n’importe quel moment de la vie. »
On se croirait presque dans un film de Marvel…Certaines histoires sont « dantesques », pour reprendre l’expression d’un élu espagnol qui commentait la grossesse de la vedette de télévision Ana Obregón.
À 68 ans, via une GPA (gestation pour autrui) effectuée en Floride, cette dame est devenue officiellement la mère d’un enfant conçu avec les spermatozoïdes congelés de son fils unique, mort à 27 ans d’un cancer. Elle a donc « fait faire » un enfant, programmé orphelin qui plus est. Cette forme d’inceste au deuxième degré, cette transgression d’une grand-mère se voulant mère est éthiquement condamnable, mais elle a bien eu lieu.
Perçoit-on que pour réaliser ce fantasme, l’utérus d’une inconnue a été « loué » dans le cadre d’une relation contractuelle organisant l’abandon du bébé dès après sa naissance ? Bien sûr, la comédienne nous parle d’autre chose sur les réseaux sociaux : « Une lumière pleine d’amour est arrivée dans mon obscurité. Je ne serai plus jamais seule. » Mais quand il sera à son tour plongé dans la solitude qui lui est promise, quel regard l’enfant ainsi né portera-t-il sa filiation, sur le fait d’être à la fois le fils de sa grand-mère, de son père décédé et d’une inconnue ? Je le répète : toutes ces histoires « extraordinaires » renforcent une confusion entre le désir d’enfant est un prétendu droit impérieux à la parentalité dont on pourrait jouir à n’importe quel moment de la vie.
Quand la génétique révolutionne la médecine: « Elle fera de plus en plus partie des soins courants »Ce climat est renforcé par un discours social qui « surjoue la maternité, survalorise la grossesse », écrivez-vous dans votre livre.En effet. Et convenons que ce n’est pas facile pour les femmes qui sont prises en étau par des injonctions contraires.
D’une part, il y a leur combat légitime pour l’égalité avec les hommes, qui conduit un nombre croissant d’entre elles à mener des études plus longues et des carrières professionnelles plus intenses. De l’autre, des pressions culturelles, sociales, familiales demeurent, qui présentent la maternité comme un accomplissement incontournable, voire comme un devoir pour la nation en période de dénatalité. Partant, le fait de ne pas avoir d’enfant peut être vécu comme un échec.
En même temps, les histoires d’amour sont devenues compliquées sur la durée, tandis qu’un discours très prégnant dans notre société sur le développement personnel confine parfois à la promotion de l’individualisme. Le fait est que l’âge du désir d’enfant a reculé depuis ces quarante dernières années, et plus particulièrement dans les grandes villes : il tourne autour des 31 ans, alors que la fertilité des femmes baisse fortement à partir de 38 ou 39 ans.René Frydman : « Nous sommes en train d’oublier qu’avoir un enfant n’est qu’une possibilité, une volonté, une éventualité » ©ricardo-maruri-THn-kqNgZ8A-unsplashAutrement dit, la « fenêtre de tir » se réduit ?Voilà.
On sous-estime, voire on ignore que l’horloge biologique tourne, et on se conforte avec cette idée communément partagée que la technicité toujours plus performante de la PMA apportera forcément une solution en cas de difficulté. Les médecins se retrouvent donc de plus en plus souvent devant des femmes en « âge limite » d’un point de vue de la fertilité, mais qui réclament de tenter le tout pour le tout pour qu’elles puissent procréer. Il se fait qu’en France, la fertilité est très correctement prise en charge, et c’est bien sûr une bonne chose : les patientes ont droit à quatre tentatives de fécondation in vitro (FIV) remboursées par la sécurité sociale.
L’effet pervers, c’est la banalisation. Un raisonnement s’instille (« j’y ai droit quand je veux puisque c’est couvert par la sécu ») qui désamorce parfois une réflexion en amont, quand il est encore temps de faire des enfants naturellement.D’une certaine manière, la médecine n’est-elle pas instrumentalisée ?Elle intègre de plus en plus des notions de bien-être, de mieux-être qui correspondent à l’évolution de la société.
Pour autant, elle ne doit pas servir de cache-sexe. Autrement dit, on ne peut se contenter de constater un recours toujours plus important à la technicité médicale sans soulever des questions de société qui impactent la fertilité et la parentalité. La difficulté de devenir parent et de conjuguer cela avec une vie professionnelle est un enjeu crucial.
Dans plusieurs grandes entreprises, des DRH commencent à comprendre le lien entre parentalité facilitée — horaires aménagés, possibilités de garde etc. — et efficacité. Il faut aussi accroître la prévention pour préserver la fertilité.
Conscientisons plus sur les effets délétères du tabac, des adjuvants dans l’alimentation, des pesticides, du stress, plutôt que donner le sentiment qu’aujourd’hui les médecins auront toujours, in fine, une solution à proposer.
« Il y aura un jour aussi des demandes d’enfants clonés, modifiés, augmentés, conçus et développés ex utero… »
La congélation des ovules est l’une des solutions qui a le vent en poupe. Une femme encore jeune peut ainsi préserver une chance de tomber enceinte à un âge plus avancé…Et dans certains pays, on organise des « freezing parties », des réunions de promotion destinées à des jeunes femmes qu’on invite à se lancer dans ce processus, qui devient alors un marché lucratif.
Les clientes se voient proposer une solution de confort. N’est-il pas magique de conserver des réserves de jeunesse, des réserves de bonheur dans une cuve d’azote ? L’investissement permet de programmer une naissance dans un agenda, de la retarder jusqu’au moment où la situation professionnelle sera plus favorable, jusqu’à la rencontre avec le prince charmant ou, à défaut, comme mère célibataire. Initialement, la congélation des ovocytes a été mise au point pour venir en aide à des jeunes femmes atteintes d’un cancer, car le traitement qui leur permet de guérir entraîne souvent des conséquences néfastes sur la fonction ovarienne.
Dans un livre publié ces jours-ci par Odile Jacob, le professeur René Frydman alerte : « Il ne faut pas empêcher le progrès mais mieux l’encadrer, avec beaucoup de vigilance, dans une veille permanente. » ©Odile JacobOn voit donc que des techniques de PMA à visée thérapeutique sont ensuite sollicitées pour répondre à des demandes sociétales ?Exactement, et ces demandes sociétales s’étendent toujours plus à des sous-groupes qui étaient jusqu’alors exclus de tout projet d’enfant (femmes âgées, femmes seules, femmes nées sans utérus, couples de même sexe…). Il est évident que cette tendance va se poursuivre : il y aura un jour aussi des demandes d’enfants clonés, modifiés, augmentés, conçus et développés ex utero… Doit-on s’opposer à toutes les évolutions en cours ? Je ne le crois pas.
Mais en même temps, il faut réfléchir aux limites. C’est possible, j’en veux pour preuve l’interdiction du clonage reproductif dans la plupart des pays. Je plaide pour une grande vigilance et une analyse éthique au cas par cas.
Al Pacino et Robert De Niro : Vieux jeunes pères et enfants de vieuxDans une société fascinée par l’avalanche permanente de progrès technologiques, qui demeure perméable à cette vision cartésienne du « génie humain » qui pourra toujours mieux maîtriser la nature, alors que l’idéologie du transhumanisme, de « l’homme augmenté » imprègne des esprits toujours plus nombreux, ne craignez- vous pas de ramer à contre-courant ?Sans doute est-ce une gageure à notre époque de s’écarter de la pensée ambiante, mais peu m’importe. Maintenant, je n’envisage pas de rejoindre prochainement une communauté amish, mon propos ne s’oppose pas au progrès : innover, découvrir, tester, c’est le propre de la médecine. Il serait audacieux de ma part de dire le contraire alors que, pendant quarante ans, je me suis investi dans la technique de la PMA et ses ramifications ou encore dans la greffe d’utérus.
Cependant, je crois qu’il faut réfléchir aux risques de dérives qui peuvent s’avérer délétères pour des personnes. C’est ce qu’on a fait en France en interdisant la GPA, c’est-à-dire la possibilité pour des personnes qui en ont les moyens financiers de disposer contractuellement de l’utérus d’une « mère porteuse », évidemment « sélectionnée » pour ses qualités physiques et autres, étroitement « encadrée » afin qu’elle respecte un cahier des charges en termes d’hygiène de vie, et enfin rétribuée afin qu’elle accepte de couver un embryon conçu in vitro qu’elle abandonnera à la naissance. Ainsi, on a fini par comprendre qu’il s’agissait d’une forme d’esclavage moderne qui servait le prétendu « droit » à la parentalité de personnes nanties et les intérêts d’une série d’intermédiaires.
L’actualité a d’ailleurs encore dévoilé la face sombre de ce commerce. En Ukraine, un pays où la GPA n’est pas interdite, les enfants nés de mères porteuses n’ont pu, à cause de la guerre déclenchée par l’invasion russe, être confiés à leurs futurs parents adoptifs, des commanditaires originaires de tous les pays, le plus souvent de Chine. Mais comme on craignait que les couveuses s’attachent aux enfants, une démarche affective que leur contrat leur interdit formellement, les nourrissons ont été placés dans des pouponnières en attendant des jours meilleurs.
Peu importe les besoins affectifs de ces bébés, le client est roi.
« Des chaînes de cliniques proposent des greffes utérines dans des pays tels que l’Inde, la Malaisie ou la Tunisie, sans indication de l’origine de l’organe greffé ou des conditions de prélèvement »
Autant le champ des connaissances s’élargit, autant les potentialités de nouvelles dérives apparaissent ?Oui, et d’autant plus que certains promoteurs ont une imagination débordante. Il s’est par exemple trouvé des chercheurs qui, partant du principe autorisé des prélèvements d’organes sur personnes décédées (rein, cœur…), ont théorisé l’idée d’utiliser le corps de femmes en état végétatif, artificiellement maintenues en vie, pour leur faire porter un enfant.
Le tableau est cependant nuancé, il y a aussi des avancées formidables. Par exemple, une greffe d’utérus a été réussie pour la première fois en France en 2021 et a permis la naissance d’un petit Mischa. Voilà une belle nouvelle pour ces femmes nées sans utérus bien qu’ayant des ovaires fonctionnels (NDLR : ce syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser touche une fille sur 5 000 à la naissance).
Mais en évoquant cela, je ne voudrais pas moi-même renforcer l’idée que « tout est possible » et facile. Une greffe de cet acabit ne ressemble en rien à une balade sur un chemin bordé de roses. Des complications sont possibles, tant physiques que psychiques.
Sur 100 femmes qui souhaitent en bénéficier, une seule est retenue. Vingt pour cent des utérus transplantés ne tiennent pas leurs promesses, soit parce qu’aucune grossesse ne s’y développera, soit parce qu’elle sera spontanément interrompue. En outre, quand une maman donne son utérus à sa fille, ce n’est pas anodin sur le plan affectif.
Quid de cette dette morale, ineffaçable ? Quid aussi de l’homme, du père, dans ce don d’une mère à sa fille ? Quelle place pour le couple parental ? Il en va ainsi de toutes les avancées qui impliquent un don, qu’il soit de sperme, d’ovocyte, d’embryon ou d’utérus. D’un côté, il est question d’altérité, de l’autre d’une dette en contrepartie.La plupart des couples seront « stériles d’ici 2045 », avertit une experteLà encore, voit-on poindre les récupérations commerciales ?Il y a dans le monde un million de femmes sans utérus, dont l’absence est d’origine congénitale ou chirurgicale.
Comme pour toutes les greffes, il y a un problème d’offre et de demande. Il y a donc un marché et déjà une médecine commerciale s’en empare. Des chaînes de cliniques proposent des greffes utérines dans des pays tels que l’Inde, la Malaisie ou la Tunisie, sans indication de l’origine de l’organe greffé ou des conditions de prélèvement, et sans aucun renseignement sur l’expérience des médecins.
Comme pour les autres techniques de PMA, de nouveaux publics vont-ils frapper à la porte ? Des chirurgiens souhaiteraient que les règles de la Fédération internationale de gynéco-obstétrique, qui a établi une liste d’interdictions de greffes d’utérus, soient assouplies pour que les femmes trans puissent en bénéficier. Déjà, après castration et ablation du pénis, celle-ci peuvent bénéficier d’une reconstitution vaginale. Avec la peau du scrotum qui enveloppe les bourses, on peut leur créer une cavité (vaginoplastie).
Avec le gland du pénis, on crée un clitoris et avec le fourreau de la verge, on reconstitue des grandes et petites lèvres. Cela autorise des rapports sexuels, mais pas encore la possibilité d’être enceinte. L’étape suivante pourrait être le don d’ovocyte et la greffe d’un utérus.
Cela fera débat.Bientôt l’homme enceint ?L’idée fait son chemin. Avec l’aide d’une hormone spécifique, certains envisagent de créer les conditions favorables à une grossesse extra-utérine (un embryon déposé dans la cavité abdominale).
On connaît pourtant la gravité, voire la mortalité d’une grossesse de ce type lorsqu’elle survient malencontreusement chez la femme. Mais c’est l’air du temps : en février 2022, Apple a lancé l’émoji de l’homme enceint.En février 2022, Apple a lancé l’émoji
de l’homme enceint.
©DocEn arrivera-t-on un jour à l’ectogenèse totale : réaliser une grossesse complète dans des machines ?Cela fait encore partie du domaine de la science-fiction ! Mais les choses vont si vite qu’il est temps de réfléchir aux implications qu’aurait l’utérus artificiel. Cette ectogenèse totale nous ferait plonger de plain-pied dans une variante du « meilleur des mondes » d’Aldous Huxley. Des embryons conçus in vitro et logés dans des couveuses jusqu’à terme.
La sexualité humaine ne serait plus alors qu’un loisir planifié, sans lien avec la reproduction. Cela semble loin, improbable, mais le fait est là, certaines recherches actuelles pourraient nous conduire dans cette direction. Viendra un débat de société dont on pourrait être surpris de la tournure.
Je me souviens d’une conférence sur l’ectogenèse totale à laquelle j’ai participé dans une université. En fin d’exposé, les étudiantes qui formaient le public furent questionnées sur cette « opportunité » : une majorité d’entre elles étaient pour, y voyant un moyen de libérer les femmes du poids de la grossesse et d’instaurer une meilleure égalité avec les hommes. Mais quel type d’humain pourrait être ainsi « produit » dans des machines ? Quel effet sur le développement cérébral de l’enfant, sur sa psyché, sur un possible déficit affectif ? Gardera-t-il un lien avec la machine nourricière, en ressentira-t-il le manque ?
« Il faut donc construire collectivement des balises.
Que voulons-nous, que ne voulons- nous pas ? »
Tous ces possibles semblent tellement irréels ?Ce n’est pas pour demain. Mais après-demain viendra. Il faut donc construire collectivement des balises.
Que voulons-nous, que ne voulons- nous pas ? Un exemple encore : les recherches dans le domaine de la gamétogenèse in vitro. Il s’agit d’obtenir des ovules ou des spermatozoïdes fonctionnels à partir de cellules souches. Une équipe japonaise a déjà réussi à créer des ovocytes à partir de cellules de la peau d’une souris mâle.
Appliquées aux humains, ces connaissances pourront un jour apporter une solution pour les hommes qui ne produisent aucun spermatozoïde ou les femmes qui présentent une ménopause précoce, soit naturellement, soit après un traitement de chimiothérapie. En clair, on pourrait produire un gamète de soi, certes obtenu artificiellement par clonage, mais bien de soi. Dès que ce sera au point, des couples gay ou lesbiens seront demandeurs.
Plutôt que de recourir à du sperme d’un donneur, ils préféreront que la fécondation soit réalisée avec l’ovocyte de l’une et un néo-spermatozoïde fabriqué à partir de cellules souches induites de l’autre. Ensuite, il n’est pas exclu qu’un jour, à partir de cellules obtenues par clonage d’une personne, on puisse en même temps obtenir des gamètes mâles et des gamètes femelles. Ce serait alors la quintessence du moi dominant, puisque plus aucune altérité ne serait nécessaire pour faire un enfant.
On pourrait reproduire son moi à l’infini. On imagine ce qu’un Hitler aurait pu vouloir tirer d’une telle technique.Anticipons, alors, pour que la science ne nous prenne pas de vitesse ?Oui, menons une réflexion collective, à charge pour les spécialistes de vulgariser les tenants et aboutissants des nouvelles connaissances.
Mon maître, le professeur Jean Bernard, qui fut un grand humaniste et un résistant au temps de la barbarie nazie, exprimait que « le désir de connaissances de l’homme ne peut être arrêté, seule l’application des découvertes peut être maîtrisée ». Il ne faut donc pas empêcher le progrès mais mieux l’encadrer, avec beaucoup de vigilance, dans une veille permanente, alors que les connaissances progressent désormais de manière exponentielle.