Du côté des parents, c’est l’incompréhension qui domine. Marion* est la mère d’une élève de Terminale ayant reçu 5/20 à son Grand Oral : « 5/20 c’est juste impossible, à moins d’être venu les mains dans les poches. Et impossible que ce soit un hors sujet, les professeurs ont corrigé les oraux et ont fait passer des oraux blancs aux élèves ». A l’évidence, l’hypothèse d’une défaillance individuelle ne tient pas. Le défaut de préparation lié à cette année particulière non plus : « Malgré la pandémie mon enfant était en présentiel au lycée, elle a fournit les efforts nécessaires tout au long de cette année, malgré les restrictions sanitaires exercées au sein des écoles (visio, jauge de 50 % en présentiel, etc…). » Faut-il dès lors envisager la possibilité d’un échec le jour J ? Cela semble également improbable : « C’est une élève sérieuse avec 14/20 de moyenne sur son livret ; seule fausse note, ce fameux 5/20 au Grand Oral. Comment est-ce possible ? Je suis bouleversée de voir ma fille aussi déçue et désemparée face à cette situation invraisemblable ». Si le cas était isolé, l’affaire pourrait sembler anecdotique. Mais dans le centre d’examen où a été évaluée la fille de Marion, c’est un même jury qui a distribué des notes inférieures à 10 à des élèves travailleuses et bien préparées…
“Des questions étranges”
/h2> Une professeure s’en faisait alors l’écho : « Des collègues, au prétexte qu’ils ont suivi une formation d’une semaine de philo il y a 10 ans jugent qu’ils peuvent interroger nos candidats et les évaluer ». Aucune circulaire ne précise en effet quel enseignant peut être convoqué pour faire passer une spécialité, qui dans certains cas ne correspondent à aucun concours : il n’y a pas de CAPES ni d’agrégation de Géopolitique et Sciences Politiques (pour la spécialité HGGSP), ni de HLP. Dès lors, pour ces spécialités, n’importe quel prof peut être jury.A ceci s’ajoute une particularité du Grand Oral : associer systématiquement un jury de spécialité avec un jury dit « naïf ». Mais comment évaluer une question de maths quand on est prof d’anglais, et réciproquement ? La réponse est désormais connue : en soumettant les candidats à des entretiens absurdes et en sanctionnant les élèves de ne pas pouvoir les réussir. Toujours sur les forums de profs, le désarroi à mi-parcours des oraux était palpable : « Mon cerveau est déjà épuisé par le jury d’oral des EAF, n’a aucune idée des questions à poser (pour le Grand Oral, NB)… ». Car c’est 13 élèves qui passent les uns après les autres lors du bac de français, sans pause pipi pour les correcteurs, avec un temps très court de déjeuner, pendant 5 jours. Côté inspection académique, les instructions reçues par les jurys de Grand Oral, formés très tardivement (une réunion en visio au mois à partir de la mi-mai) disaient à la fois qu’il fallait évaluer les connaissances et ne pas les évaluer…. La consigne était incompréhensible ; les résultats des candidats le sont aussi.
“Il y a des cons partout et certains sont profs”
parfois très loin de chez eux S’y est ajoutée une particularité cette année : tous les professeurs convoqués en tant que jury ont dû reconduire leur dossier de prise en charge financière pour être payés Mais, pour citer une mère d’élève abasourdie par la manière dont son enfant a été traitée lors du Grand Oral, « comment un jury peut manquer de respect à ce point à un élève ? ».Au nombre des raisons, plutôt mauvaises que bonnes, à donner à cette situation, on ne peut exclure une levée de bouclier de certains contre les exhortations à la bienveillance données par les inspecteurs. On lit ainsi sur certains forums de profs « Bienveillance – pas de vague. Les mots de la décadence ». Et il est vrai qu’à force, l’appel à la bienveillance agace. Lorsqu’il est préconisé de ne pas pénaliser l’absence de problématique, les fautes d’orthographe, le défaut d’éléments d’analyse mais de valoriser la forme et, en philosophie, la survenue dans une copie d’une « fulgurance » (propos tenu par un inspecteur académique), c’est la mission même de professeur qui est désavouée. Et lorsque les directives données dans l’année ne sont pas les mêmes que celles données aux jurys pour l’évaluation du bac de français, c’est à un sabotage en règle qu’assistent les professeurs : le constat est dur, celui de leur propre faute, sans qu’ils y puissent rien. Kafka, donc. Consigne a ainsi été donnée aux jurys du bac de français de couper les élèves au bout de 3 minutes pour la deuxième partie de leur oral, directive qui n’avait jamais été donnée auparavant… L’un des chapitres de la spécialité HLP s’intitule « Eduquer, transmettre, émanciper » : que transmet-on encore, dans le bac nouvelle mouture, à part la crise de la confiance dans l’institution et l’amertume ?
Crise de la confiance dans l’institution et amertume
Deux autres facteurs d’explication sont également soulevés : discrimination de genre et stigmatisation de l’enseignement privé confessionnel. La majorité des élèves mis en difficulté sont en effet des filles, dont on sait qu’elles rencontrent des difficultés à l’oral plus fréquemment que les garçons, ce que rappelait Alice Raybaud dans un article du Monde du 8 mai 2021 : les femmes sont « moins encouragées et moins valorisées dans cet exercice depuis le plus jeune âge ». L’instauration d’un Grand Oral comme pièce maîtresse et finale du baccalauréat aurait pu donner lieu à une vraie formation à l’éloquence pour tous. Las ! Aucun dispositif national n’a été adopté ni aucune heure supplémentaire n’a été dévoué à cette préparation. Peut-être faut-il rappeler que les dotations horaires globales, soit le nombre d’heures d’enseignement accordées aux établissements par an, baissent chaque année partout, et ce depuis longtemps : voilà qui explique les classes surchargées et la disparition d’options ou de spécialités pas assez plébiscitées. Dans un tel contexte d’économie à tout crin, pas de place pour une formation au Grand Oral qui aurait seule permis, comme il était affiché, de réduire les inégalités. Inégalités sociales mais aussi inégalités de genre… Plutôt que de les niveler, le Grand Oral de la session 2021 les exacerbe.On relève enfin, et là encore la question est brûlante, que beaucoup de problèmes signalés concernent des candidats de lycées privés confessionnels. A quelques mois de l’assassinat de Samuel Paty et alors qu’un plan de formation des enseignants à la laïcité a été voté, cet élément d’explication fait tâche. Le rattachement des élèves au public ou au privé est en effet connu des jurys : les établissements où sont scolarisés les élèves sont portés sur leur bordereau d’évaluation et, dans le cas du Grand Oral, les jurys se sont souvent rendus dans le lycée des candidats et candidates pour les interroger… Dans certains cas, les jurys enseignant dans des lycées publics ont ainsi interrogé des élèves de l’enseignement privé confessionnel, situation qui a soulevé un tollé de la part de certains syndicats, criant à l’atteinte à la laïcité.
Le ras-le-bol de certains correcteurs les a-t-il conduits à prendre les élèves pour bouc-émissaires ?
La piste n’est malheureusement pas à écarter. Mais une autre doit être dévoilée : pour la première fois dans l’histoire du baccalauréat, il n’y a pas eu, cette année, de réunion d’harmonisation à l’issue des corrections. Cette réunion sert habituellement à faire dialoguer les différents membres d’un jury pour parvenir à des moyennes de lots de copies ou de prestations orales cohérentes et uniformes. Pour le bac de français cette année par exemple, cette réunion a été portée sur les convocations, puis annulée, puis a fait l’objet d’une nouvelle convocation, puis a été annulée de nouveau… L’harmonisation des notes a été conduite par le seul coordinateur de jury (équivalent d’un président de jury) « au fil de l’eau ». Faut-il préciser que ce coordinateur, nommé par les inspecteur académiques, effectue ce travail supplémentaire contre… zéro rémunération ? Question financière mise à part, la question des principes d’harmonisation se posent, surtout lorsque c’est un même jury qui a distribué des notes humiliantes (le numéro du jury est porté sur la convocation, NB).Ce sont donc des candidats « à terre », des parents « choqués, indignés, tristes, en colère » et des professeurs désabusés qui ont reçu hier l’annonce d’une nouvelle réforme de la réforme du bac. – Professeurs qui ont appris la nouvelle par les médias, une fois de plus. « Je prônais cette réforme qui mettait en avant la place de l’oral au baccalauréat », déclare une mère d’élève. « Je suis outrée ; au lieu d’apprécier d’avoir obtenu leur baccalauréat, nos enfants n’auront retenu que cet échec à l’oral, se remettant en question injustement ». Ironie du sort, sa fille a pour projet professionnel de devenir professeure des écoles.Entre génération sacrifiée et professeurs au pilori, que reste-t-il de nos vocations ? * Les prénoms ont été modifiées.À voir également sur Le HuffPost: Avec la réforme du bac, les 3 conseils dont les lycéens ont besoin pour leur “Grand Oral”