Adèle B. Combes
J’ai soutenu ma thèse en 2017, et j’ai commencé à réfléchir concrètement à ce que j’avais vu en 2019. Je parle d’une observation personnelle avec des pratiques inacceptables vis à vis de doctorants et de stagiaires en laboratoire de recherche. Je ne pensais pas que c’était généralisé, mais plutôt qu’il s’agissait de problèmes isolés. Puis, quand je suis sortie du milieu académique pour aller dans le privé au sein d’un groupe qui recrutait beaucoup de jeunes docteurs, J’ai découvert que plusieurs avaient souffert et subi des abus de pouvoir durant leur Doctorat. En faisant des recherches, j’ai trouvé des sites comme « Ciel mon doctorat » qui, sous couvert d’humour, permettaient aux jeunes chercheurs de libérer un peu la pression en parlant de leur précarité, des diverses violences subies ou de leur mal-être.J’ai également cherché des articles dans les médias mais très peu décrivaient cet aspect de la recherche que je souhaitais mieux comprendre. On parlait plus des problèmes d’insertion et de manque de postes que des ravages de l’entre-soi et des relations hiérarchiques déséquilibrées.Alors, j’ai créé le projet « Vies de thèse » et lancé des appels à témoignages. Face aux très nombreux textes que j’ai reçus et aux intenses entretiens que j’ai conduits, j’ai su que je ne pouvais plus reculer. J’étais face à une évidence systémique. Les personnes qui m’ont répondu souhaitaient toutes témoigner de manière anonyme pour préserver leur vie professionnelle, d’où l’absence de réponse des auteurs des abus décrits dans ces ouvrages. Enfin, si mon livre montre la face sombre des conditions de travail dans la recherche, en particulier des relations entre directeurs de thèse et doctorants, il existe évidemment des encadrants modèles, empathiques et bienveillants. La recherche pourrait être l’un des plus beaux métiers du monde, elle est essentielle, mais elle est plombée par un système qui favorise les abus de pouvoirs et le harcèlement en toute impunité.