Vaccination des enfants contre la Covid : et si on parlait (en France) avant d’être mis devant le fait accompli ?


de la vaccination contre la Covid aux 5/11 ans aux États-Unis,

quelques 900 000 enfants avaient déjà reçu une première injection

de vaccin. Même si les parents américains restent divisés, les

Vaccination des enfants contre la Covid : et si on parlait (en France) avant d’être mis devant le fait accompli ?

images de longues files d’attente de familles aux abords de centres

de vaccination ont voulu parfaire l’image d’une nation américaine

déterminée à protéger activement l’ensemble de sa population. Dans

le sillage des États-Unis, Israël, dont les autorités de régulation

viennent de donner leur feu vert à la vaccination des plus jeunes,

pourrait prochainement débuter une campagne similaire.

Enfin, en

Europe, même si l’Agence européenne du médicament (EMA) n’entend

pas se prononcer sur l’utilisation du vaccin de Pfizer/BioNTech

chez les plus jeunes avant le mois de décembre, certains pays ne

cachent pas une certaine forme d’impatience. Ainsi, en Belgique, ce

11 novembre, le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, s’est

déclaré résolument favorable à la vaccination des enfants.

Circulez, il n’y a rien à dire

Et en France ? Pas à l’ordre du jour, répond-t-on de toute part, en

ajoutant que l’on se montrera particulièrement attentif aux données

disponibles et qu’il n’est pas question de presser l’EMA.

Dès lors,

les complotistes en tous genres qui lancent depuis déjà des

semaines des mots d’ordre sur les réseaux sociaux appelant à «

ne pas toucher aux enfants » sont priés de recouvrer, si

c’est possible, la raison. Air connu, se désolent certains

observateurs. Tout se passe comme si une nouvelle fois, le débat

était confisqué d’avance : en parler auparavant relèverait de la

fantasmagorie, mais lorsque la décision sera prise, pour répondre à

une forme d’urgence à la suite d’un conseil de défense il serait

interdit sous peine d’être taxé d’incivisme (ou pire de complotisme

ou de négationisme) de la critiquer.

C’est ce que résume la

Natacha Polony dans son éditorial

de la semaine : « Bien évidemment, quiconque pose des questions

est soupçonné de complotisme. « Il n’en est pas question pour

l’instant », balaye-t-on du côté des autorités sanitaires. Du

coup, s’en préoccuper maintenant serait presque malsain.

On est

prié d’attendre que la décision apparaisse tout à coup nécessaire

et urgente devant la remontée alarmante des cas de Covid dans un

mois, deux mois, ou au printemps, peu importe. De même que débattre

de l’opportunité d’un passe sanitaire était outrecuidant avant

qu’Emmanuel Macron ne l’annonce avec fracas le 12 juillet »

remarque-t-elle.

Et si pour une fois, on parlait avant d’imposer ?

Pourtant, face aux enjeux, à la complexité de la question, il ne

semble pas déplacé d’espérer un véritable débat préalable.

«Pouvons-nous espérer qu’une fois, une seule fois, un débat sera

soumis aux citoyens et à leurs représentants, en toute

transparence, sans agiter les peurs, en s’assurant d’une adhésion

éclairée ? Ce serait nécessaire pour défendre cette vieillerie

qu’on appelle démocratie » s’interroge Natacha Polony. Le

professeur d’éthique médicale Emmanuel Hirsch lui fait écho dans

les colonnes du Journal du Dimanche en invitant lui aussi à méditer

les leçons du passé (proche) : « Entre la prévalence accordée

aux enjeux supérieurs de santé publique au regard de choix

personnels, l’évaluation des risques acceptables dans une stratégie

vaccinale, les modalités de priorisation, la prise en compte des

vulnérabilités socioculturelles du point de vue de l’équité,

l’incitation à la vaccination plutôt que son obligation, la

gouvernance et l’organisation des dispositifs, les modalités de

communication et d’information, le discernement éthique aurait pu

davantage intervenir pour éclairer les arbitrages et contribuer à

leur acceptabilité sans devoir recourir à des stratagèmes

controversés comme ce fut le cas dans la mise en place du passe

sanitaire. Tenons compte de cette expérience ambivalente pour

aborder en responsabilité, dans la transparence et la concertation

une autre phase de la stratégie vaccinale » expose-t-il avant

de conclure déjà fataliste : « Il aurait été sage, dans les

circonstances présentes, de créer une concertation sérieuse avec

les parents d’une part et les enfants d’autre part, afin

de repérer les enjeux et les tensions que les

instances publiques devraient prendre en compte dans l’organisation

de la stratégie vaccinale des enfants, spécifique au contexte du

Covid-19 ».

Et si le gouvernement était de nouveau contaminé par la peur de

froisser les opposants?

Comment interpréter cet apparent refus d’un débat préalable par les

autorités sanitaires qui systématiquement bottent en touche en

assurant que la question n’est pas à l’ordre du jour ? Certains

voudront donc y voir l’application une nouvelle fois d’une

stratégie visant à empêcher la contestation. Mais d’autres

s’interrogent : n’est-on pas en train de revivre le scénario du

début de la campagne de vaccination, quand la crainte de l’ampleur

de l’influence des anti-vaccins avait dicté au gouvernement une

attitude plus que prudente ? « La crainte, légitime, que la

perspective de vacciner les enfants alimente fortement l’opposition

anti-vax est dans toutes les têtes. Mais, a contrario, ce serait

décisions publiques : c’est là l’une des leçons les plus nettes des

débuts de la campagne vaccinale au début de l’année 2021,

manifestée par une adhésion vaccinale, dès avant l’introduction du

passe sanitaire, que les données d’intention à l’automne 2020 ne

permettaient pas d’espérer » observe ainsi pour le think tank

Terra Nova, Mélanie Heard, docteur en sciences politiques.

Les formes graves trop rares chez l’enfant pour

constituer un critère d’évaluation de l’efficacité des vaccins

?

Quelles que soient les raisons inavouées du tabou et des

réticences de l’exécutif mais aussi des scientifiques et médecins

français, le débat a en réalité déjà lieu et nous nous proposons de

l’illustrer dans ces colonnes.

La question tout d’abord de la qualité des données disponibles

alimente en premier lieu de nombreuses discussions. Le Pr Robert

Cohen (CHI Créteil) et d’autres ont notamment à plusieurs reprises

regretté la petite taille des effectifs des enfants inclus dans les

études ad hoc ou encore le fait que le principal critère de

jugement a été non pas la diminution des formes graves mais la

réponse immunitaire.

« Du fait de la rareté des formes graves

chez l’enfant, leur fréquence ne pouvait pas constituer le critère

de jugement pertinent de l’efficacité dans cet essai ; à la place,

l’essai reposait sur une mesure de la réponse immunitaire (taux

d’anticorps) chez les enfants, pour la comparer à celle retenue

comme protectrice chez les adultes. La FDA a analysé les données

qui comparaient la réponse immunitaire de 264 enfants dans cette

étude précédente ayant déterminé que le vaccin était efficace pour

âgés, et l’essai démontre donc que les enfants vaccinés atteignent

les niveaux protecteurs d’anticorps observés chez les adolescents

et adultes protégés par la vaccination.

En complément, les

résultats incluaient une évaluation des survenues d’infections

symptomatiques dans les deux bras au moins 7 jours après la

deuxième dose, et concluent à une efficacité du vaccin de 90,7%

contre les formes symptomatiques » répond Mélanie Heard.

Des effets secondaires trop exceptionnels  pour être

détectés au cours d’un essai clinique ?

Cependant, l’autre défaut d’un échantillon trop restreint est la

plus grande difficulté à mesurer le risque d’effets secondaires et

notamment de myocardites/péricardites. « Le vaccin ne

provoquerait que des gentilles myocardites, contrairement à

l’infection qui elle provoque de méchantes myocardites »

ironise sur Twitter le docteur Claudina Michal-Teitelbaum  en

analysant les résumés des conclusions des Centres de contrôle des

maladies (CDC) dont elle considère les membres convaincus par

avance par la nécessité de la vaccination pédiatrique.

Mais là

encore Mélanie Heard nuance la caricature : « Ce risque a bien

sûr été spécifiquement discuté lors des délibérations à la FDA

comme à l’ACIP. Premier point de consensus méthodologique :

l’extrême rareté de cet effet secondaire rend de toutes façons

impossible la constitution d’un échantillon de taille suffisante

pour faire progresser les connaissances dans le cadre d’un essai

clinique. Seules les données à venir « en vie réelle »

permettront d’en savoir davantage.

Il faut donc raisonner par

analogies. Matt Oster, cardiologue pédiatrique du CDC, a rappelé à

l’ACIP que la plupart des cas de myocardite après la vaccination

sont bénins et de courte durée. Au vu des connaissances actuelles

sur les myocardites classiques et leurs facteurs de risque

infectieux, le risque de myocardite chez les 5-11 ans est

susceptible d’être plus faible que chez les adolescents et jeunes

hommes, a déclaré Oster, concluant que l’infection par le Covid est

plus susceptible de déclencher une myocardite que le vaccin :

«avoir le Covid est beaucoup plus risqué pour le cœur qu’être

vacciné, quels que soient l’âge et le sexe », a-t-il affirmé

».

On vaccine bien contre la rougeole…

Cependant, si ces discussions sont si importantes c’est que le

bénéfice de la vaccination chez les enfants de 5/11 ans est l’objet

lui aussi de discussions. Sur ce point, beaucoup d’experts se sont

employés à rappeler que les décès liés à la Covid chez les plus

petits ont été très rares en France et ont toujours concerné des

enfants souffrant de comorbidités. Néanmoins, la vaccination contre

les maladies infectieuses des plus jeunes répond-t-elle

systématiquement en Occident à la prévention d’un risque majeur

?

Le Pr Gilbert Deray faisait ainsi remarquer sur Twitter que

les autres maladies dont on protège par la vaccination sont en

réalité à l’origine, dans les pays occidentaux, d’une mortalité

très faible (telle la rougeole par exemple et ce même avant

l’introduction de la vaccination systématique).

Les petits Français ne sont pas des Américains comme les

autres

Pour autant, en France, on signale également que la situation

sanitaire de nos enfants et celle des petits américains serait très

différente, en raison de l’impact de l’obésité et du diabète

outre-Atlantique. Une idée que là encore nuance Mélanie Heard en

rappelant les chiffres du réseau ObEpi : « En France, la

dernière enquête déclarative ObEpi fin 2020 suggère que 18 % des

enfants de 2 à 7 ans et 6 % des enfants de 8 à 18 ans sont

concernés par l’obésité (IMC>30 kg/m2). (…) L’l’impact du

facteur socio-économique est désormais largement démontré, avec

dans l’enquête ObEpi 75 % des 8-17 ans en surcharge pondérale qui

sont «issus de catégories populaires, soit 9 points de plus que

dans la population générale ».

Aux Etats-Unis, la prévalence de

l’obésité chez les enfants est une préoccupation majeure,

puisqu’elle concerne selon le CDC 13,4 % des 2-5 ans, 20,3 % des

6-11, et 21,2 % des 12-19 ans. Le CDC souligne l’impact de

l’origine ethnique, de même que le fort gradient social qui affecte

ces prévalences. (…) Dans les positions de l’ACIP américaine, comme

d’ailleurs par exemple dans la position de l’Académie européenne de

pédiatrie en faveur de la vaccination des enfants, on ne voit pas

la prévalence de l’obésité infantile.

Que recouvre le raisonnement

qui consiste à dire que la prévalence moindre d’un facteur de

risque, parce qu’il explique une moindre prévalence des formes

graves pédiatriques, atténue l’urgence de la prévention ? A

poursuivre un tel raisonnement, il semble qu’il faille assez vite

s’accorder sur la difficulté de fixer un seuil en-deçà duquel la

prévalence de ce facteur de risque rendrait la précaution

non-urgente ».

Le spectre très hypothétique de la Covid longue

Dubitatifs quant à la pertinence d’un éventuel sur risque pour les

petits Américains, les défenseurs de la vaccination des enfants,

tiennent pour leur part à mettre en avant le poids de la Covid

longue, en dépit des zones d’ombre qui continuent à exister à

propos de cette dernière. Ces incertitudes sont bien mises en avant

remarque que la conviction d’avoir été infecté par SARS-CoV-2

apparaît bien plus certainement associée aux symptômes de la Covid

longue que le fait d’avoir été réellement infecté…(nous reviendrons

plus longuement sur ce travail dans nos prochaines éditions).

Les

pédiatres français signalent d’ailleurs que bien plus que la Covid

longue, c’est l’épidémie de troubles mentaux liés à la façon dont

les enfants ont été considérés ces 18 derniers mois qui doit

préoccuper aujourd’hui. Un point signalé par le CCNE dans son avis

sur la vaccination des adolescents face à laquelle il ne cachait

pas sa réticence : « Si l’impact de la pandémie, en termes de

risques liés à l’infection, est très faible dans la population des

enfants et des adolescents, l’impact psychologique a été majeur en

populations défavorisées. En d’autres termes, la politique de

prévention appliquée à l’ensemble de la population française ne

pourrait-elle pas apparaître comme excessive à l’égard de la

jeunesse ? », écrivaient les sages.

Les enfants représentent-ils vraiment un risque viral ?

Si l’intérêt direct de la vaccination des enfants suscite donc des

interrogations (pour ne pas dire des réticences), la question de

l’intérêt collectif est également prégnante et débattue. Bien sûr,

beaucoup a déjà été dit sur le réflexe individualiste qui

consisterait à refuser une vaccination qui peut protéger l’ensemble

de la population. Cependant, c’est oublier que jusqu’à aujourd’hui

le bénéfice d’une vaccination a toujours été d’abord apprécié en

observant son intérêt « individuel », tandis que l’idée

En effet, la

notion de vaccination altruiste renvoie à l’impossibilité pour

certaines personnes de se faire vacciner, ce qui n’est que très

rarement le cas en ce qui concerne la Covid. En tout état de cause,

sur cette question du bénéfice collectif de la vaccination des plus

jeunes, on se souvient des réserves importantes du Comité

consultatif national d’éthique au sujet de la vaccination des

adolescents. Il s’interrogeait : « Sachant qu’un nombre

significatif d’adultes, dont des personnes présentant des

comorbidités, ne procèderont pas à la vaccination, est-il éthique

de faire porter aux mineurs la responsabilité, en termes de

bénéfice collectif, du refus de vaccination d’une partie de la

population adulte ? ».

Surtout, mettre en avant l’intérêt

collectif de la vaccination des enfants, c’est oublier d’abord les

incertitudes qui existent sur l’efficacité des vaccins en la

matière. Claudina Michal-Teitelbaum remarque en se référant aux

conclusions des CDC : « La vaccination des 5/11 ans permettrait

de réduire de 8 % la transmission. Mais en réalité seulement si le

virus circule beaucoup et que le vaccin garde une efficacité

constante ».

Par ailleurs, le rôle joué par les enfants dans

l’épidémie doit entrer en ligne de compte. Or, si beaucoup (dont le

Pr Gilbert Deray) se désolent que certains (telle la Société

française de pédiatrie) semblent « minimiser » leur rôle,

des données très récentes semblent confirmer une cinétique de

circulation du virus bien plus lente chez l’enfant et des

transmissions adultes/enfants bien plus fréquentes que

l’inverse.

Protéger les enfants même des risques les plus rares

Derrière ces différents arguments scientifiques et techniques,

c’est sans doute des conceptions différentes de la santé des

enfants, mais aussi de la vaccination qui s’opposent.

Mélanie Heard

relève : « Dans l’appréhension de la vaccination des enfants

aujourd’hui, il semble qu’en réalité deux visions normatives de la

santé des enfants s’affrontent. Du côté des pédiatres, la

revendication qui est en jeu, c’est que la politique de santé

considère les besoins spécifiques des enfants : « La manière

dont on a considéré les enfants, ces quinze derniers mois, est

peut-être finalement révélatrice de la place qu’on leur donne dans

la société : on les a considérés comme des êtres sans besoins

spécifiques » affirme Christèle Gras-Le Guen. Ce plaidoyer s’ancre

dans une lutte importante et ancienne pour la reconnaissance des

que demandent les soins qu’on leur apporte.

(…) Avec l’épidémie de

Covid, le caractère insupportable des situations d’isolement

connues par les enfants hospitalisés pendant le confinement, les

difficultés d’accès aux soins des enfants vulnérables durant cette

période, et l’inquiétude devant les chiffres alarmants concernant

la santé mentale des mineurs, ont ravivé ce plaidoyer. C’est ce

décennies ont certes fait avancer mais qui reste pleinement

d’actualité, qui semble guider certaines des positions prises par

les pédiatres. La santé des enfants ne se régule pas avec les

schémas des adultes, elle doit intégrer une attention particulière

aux besoins, aux inquiétudes notamment, qu’ils rencontrent

lorsqu’ils sont malades mais aussi dans leur quotidien »

résume-t-elle.

Cependant, elle note également que la médecine

pédiatrique occidentale est sous-tendue par l’idée que les

précautions doivent toujours être plus importantes en ce qui

concerne la protection des enfants et que cela doit probablement

non seulement inciter à la prudence quand il faut les protéger

d’hypothétiques méfaits du vaccin, mais également inciter à agir

pour les prémunir de tous risques, même extrêmement rares.

D’ailleurs, c’est probablement dans cette optique, mais aussi parce

que la confiance des autorités dans les vaccins et l’idée que ces

derniers doivent également servir l’intérêt collectif sont très

différentes de l’attitude française que la vaccination contre la

grippe est aux États-Unis recommandée à tous dès le plus jeune âge.

Un autre éclairage de la raison des différences d’appréhension de

la vaccination des plus petits par les autorités politiques et

médicales américaines et françaises.

Un débat qui devrait se

poursuivre et s’intensifier dans les semaines à venir. Il faut

l’espérer.Pour prendre de l’avance on relira :

Aurélie Haroche