À 18 ans, Désiré Merlin troque le Bazois pour la vallée de Chevreuse. Né au sein d’une famille d’agriculteurs de Limanton, en 1893, le Nivernais s’en va mener la presque vie de château, exerçant la profession de jardinier pour de grandes demeures.
À 21 ans, incorporé au 56e Régiment d’Infanterie, le jeune homme quitte les fleurs pour le champ de bataille. Il n’en reviendra pas.
De lui subsiste une malle, conservée par ses parents puis son frère, entre les flancs de laquelle repose une collection de lettres qui intrigue sa petite-nièce, Valérie Desbouis, aujourd’hui habitante de Château-Chinon. « Il y a toute sa correspondance, ses échanges avec la famille, des collègues, une petite amoureuse. Je crois qu’il faisait du tir au revolver, j’ai trouvé une facture… »
Quelques affaires, de l’encre, un insaisissable mouvement d’écriture figé sur du papier, mais pas de corps. Qu’est-il arrivé à Désiré Merlin??
Interpellée par un article du Journal du Centre
En 2020, à la lecture d’un article du Journal du Centre relatant les activités du Souvenir Français, Valérie Desbouis décide de prendre contact avec l’association.
« Elle voulait percer le mystère », se souvient Laurent Demain, futur délégué général de l’association. « C’était pendant le Covid, j’avais du temps, comme tout le monde. Alors, j’ai commencé mes recherches… » De lien en clic, de site en site, le spécialiste s’attache à reconstituer le parcours du jardinier, semant un peu de lumière sur l’ombre de son passé.
premium Le Souvenir Français nivernais souhaite restaurer 2.000 tombes de Morts pour la France avant 2032
De Désiré Merlin, il retrouve d’abord la fiche régimentaire. « Elle indique qu’il a été “tué à l’ennemi” en 1914. » Néanmoins, la commune n’en sait rien avant 1917. « Le fait est qu’il avait disparu », commente Laurent Demain.
La Croix de guerre est décernée pour un comportement héroïque », détaille Laurent Demain. « Ce sont deux décorations importantes qui ne sont ni attribuées massivement, ni systématiquement en cas de Mort pour la France. »
Des archives militaires, Laurent Demain a extrait le texte de sa citation : “Bon soldat, courageux et dévoué. Tombé au champ d’honneur le 29 août 1914 dans l’accomplissement de son devoir.”
Les derniers jours de Désiré
qui permet à Laurent Demain de remettre au jour les évènements jalonnant le dernier mois de vie du Poilu.
Le 4 août 1914, Désiré Merlin et son régiment quittent Chalon-sur-Saône pour gagner la frontière par le train. Le cœur est à la fête. « À ce moment-là, le patriotisme est exacerbé en France », précise Laurent Demain. « C’était une question de devoir. Les soldats pensaient que le combat serait court, qu’on allait gagner assez vite. »
Deux jours plus tard, le jeune homme est en Meurthe-et-Moselle. C’est le 17 août, au matin, que son régiment franchit la frontière, et prend les avant-postes devant Kerprich-au-Bois. Une première bataille, dans la nuit du 19 au 20 août, prive le régiment d’un tiers de ses hommes, tués, blessés, faits prisonniers, ou jamais revenus.
Le 24 août, à Vennezey, l’offensive est ordonnée pour empêcher l’adversaire de franchir la Moselle. S’ensuivent plusieurs jours d’assaut, notamment de Magnières, que tiennent les Allemands. Désiré Merlin cesse de répondre à l’appel à partir du 29 août.
Je me dis qu’il est mort à l’âge qu’a ma fille aujourd’hui.
« Pour le lieu de décès, il est indiqué Vennezey, puisque c’est le nom du village d’où l’attaque a commencé », reprend Laurent Demain. Impossible, toutefois, de savoir où repose réellement sa dépouille. Peut-être se trouve-t-elle parmi 1.438 autres, non identifiées, réunies dans un ossuaire à Gerbéviller. Peut-être est-elle restée sur le champ de bataille.
“À Eux l’immortalité”
Pour Laurent Demain, le sacrifice de ces hommes n’a « pas été vain. Ce fut autant de temps de gagné pour préparer la contre-offensive de la bataille de la Marne », explique-t-il, rappelant que « la victoire française » de cette bataille « a permis d’éviter la défaite totale en 1914. »
Désiré Merlin, 21 ans, fait partie des 13.000 Nivernais Morts pour la France lors de la Première Guerre mondiale. « La devise du Souvenir Français, c’est : “À nous le souvenir, à Eux l’immortalité”. Eux, avec une majuscule », ajoute Laurent Demain.
« À travers ce récit, plus de cent ans après, nous venons rendre l’immortalité à Désiré Merlin… En lui donnant deux pages dans le Journal du Centre? ! » Le vrai drame, pour l’ancien militaire, c’est l’oubli. Tous ceux, dit-il, « qu’on fait mourir une seconde fois… »
redonnant consistance à une existence qui n’existait plus qu’en fragments. « C’est très émouvant », reconnaît Valérie Desbouis. « Pour les grands-parents de ma mère, c’était une douleur, une souffrance… Moi, je me dis qu’il est mort à l’âge qu’a ma fille aujourd’hui. Savoir tout cela, ça me le fait revivre… ». Elle ira, sans doute, fouler de ses pas le sol où Désiré Merlin a perdu la vie. Une façon de cultiver, à présent, le souvenir d’un jardinier que la guerre a privé de tout retour aux racines.
Alice Forges
com
Le Souvenir Français
L’association du Souvenir Français naît à Neuilly en 1887, dans le contexte de l’après-guerre de 1870, sous l’impulsion de François-Xavier Niessen, un professeur originaire d’Alsace.
ambitionne la délégation nivernaise.
Le département compte six comités locaux : Bazois Loire Morvan, Cœur de Loire, Les Bertranges, Nevers ville, Pougues les Eaux et Saint-Amand-en-Puisaye. Le Souvenir Français rassemble environ 300 personnes sur le territoire. En janvier, le délégué général Christian Debroux passera la main à Laurent Demain. Ce dernier, installé depuis quelques années dans le Morvan, a effectué une carrière militaire de 32 ans avant de travailler une dizaine d’années dans le privé. Marqué par les pertes de soldats tués au combat, il s’est engagé, en quittant les armées, à se consacrer à leur mémoire.
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