Je suis peut-être naïve, mais la lecture ou l’audition de travaux parlementaires sont toujours des moments qui me réconcilient un peu avec la classe politique. Souvent, ces travaux sont de grande qualité et n’ont rien à voir avec le brouhaha et les éructations que l’on associe toujours aux joutes médiatiques des députés, aux empâtements satisfaits des sénateurs, aux rodomontades des ministres et aux carrières soigneusement travaillées depuis un canton, un conseil départemental ou depuis le siège ouaté d’une voiture de fonction.Bref, j’aime découvrir les rapports variés et instructifs issus du travail des commissions où des élus de tous bords mettent en commun leurs moyens de réflexion pour tenter d’améliorer la vie des Français.
Je ne passe pas mon temps à cela bien sûr, mais parfois, dans les domaines qui vous intéressent, je recommande à tout un chacun de lire les rapports ou d’écouter les commissions parlementaires, qui sont l’une des meilleures choses que notre démocratie produise.Ces derniers jours, j’ai été passionnée par le visionnage, sur le site de l’Assemblée nationale, des auditions de la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. La commission menée par quelques députés a reçu successivement plusieurs acteurs économiques de cet immense secteur qui, par ses productions, touche à notre vie quotidienne (ce que nous voyons à la télévision, au cinéma, dans les salles de spectacle, sur les affiches…).
Le secteur des médias et du spectacle peut sembler à part, mais une des vertus de cette commission fut de démontrer, s’il en était besoin, combien, au contraire, il est à la fois le reflet, et influence grandement, ce qui se passe dans notre société tout entière : la façon éminemment brutale dont on traite les femmes, les enfants et toute personne en situation de domination économique.Sont venus répondre aux questions pertinentes des députés des directeurs de programme, des producteurs, des assureurs, des comédiens et comédiennes, des associations de lutte contre les violences, etc.Écouter ces échanges me repose des débats télévisuels et radiophoniques où les sophismes, l’insulte, la parole sans cesse coupée nuisent définitivement à l’exposé d’idées claires et donc à la compréhension des choses.
Lors des auditions de la commission, chaque interlocuteur fut invité à s’exprimer en disposant de longues minutes, voire d’une demi-heure ou d’une heure pour dire sans interruption ce qui lui semblait important avant que ne commence une phase de questions-réponses.Tour à tour, j’y ai vu des chefs d’entreprise dérouler un discours bien rodé et défensif sur ce qu’ils mettaient en place pour éviter les violences, puis être mis en défaut, déstabilisés, par des questions simples et concrètes de la part des députés sur la réalité de leurs actions et sur le message violent qu’ils envoyaient à travers leurs productions. J’ai vu un ancien directeur de l’information de TF1 se débattre et s’embrouiller face à l’évidence des méfaits de la grande société du CAC40 dans laquelle il travailla, entreprise qui ne tournait plus rond depuis une éternité.
J’y ai vu des comédiens et comédiennes expliquer leur combat un peu vain contre la violence et leurs efforts pour trouver des solutions dans des lieux où l’omerta et la fragilité économique agissent comme autant de verrous à l’action et inhibent tout sens moral.Et puis, dans le confort de mon salon, j’ai écouté, gorge serrée, larmes aux yeux, le témoignage, les explications claires et l’argumentation construite de la comédienne Sara Forestier. Chers lecteurs et lectrices, je vous invite, même si cela semble éloigné de vos préoccupations, à aller regarder sur votre ordinateur l’audition de Sara Forestier.
En une heure, elle déroule posément toute une carrière professionnelle émaillée de violences inconcevables et bien réelles. Dans une langue claire, refoulant autant que possible l’émotion qui la submerge de temps à autre, elle démontre comment, après des années à être psychologiquement et physiquement terrassée, elle parvient à se relever grâce à la pensée, à une réflexion presque sociologique sur ce qui lui est arrivé et à l’analyse claire de ce qui devrait changer. Dans ce qu’elle expose, on peut lire le fonctionnement de n’importe quel secteur économique et trouver l’expérience potentielle de n’importe qui.
En se penchant sur un secteur particulier, la commission d’enquête parlementaire a cette vertu de nous montrer comment fonctionne notre monde et comment nous vivons dans celui-ci. Elle a également cette vertu, humble et constructive, de demander à tous les auditionnés quels seraient, à leur avis, les moyens d’améliorer les choses. Dans les réponses vaseuses ou réfléchies des auditionnés, on discerne vite qui a vraiment envie de changement, et qui se repaît de la cruauté ambiante.