Poser les droits, activer les partenariats avec les marques, prévoir le merchandising… La viralité surprise sur Internet est devenue une course au business impitoyable et très compétitive.
« Very Demure, Very Mindful », cette petite expression, vous l’avez forcément entendue des centaines de fois depuis la rentrée. Issue de la vidéo TikTok de l’influenceuse américaine Jools Lebron, qui expliquait de manière ironique comment venir apprêtée au travail, elle s’est rapidement transformée en mème, reprise par des célébrités comme Jimmy Fallon ou Jennifer Lopez, et même par la Maison-Blanche.
Grand huit émotionnel
Cette catchphrase virale, qui rappelle le « Allô, t’es une fille, t’as pas de shampoing ? » de Nabilla, a pourtant connu un drôle de destin après son explosion sur les réseaux sociaux. Dans un article de Wired, on apprend que l’expression a été déposée auprès du bureau américain des brevets et des marques, non pas par Jools elle-même, mais par un résident de Washington nommé Jefferson A. Bates et la société Do or Drink. Le 25 août, l’influenceuse publie alors une vidéo (maintenant supprimée) sur TikTok où elle apparaît en pleurs avec la phrase « quand tu ne déposes pas ta marque assez rapidement ».
Jools LeBron, the creator who popularized “demure,” shares she’s unable to launch merch because her viral phrase was already trademarked:“I wanted this to do so much for my family and provide for my transition and I just feel like I dropped the ball.” pic.twitter.com/FxTVHfb6Lo— Pop Crave (@PopCrave) August 24, 2024
Deux jours plus tard, elle publie une autre vidéo où elle exulte face caméra, indiquant à ses fans de ne plus s’en faire et que « l’affaire est prise en charge par une équipe ». Sans plus de détails, on comprend qu’elle est entourée d’avocats qui vont sans doute s’occuper du transfert de sa marque.
Meme money
L’idée d’exploiter une viralité éphémère n’est pas si nouvelle que ça. En 2008 déjà, le père qui a diffusé la vidéo YouTube virale David after Dentist – dans laquelle on voyait un enfant de 7 ans délirer à la suite d’une anesthésie – avait vendu pour 150 000 dollars de produits dérivés.
En 2011, Paul « Bear » Vasquez, qui avait fait marrer tout internet avec une vidéo où il s’extasiait sur un « double arc-en-ciel », avait fini par faire quelques apparitions dans des publicités pour Vodafone ou Microsoft. Mais pour ces quelques exemples réussis, beaucoup de tentatives de capitaliser sur un mème échouent ou se retrouvent exploitées par d’autres.
L’exemple le plus typique est celui de l’Américaine Kayla Newman, alias Peaches Monroe. En 2014, cette jeune influenceuse, qui sévissait sur Vine, sort l’expression « on fleek » (qui veut dire parfait, ou réussi) en parlant,là encore, de son maquillage et notamment de ses sourcils. Les plus grandes stars du moment comme Ariana Grande et Kim Kardashian ainsi que les marques faisant de la publicité en ligne se réapproprient la catchphrase sans verser un kopeck à Kayla Newman. Cette dernière finit par lancer une campagne GoFundMe pour espérer récupérer un peu d’argent dans toute cette histoire.
Salut à toi, jeune internaute viral
En 2024, les mésaventures à la Peaches Monroe sont dorénavant l’exception. Depuis 10 ans, les créateurs de contenu ont largement pris conscience du potentiel financier d’une phrase devenue virale et la plupart verrouillent immédiatement leurs droits pour en profiter au maximum. Aux États-Unis, les influenceurs issus des communautés noires ou queer sont aussi bien plus sensibilisés aux questions d’appropriation culturelle et se font rapidement conseiller par d’autres créateurs de contenu pour sécuriser leurs droits. Et quand il s’agit de vidéastes ayant déjà un pied dans le business du Web, le fait de déposer des droits sur la moindre phrase virale est devenu un réflexe. Dans une vidéo de l’infopreneur Loïc Bourget, le « jeune entrepreneur » viral de 2020 Jean-Pierre Fanguin explique justement comment il a gagné de grosses sommes en exploitant les droits de son slogan « la question elle est vite répondue ».
Dans le sillage de ses vidéos outrancières, des marques telles qu’Oasis ou Seat ont payé pour réemployer l’expression sur leurs réseaux et ont, par la même occasion, tué le mème, qui a immédiatement cessé d’être drôle. S’il est difficile de connaître le montant exact des revenus de ce margoulin du Web, il se vante à présent d’être millionnaire et d’avoir pu acheter trois résidences, dont une à Dubaï.