Etienne Klein explique qu’avec la grande vitesse, « on temporalise la distance au lieu de spatialiser la durée ».
pour exprimer la durée, on a recours à un mouvement dans l’espace, comme le voyage de l’aiguille sur le cadran d’une montre, ou le calepin qui fait se succéder des dates. Bref, on spatialise la durée. Avec le TGV, on fait l’inverse : on temporalise la distance, on exprime les kilomètres en durée. »
« Le mouvement comme rien »
» En clair, les lois de la physique – un objet qui tombe par exemple – s’appliquent de la même façon dans le train qui circule que gare Montparnasse ou gare Saint-Jean. Le TGV nous aura simplement déplacés plus vite sur l’étendue terrestre.
Einstein et le Touareg
Employé à l’Office des brevets à Berne, le jeune Einstein travaillait sur les brevets électromagnétiques destinés à synchroniser les horloges des gares entre elles et avec les montres des voyageurs. Une invention sans laquelle le fonctionnement des réseaux ferrés eut été impossible.Et sans doute le Nobel de physique aurait-il eu bien des choses à dire sur le changement de notre rapport au temps induit par la vitesse des trains modernes. À défaut de le savoir, on songe à l’anecdote de ce Touareg juché sur son chameau. Croisant au milieu du Sahara un homme à bord d’une voiture, il l’apostrophe ainsi : « Tu seras avant moi à destination, mais que vas-tu faire de tout ce temps ? » Choc des cultures, rencontre entre celui qui porte une montre et celui qui a le temps.
Un éloge de la lenteur
Une question posée par l’incroyable réduction des temps de parcours est d’ailleurs celle-ci : le voyage consiste-t-il simplement à changer de lieu, ou permet-il, par sa durée, d’ouvrir à autre chose ? La vitesse du TGV n’est pas forcément un obstacle au voyage comme expérience : « Dans un train rapide, le visage des passagers, plus relâché que dans le métro, exprime une forme de tranquillité cinétique », avance Étienne Klein. Mais ce déplacement rendu presque trop court ne va-t-il pas engendrer la frustration de ne pas en avoir pleinement profité ?Car à force d’aller de plus en plus vite d’un lieu, d’un climat, d’une culture à l’autre, chose nouvelle dans l’histoire humaine, ne perd-on pas le bénéfice de la « marche d’approche » que pratiquent tous les voyageurs lents : randonneurs, piétons, cyclistes ou cavaliers ? N’est-ce pas en prenant le temps d’approcher du but que l’on peut se concentrer, trouver l’inspiration, développer ses idées, s’abandonner à la surprise ?