Comment Paris est devenue la première place financière de l’Union européenne – L'Express


« Plus vite, plus haut, plus fort, ensemble. » Ces mots n’ont pas été prononcés par la désormais célèbre ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, mais par Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers. Si celle-ci reprend à son compte la célèbre devise de Pierre de Coubertin, c’est pour défendre une loi à venir sur l’attractivité financière de la France. Son objectif : renforcer le rayonnement de Paris comme place financière de premier rang. Un statut récent, qu’elle doit au Brexit.LIRE AUSSI : « Mélange des genres », « conflit d’intérêts »… A l’AMF, une présidente qui ne cesse de diviserTrois ans après le divorce du Royaume-Uni, la Ville Lumière a remplacé Londres comme première place financière de l’Union européenne. Son attractivité a fortement progressé ces dernières années, même au-delà de l’Europe, au point que le nouveau classement Ofex de l’institut Louis-Bachelier et du Center for Financial Studies place Paris comme cinquième place financière de la planète selon ce critère. Derrière New York, Chicago, Londres et Tokyo, certes, mais devant des poids lourds comme Francfort, Zurich, Singapour ou Hong Kong.Rappelons les faits. Depuis l’entrée en vigueur du Brexit en 2021, les transactions portant sur des actions, des obligations ou des devises européennes ne peuvent plus être traitées au Royaume-Uni. La City a certes conservé la grande majorité de ses 800 000 emplois, mais certains ont dû être déplacés sur le Vieux Continent. Pour les récupérer, Paris ne partait pas favorite face à Francfort, berceau de la Banque Centrale Européenne, ou Dublin et sa fiscalité avantageuse. Mais c’est bien la capitale française qui tire le mieux son épingle du jeu, avec près de 6 000 emplois venus de Londres. « De retour ici après sept ans à Francfort, je suis surprise de croiser autant d’étrangers dans les couloirs. Beaucoup de réunions se déroulent en anglais, y compris avec les clients français, ce qui n’était pas du tout le cas avant », apprécie Maria, une trentenaire qui travaille à Paris chez un géant mondial de la gestion d’actifs.

Un cercle vertueux s’est enclenché

Chez les institutions financières américaines, le mouvement est impressionnant. Bank of America a multiplié par 7 ses effectifs locaux depuis le Brexit. 80 % des traders de Goldman Sachs en Europe continentale ont choisi Paris. Citi y a installé son principal hub européen. La capitale française a également attiré le fonds spéculatif new-yorkais Millennium, la célèbre plateforme de cryptos Binance, le très riche fonds souverain de Singapour Temasek, mais aussi la National Bank of Canada, la banque nigériane Access ou encore la National Bank of Australia. Un cercle vertueux s’est enclenché. « Le réseau des patrons étrangers continue de se tisser. Ils se parlent entre eux. Comme leur avis est désintéressé, nous faisons en sorte qu’ils rencontrent les dirigeants qui envisagent de s’installer chez nous », explique Lionel Grotto, directeur de l’agence Choose Paris Region. Le gouvernement se frotte les mains. L’excédent du secteur financier rapporte désormais près de 5 milliards d’euros par an, presque le double de son niveau de 2019. Sans compter la manne que représentent les dépenses de traders fortunés…LIRE AUSSI : Goldman Sachs, Bank of America… Pourquoi Paris attire autant les banques américainesCe succès incontestable tient d’abord à des raisons structurelles. Paris dispose de grandes écoles reconnues comme Normale Sup, Centrale ou HEC, et d’une solide formation en mathématiques, consacrée par de nombreuses médailles Fields (l’équivalent du prix Nobel dans cette discipline). Ses Polytechniciens deviennent d’excellents « structureurs » et autres spécialistes des produits dérivés, appréciés pour leurs capacités d’abstraction. Par ailleurs, la France concentre en Ile-de-France la grande majorité de ses sièges de grands groupes, dont des champions mondiaux tels que LVMH, L’Oréal ou TotalEnergies. Cette centralisation rend la vie plus simple pour les commerciaux, qui n’ont pas à se déplacer aux quatre coins du pays. Les autorités de contrôle (AMF et ACPR) sont en outre réputées de bon niveau. Enfin, les banquiers étrangers apprécient le dynamisme culturel de la Ville Lumière, la présence d’écoles internationales (dont le nombre aurait doublé entre 2016 et 2022), la qualité de vie parisienne… et son emplacement bien pratique : l’Eurostar permet de rejoindre Londres en trois heures. Avec seulement 700 000 habitants, Francfort, « beaucoup plus provinciale et ennuyeuse », selon les mots de Maria, souffre de la comparaison.LIRE AUSSI : Sommet franco-britannique : « La relation entre Paris et Londres a été fragilisée par le Brexit »Les établissements financiers n’ont pas lésiné sur les moyens pour accueillir les transfuges de Londres dans les meilleures conditions. Les bureaux de Goldman Sachs, par exemple, se situent dans un bel immeuble de l’avenue Marceau avec une vue imprenable sur l’Arc de triomphe. JPMorgan trône au 14, place Vendôme, entre les boutiques Chanel et Dior. « Sur les 500 personnes venues de Londres, une centaine se rend à pied au travail et 120 à vélo électrique. Impensable à Londres !  » sourit Kyril Courboin, PDG de JPMorgan France. Adieu, le Tube.JPMorgan constitue un cas d’école. En 2016, quand les Britanniques ont voté par référendum en faveur du Brexit, la plus grande banque américaine a lancé une étude sur sept destinations potentielles en Europe – dont Francfort, Luxembourg et Dublin. A cette époque, Paris fut classée… dernière. Deux ans plus tard, elle était remontée à la deuxième place de la liste ! « La municipalité, la région Ile-de-France et l’Etat français ont mis en place un guichet unique très efficace pour répondre à nos questions. Nous avons été agréablement surpris », raconte Kyril Courboin. La Harvard Business School a même fait de cette prouesse une étude de cas. Consultés, les salariés ont choisi la capitale française au détriment de Francfort, l’autre « finaliste ». Le résultat est spectaculaire : le bureau parisien de JPMorgan, qui comptait 250 personnes avant le Brexit, en emploie désormais 900, de 43 nationalités différentes. Environ 60 % des nouveaux salariés ne parlent pas français.

Comment Paris est devenue la première place financière de l’Union européenne – L'Express

« Un choix très malin »

L’image pro-business d’Emmanuel Macron, élu depuis 2017, a forcément pesé dans la balance. De même que les réformes mises en place par ses équipes : le régime fiscal favorable aux impatriés [NDR : salarié de l’étranger venu s’installer en France, soit le contraire d’un expatrié] ; le plafonnement des indemnités à verser en cas de litige aux prud’hommes ; la suppression de l’ISF ; la flat tax à 30 %… La nomination comme « monsieur Brexit » de Christian Noyer, ancien vice-président de la BCE et ex-gouverneur de la Banque de France, au carnet d’adresses long comme le bras, a été perçue positivement. « C’était un choix très malin. Il a ‘pitché’ tous les patrons des banques internationales, puis Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont fait le reste », témoigne Kyril Courboin. Le ministre de l’Economie s’est également fendu d’une visite en décembre à New York pour séduire les dirigeants de banques et de fonds d’investissement et répondre à leurs questions. Signe de cette mobilisation de l’exécutif, le patron de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, a reçu la Légion d’honneur fin 2022 des mains du président français.Mais l’attractivité de la capitale ne dépend pas que de la France. Le projet européen d’une union des marchés de capitaux, qui faciliterait les investissements dans n’importe quel pays de l’Union, doit être relancé. Il permettra en effet de mieux faire circuler les flux financiers entre entreprises et épargnants, à l’échelle de l’UE. De quoi créer un immense terrain de jeu pour les banques étrangères. C’est là que se jouera la prochaine bataille entre Londres et Paris..