Marie Auffret dans son édito Maltraitance dans les Ehpad, une cause enfin entendue? La parution du document choc de Victor Castanet pourra-elle changer la donne? Comme lors du mouvement #MeToo qui a encouragé la prise de parole des femmes sur les viols et les violences sexuelles, la parole sur la maltraitance des personnes en maison de retraite se libère. Plus de centaine de lecteurs se sont exprimés spontanément en écrivant de longs commentaires sur notretemps.com, ils ont aussi répondu à notre appel à témoignages sur le site et dans la lettre des Abonnés de Notre Temps.
Dans toute la France, quel que soit le type d’Ehpad mentionné – privé à but lucratif ou non lucratif, public ou associatif -, de nombreux enfants de résidents rapportent des chutes de leur proche, un manque de soins élémentaires – les ongles jamais coupés reviennent en boucle-, une stimulation physique minimale. À cet abandon s’ajoutent des restrictions alimentaires et de personnel. Des soignants sont submergés par la tâche et peu disponibles, le quotidien est fait essentiellement d’attente (de toilette, de sortie, de soins.).
De leur côté, les soignants en souffrance professionnelle disent eux aussi avoir pris la parole, restée elle sans suite.
Autant d’écrits douloureux, mais salutaires qui mettent en lumière un modèle à réformer. Rappelons que la mission des Ehpad est d' »accompagner les personnes fragiles et vulnérables » et « préserver leur autonomie » comme l’explique le portail national d’information pour les personnes âgées et leurs proches.
Hygiène et propreté, une question récurrente
Lys et Dan37. Rotrott décrit le quotidien de sa mère à Laignes (Côte-d’Or) dans un environnement d’une propreté douteuse : dans la chambre, « l’hygiène des toilettes laissait à désirer. Le fond de la cuvette était noir, je mettais des billes d’eau de javel pour nettoyer ». Nana qui venait voir son père, malade de Parkinson de 90 ans à Saintes (Charente-Maritime) relate qu’elle le trouvait en journée « complètement souillé ». Devant la dégradation de son état, elle en parle à l’aide-soignant qui lui répond « vous comprenez, nous ne pouvons pas utiliser les couches de nuit en jour, ça coûte trop cher ». Si la propreté régnait bien dans les chambres, Nana relève « le sol de la salle commune absolument dégoûtant, collant, taché, et les gobelets usagers pouvaient rester des jours sur les étagères ».
Outre la toilette épisodique, le manque de soins des mains ou des pieds est cité par une dizaine d’internautes: en mai 2021, en plein confinement, JLG découvre « lors d’un essayage de chaussures » que son grand-père de 90 ans, atteint de la maladie d’Alzheimer a des ongles qui se retournaient dans la chair, la mycose partout ». Rotrott explique que sa sœur coupait les ongles des pieds de sa mère « car le personnel soignant ne lui faisait pas ». Résultat: « ses ongles se cassaient quand elle appuyait ses pieds sur le sol ».
« Des repas déposés et repris 40 mn après »
Maminou témoigne des difficultés pour les résidents en Ehpad de manger sans aide et de bien s’alimenter pour ne pas dépérir. « En ce qui concerne les repas, ils étaient déposés et repris 40 mn après, tant pis pour les plus lents ou les impotents. Heureusement nous nous arrangions pour être présents aux repas ». La mère de Manou28, très affectée par la mort de son époux ne mangeait pas et « son plateau-repas repartait sans que personne ne s’inquiète… » Quant à Vinsou, dont la soeur malade d’Alzheimer vivait dans un établissement à Antibes (Alpes-Maritimes), il déplore dans son courriel « une nourriture indigne d’un tel établissement » : « pendant mon service militaire je n’ai jamais mangé aussi mauvais ». Et de préciser que malgré son état, » sa soeur refusait la nourriture qu’on lui servait. ! Son mari était obligé de venir chaque jour lui apporter des compléments alimentaires riches en nutriments pour assurer sa subsistance ! »
« Une seule infirmière le jour pour les cinq étages de résidents, et la nuit une aide-soignante par étage »
précise ne pas être surprise de cette maltraitance : » il y a déjà un moment que ça dure et ce n’est pas fini ! Quand on m’a dit de ne passer que 20 à 25 minutes par patient, c’est impossible ». Pour sa part, DF a préféré céder sa place : « j’étais infirmier libéral, patient levé à 06h, dans un fauteuil roulant, petit déjeuner à 08h… manque de personnel récurrent. J’ai vite quitté ces structures ». Infirmière libérale, rgh34 a travaillé en Ehpad privé. Elle aussi a fait le choix d’arrêter d’y travailler « devant des situations révoltantes pour les pensionnaires et non entendues devant mes dénonciations j’ai préféré cesser toute collaboration avec les responsables de cette « maison de retraite ». Et de poursuivre : « je pourrais vous donner tous les exemples de ce manque de respect de l’être humain qui resteront à jamais des souvenirs odieux, mais votre encadré ne suffira pas ».
« Je passais pour une râleuse »
Les témoignages reviennent aussi sur l’impossibilité de changer l’organisation des établissements et d’améliorer la vie des résidents. Peu écoutés, rabroués, inquiets des conséquences pour leur proche vivant dans ces établissements, les familles ont beau alerter, en haut lieu, rien ne se passe.
Ainsi Mary dont la mère a vu son matelas anti escarres supprimé. Bien qu’ayant contacté « le médecin traitant qui a rétabli le matelas », puis « saisi l’ARS qui a auditionné la directrice et non la lanceuse d’alerte (Mary), j’ai eu beau protester, je n’ai jamais été entendue ». Mary a fait sortir sa mère de cet Ehpad pour aller dans un autre établissement.
Nouche, dont la mère était en Ehpad en région parisienne, n’hésite pas à parler de l' »accélération de fin de vie » de sa mère. Malgré de nombreux « rendez-vous avec la direction et même avec la direction du groupe, j’ai même dû contacter le conseil général qui, presque à contrecœur, a fini par m’écouter. Et oui il faut faire des visites impromptues; et oui le personnel n’est, malheureusement pas toujours à la hauteur. J’ai même mis à l’époque un doute sur leurs compétences. 1 seule personne la nuit pour surveiller à peu près 100 lits. Une honte. Ceci se passait il y a 3 ans. Y a-t-il du changement? »
Mimath s’alarme de l’immobilisme de l’association qui gérait l’établissement pour personnes âgées qu’elle visitait: « les résidents restent seuls, quels que soient leurs besoins. » Malgré ses « interventions en assemblée générale », rien ne change et elle avoue revenir « toujours profondément choquée et triste de mes visites ». « L’on craint toujours des représailles » écrit d’ailleurs Cagoumont car « la famille est prise en étau entre son parent et le personnel ». Et de poursuivre : « Je passais pour une râleuse. À force de persistance et de réclamations auprès de l’infirmière coordinatrice, du directeur adjoint très à l’écoute des familles, j’ai obtenu une amélioration de la situation. Malgré tout ,il faut savoir que c’est une lutte permanente avec le personnel qui bien souvent fait son maximum, mais est dans l’impossibilité d’effectuer son travail au mieux.
« Le départ a été comme une livraison de colis ! ! 5 minutes chrono, sur l’arrière du bâtiment afin que personne ne puisse voir »
beaucoup de familles décident que leur parent doit changer d’Ehpad pour améliorer ses conditions de vie. Mais les obstacles s’accumulent, créant une détresse supplémentaire.
Ainsi de JLG et sa famille qui passent à l’action pour faire sortir leur grand-père : « Nous avons pris la décision de le sortir et de le rapatrier à la maison avec son épouse : ça a demandé presque deux mois avant d’avoir l’accord définitif. Le départ à été comme une livraison de colis ! ! 5 minutes chrono, ses affaires à charger sur l’arrière du bâtiment afin que personne ne puisse voir. Nous l’avons récupéré dans un état lamentable : incontinent total qu’il a fallu rééduquer avec les infirmières libérales, réadapter ses médications. Mais devant l’épuisement de son épouse et de nous-mêmes, nous avons entamé une procédure pour le replacer dans un nouvel Ehpad. Mais le problème a duré environ 6 mois. Là pour l’instant: tout va bien, les soignants sont OK, il y a de la communication. Voilà un témoignage (résumé) car en vrai : c’est vraiment dur et contraignant et épuisant sur tous les plans: le système administratif compliquant les choses au lieu d’essayer de les simplifier ! ».
À Beauvais (Oise), Véra a bataillé six mois pour sortir sa mère de l’Ehpad où elle fut agressée « par un résident dément violent car le personnel regroupait tous les résidents ensemble quel que soit leur état: certains dormaient sur leur chaise, d’autres criaient, d’autres déambulaient. Lorsque j’ai menacé de dénoncer cet Ehpad, j’ai reçu des menaces et des représailles professionnelles. J’ai fini par changer ma mère d’Ehpad. Aujourd’hui, elle est décédée et je crois que son séjour dans ce lieu lui a coûté la vie. Je m’en veux encore de l’avoir laissée dans cet endroit même si cela n’a duré que 6 mois. Des endroits comme celui-là sont scandaleux et les tutelles ne font rien. »
Aline précise dans son témoignage que la maltraitance institutionnelle existe depuis longtemps: « En 2000 déjà, ma mère était victime de mauvais soins et j’ai dû la faire pratiquement « enlever » pour la ramener de Rouen à Saint-Étienne, avec ambulance à nos frais. Tous les prétextes étaient bons pour empêcher son départ, elle est arrivée sans vêtements et sans médicaments. J’ai signalé le problème à la DASS (direction départementale des Affaires sanitaires et sociales) et l’établissement m’a menacé de porter plainte pour diffamation. J’en ai à nouveau informé la DASS et il n’y a pas eu de suites ».
Autre témoignage, à Marseille (Bouches-du-Rhône), Scarlett13 changera trois fois sa mère d’établissement « pour des problèmes divers (maltraitances, hygiène corporelle et vestimentaire déplorables, carences de soins médicaux, alimentation inadaptée, mise en danger de la vie d’autrui, animation une fois par semaine, de vrais mouroir que ce soit un Ehpad privé puis public. Heureusement qu’une association m’a donné les coordonnées d’un Ehpad où la bienveillance est la priorité, la nourriture adaptée et les soins médicaux très corrects ».
« Ne mettons pas tous les Ehpad dans le même sac ! »
une chambre propre de jour et de nuit. Nous espérons que ce témoignage sincère sera utile, par ces temps où beaucoup d’Ehpad sont dénigrés; ce n’était pas le cas pour maman. »
Une expérience positive corroborée par Marie-Paule : « Je ne voudrais pas que les accusations justifiées à l’encontre de certains Ehpad fassent ombrage à d’autres, bien gérés, humains. Mes parents ont étés en appartement, avec soins infirmiers, activités. près de Rouen. Plusieurs fois j’ai été déjeuner avec eux et c’était parfait. Les personnes plus atteintes avaient une partie de restaurant réservée avec des aides. Certes, c’était cher, mais d’une excellente tenue. Et de conclure « ne pas mettre tous les Ehpad dans le même sac ! » Annette de son côté va voir tous les lundis son époux en établissement depuis deux ans: « Je peux vous dire que mon mari y est très bien traité. Une aide-soignante vient dès qu’il sonne. Évidemment c’est assez cher mais cela vaut la peine. Donc je peux confirmer qu’il n’y est absolument pas maltraité. Tout le personnel est charmant avec lui comme avec les visiteurs. Bref aucune plainte à formuler. Je ne nie pas que dans d’autres Ehpad ce soit différent, mais je n’en connais pas d’autres ».