Deux semaines plus tard, je suis retournée au consulat russe de Londres pour récupérer mon passeport. Un vigile russe, qui ne m’avait jamais entendue parler lituanien et n’était pas censé avoir vu mon passeport sous pli scellé, m’a raccompagnée vers la sortie avec ces mots: sėkmės, «bonne chance» en lituanien. Quand on naît dans un pays occupé, on naît surveillé.
Négociations d’un côté, empathie de l’autre
Cette anecdote, commune dans les pays ex-soviétiques, peut sembler insolite vue de l’Ouest. Elle éclaire pourquoi les réactions à l’invasion russe de l’Ukraine ont divergé autant en Europe.
Les pays de l’Ouest ont réagi à la guerre barbare menée contre un pays souverain de façon radicalement différente de certain des pays européens de l’Est, en particulier la Pologne et les Etats baltes.
L’Occident n’a eu de cesse d’essayer, de façon naïve et désespérée, d’entamer des négociations avec l’agresseur sanguinaire et de fournir une aide limitée et un peu réticente à l’Ukraine, au regard de leurs capacités financières.
Comment expliquer des réactions si différentes? En un mot: l’empathie, ou son absence.
La Lituanie se passe déjà du gaz russe
La Lituanie, premier pays sous occupation soviétique à avoir pris son indépendance, est devenue le premier État de l’Union européenne à cesser d’importer du gaz russe. Cette décision est survenue la veille du jour où le monde a découvert, glacé, le massacre de civils à Boutcha par des «soldats russes» (ou plutôt, des meurtriers et criminels de guerre).
Entre-temps, la Lituanie a commencé à prendre des mesures décisives pour s’assurer une indépendance énergétique vis-à-vis de son voisin hostile. Le pays était entièrement dépendant de la Russie jusqu’à ce qu’il commence à diversifier ses sources d’énergie en lançant la construction d’un terminal offshore de gaz naturel liquéfié dans le port de Klaipėda en 2014, la même année que l’annexion russe de la Crimée.
La Lituanie demeure vulnérable sans le gaz russe, mais il fallait bien qu’un État soit le premier à adopter une position ferme – et il est vite apparu qu’il ne s’agirait pas d’un pays occidental.
Si l’Estonie et la Lettonie ont rapidement emboité le pas à la Lituanie en mettant fin à leurs importations de gaz russe, les États occidentaux s’en sont pour l’essentiel tenu à un discours rhétorique, même après l’exigence scandaleuse de Gazprom de payer le gaz en roubles.
De l’Ukraine à Taïwan, la solidarité lituanienne
L’hésitation persistante de l’Ouest à rompre immédiatement ses liens avec la Russie par peur des répercussions politiques et économiques met en péril le cœur de la société démocratique occidentale – ses valeurs fondamentales.
La Russie, qui a audacieusement qualifié le massacre de Boutcha de «provocation des radicaux ukrainiens», reste l’un des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, principal organe chargé de garantir la paix et la sécurité dans le monde.
censée être la région la plus pacifique de la planète. Compte tenu de la militarisation de la région circumpolaire par la Russie depuis plus de dix ans, une contagion du conflit n’est pas à exclure.
Les considérations économiques du monde occidental ne devraient pas passer avant ses valeurs fondamentales, face à la sauvagerie et aux abominations commises par la Russie.
En 2021, la Lituanie a accueilli la représentation diplomatique de Taïwan à Vilnius. Cela a fortement irrité la Chine, un pays qui compte 500 fois plus d’habitants que la Lituanie et qui est accusé de violations flagrantes des droits de l’Homme.
Cette décision audacieuse a laissé le monde entier pantois. La Chine a rendu la pareille en dégradant ses relations diplomatiques et en imposant des restrictions commerciales, portant un coup à l’économie déjà fragile de la Lituanie.
Mais le soutien à la nation taïwanaise qui luttait pour son indépendance – un sentiment que les Lituaniens ne connaissaient que trop bien – n’était pas une décision irréfléchie.
Cet acte de solidarité a vu le jour parce que les principes fondamentaux de la liberté, du respect des droits de l’homme et du droit international, ont primé sur les intérêts économiques.
Mais n’oublions pas la réponse à cette interrogation : pour qui sonne le glas? Il sonne pour toi.
La Russie en Arctique, ou l’ironie d’un agresseur en charge d’une «zone de paix»
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