Xavier-Laurent Salvador présente son livre Petit manuel à l’usage des parents d’un enfant woke


Pouvez-vous nous présenter votre livre Petit manuel à l’usage des parents d’un enfant woke ?Ce Petit Manuel est composé comme un manuel de l’ancien temps, quand à l’école on apprenait la leçon du jour et qu’ensuite il fallait répondre à quelques petits exercices. C’est évidemment un clin d’oeil, mais cela ne doit pas cacher le constat qui est dressé par chaque chapitre sur la langue et sa destruction progressive, sur l’histoire et le révisionnisme dont elle fait l’objet, sur l’évolution de la géographie en sociologie mal digérée, sur les sciences exactes, le droit, l’islamophobie et le néo-féminisme… Le lecteur comprend très vite que derrière le ton plaisant, il y a en creux une réalité sombre qui se dessine et qui met en valeur une rupture profonde. Ce que les gens entendent quand on leur dit « école » n’a plus le même sens; il en va de même pour l’Université et pour les enseignements qui y sont prodigués.Il faut le lire pour le croire.

Comment la langue change régulièrement dans le temps ; n’est-ce pas là un marqueur d’évolution culturelle ?Je suis médiéviste, j’enseigne la langue du Moyen Âge et l’histoire de son évolution et je crois avoir été l’un des premiers chercheurs à revendiquer le statut de langue morte pour l’ancien français, idée reprise à l’époque par une autre linguiste : Jacqueline Picoche. Voyez-vous, une langue ça vit, ça évolue… et ça meurt, comme le latin qui a pourtant été la langue d’une civilisation foisonnante et d’une grande richesse intellectuelle. Ainsi en est-il de l’histoire des hommes. Encore faut-il s’accorder sur ce que nous appelons « changement » : je peux par exemple vous expliquer pourquoi, d’un point de vue morphologique, les langues romanes ont inventé la conjugaison du conditionnel que les langues antiques ne connaissaient pas. Je peux vous parler de l’évolution du système de la négation chez nos contemporains qui disent « j’veux pas » quand ils écrivent « Je ne veux pas » ou vous parler, et c’est intéressant, de la disparition en français de la déclinaison des pronoms relatifs « qui, que, quoi, dont, où » au profit du seul « que » dans des énoncés comme « Tu sais ? La voiture que j’tai parlé ». On est là dans la compréhension du changement linguistique. En revanche, la volonté de réforme politique d’une partie de la langue, comme la prétendue « écriture inclusive » qui en fait est « excluante », ne relève pas de la compréhension du changement : c’est au contraire une violence faite à la culture au prétexte que la langue « parle mal » selon les idéologues qui veulent la modifier de force ! Ne nous y trompons pas: si demain « démocratie » signifie « dictature des minorités », ce n’est pas un changement : c’est une arnaque.

Qu’est-ce qui vous a intéressé d’évoquer la justice sociale et l’égalité raciale dans votre ouvrage ?La question de l’adjectif est intéressant, car quand vous accolez l’épithète au nom, vous créez de la violence et de la rupture. Prenez l’exemple de la « laïcité » c’est un beau mot qui se suffit à lui-même. Le jour où l’on a commencé à parler de « laïcité positive », on a clivé le concept et entraîné son effondrement annoncé. Il n’existe pas plusieurs « justices » et il n’y a pas plusieurs « égalités » : il y a la justice et l’égalité entre les citoyens. Vous savez, il n’existe pas un « bon racisme », qui serait légitime au regard des souffrances des uns ou des autres ; et un « méchant racisme ». Il y a des racistes, et ce sont les racistes qu’il faut combattre. Il m’a semblé intéressant de rappeler ces évidences dans l’ouvrage.

Que pensez-vous de l’écriture inclusive ?Je voudrais rappeler que la République repose sur quelques institutions : la démocratie, l’école, la laïcité, la langue français. L’écriture exclusive est une tentative de prise de pouvoir par une infime minorité sur une institution: la langue, et d’ailleurs: plus particulièrement, la langue de l’administration. C’est un anti Villers-Cotterêts qui se joue sous nos yeux. Et cette tentative de putsch linguistique repose sur des fondements qui n’ont rien de scientifique contrairement à ce qu’ils essaient de dire, mais qui au contraire repose sur des arguments dénoncés par la linguistique depuis des décennies ! Non, le vocabulaire ne modèle pas notre façon de voir le monde et oui, l’hypothèse de Sapir-Whorf est une ineptie. Non, la performation n’est pas une « magie de la langue » qui aurait une efficacité sur le monde. Enfin ! Qui croit qu’en faisant disparaître le mot « racisme » – ce qui serait le principe du tabou – on fait disparaître les racistes ? Personne ! Qui peut donc croire qu’en transformant l’orthographe en une morale sexuée, sur la base du même raisonnement, on change le regard des gens sur le monde ? Qui peut croire que dans des langues qui ne connaissent pas le genre morphologique, comme l’arabe ou l’anglais, la misogynie n’a jamais existé ? Le seul remède contre les maux de ce monde ne se trouvent pas dans des solutions confortables et qui donnent bonne conscience: il se trouve dans l’éducation.

Avez-vous échangé avec des enfants woke et leurs parents pour écrire votre livre ?Oui, bien sûr ! Parmi mes étudiants, les enfants de mes amis, mes élèves et anciens élèves j’ai pu rencontrer de nombreuses personnes qui ont toutes témoigné de leur désarroi et surtout, c’est ce qui m’a le plus frappé, de leur ignorance des tenants et des aboutissants de ce à quoi ils étaient en réalité confrontés au quotidien. Tous pensent sans doute que ce changement est une fatalité : certains pensent anticiper en se précipitant dans une forme de conversion, d’autres ont du recul et me demandent ce qui a bien pu motiver mon souci d’écrire sur ce sujet. J’ai aussi rencontré beaucoup de personnes qui, dans l’ignorance de ces sujets, se pensent à l’abri. Mais quand ils lisent les écrits de l’Observatoire, très vite ils réalisent que les séries qu’on leur propose sur les médias de streaming, les cours que l’on donne à leurs enfants en éducation civique, les conférences auxquelles vont assister leurs enfants sont façonnés par cette vision du monde.

Vous adressez votre Petit manuel à l’usage des parents d’un enfant woke aux parents d’adolescents. Ne pensez-vous pas que certaines questions le sont dans toute la société ?Oui, vous avez raison. Mais mon point d’entrée dans ce phénomène complexe reste la façon dont l’Université est aujourd’hui combattue sans merci par des idéologues qui veulent rien moins que la réforme de la société par l’annexion de l’école et de tout ce qui la prépare. Il me semble important que ces changements, s’ils doivent avoir lieu, doivent être débattus en connaissance de cause par les citoyens qui sont en âge d’élever leurs enfants. Quant à la question plus générale, elle est traitée quotidiennement par l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires.

Vous êtes docteur de la Sorbonne et maître de conférences. Comment abordez-vous les sujets de votre livre avec les étudiants ou en conférence ?Alors je voudrais que les choses soient claires : lorsque les étudiants m’en parlent, je réponds toujours posément et avec beaucoup d’honnêteté sur ces questions. Je réponds en tant qu’adulte référent, en tant que parent, en tant que citoyen de 47 ans, en tant qu’homme. Mais je ne prétends pas enseigner ces sujets, et je fais parfaitement la distinction entre mon métier de chercheur, de médiéviste et mon engagement citoyen. Dans l’Université, j’enseigne l’histoire de la langue médiévale et de la traduction, je ne prétends pas être politiste ou je laisse bien volontiers le « wokistan » comme objet d’études à mes collègues qui en font métier.

Aurez-vous l’occasion de rencontrer vos lecteurs pour des séances de dédicaces ?J’ai déjà eu l’occasion de rencontrer quelques lecteurs en devenir à l’occasion d’un salon littéraire qui s’est tenu à Saint Maur, et je souhaite ardemment rencontrer les lecteurs qui voudraient me parler. Je crois au débat et à l’échange : je me réjouis donc de ce cette belle perspective.

Que souhaitez-vous dire pour terminer ?Les gens qui ont été formés dans l’école Républicaine, laïque et universaliste ont du mal aujourd’hui à se représenter une société dans laquelle on étiquette les gens en fonction de leur race ou de leur genre, voire de leur sexe. Beaucoup d’adultes « n’y croient pas ». Je crains malheureusement que la fracture entre les jeunes générations et celle de leurs parents ne se situent précisément dans ce malentendu subversif. Il faut lire ce petit Manuel pour prendre conscience de la pénétration des théories critiques de la race telles qu’elles s’enseignent aux États-Unis ou des théories du genre dans les enseignements.

Merci à Xavier-Laurent Salvador d’avoir répondu à notre interview !