You Said Strange / You Said what ? (fév. 2022)


Découverts lors des sessions d’été de l’empreinte, seule parenthèse rock dans l’été 2021 sur Paris avec la terrasse du Trabendo / Supersonic, You Said Strange avait marqué des points par son rock Psyché en ouverture des Mss Frnce. Le groupe de Giverny a sorti en fin d’année 2021 son nouvel album, Thousand shadows Vol.1 qui confirme tout le bien que nous pensons d’eux. L’occasion nous est donnée déchanger avec eux sur ce disque et parler de loin en loin du Volume 2 et il était hors de question de la laisser passer.

You Said Strange
Tout d’abord, comment allez-vous et comment avez-vous vécu cette période de pandémie ? Cela a-t-il influencé votre façon de composer ou l’album était déjà « dans les tuyaux » avant le covid ?Ça va, on commence à voir la lumière au bout du tunnel j’ai l’impression, non ? Pour la quatrième fois peut-être. D’abord, comme beaucoup de groupes, ça a été une énorme déception de voir toutes nos tournées partir en fumée, puis très vite on a réalisé que le monde entier était à l’arrêt. On s’est donc vite mis au boulot pour être prêt à sortir un album quand tout repartirait. Le deuxième album était déjà en route avant le premier confinement mais disons que ça a accéléré les choses.Vous êtes une fratrie qui constitue le socle du groupe, comment en venant de Giverny arrive-t-on à créer un groupe de rock et cette ville est-elle inspirante ? Alors, Martin (basse/chant) et moi (guitare/chant) sommes frères et partageons le chant lead sur scène mais le groupe est né de la rencontre entre Matthieu (batterie) et moi à la première édition du festival Rock In The Barn à Giverny. Matthieu vient de la ville d’à côté, il faisait partie de la bande d’ados intimidants qui venait foutre le bordel l’été au meilleur spot de baignade dans la rivière de mon village. Je ne sais pas si à l’époque on était fait pour être ensemble mais le destin a fait qu’on s’est rencontré en plein pogo. La semaine d’après il m’a invité à jouer nos premières reprises dans sa chambre, depuis on ne s’est jamais quitté. Le groupe a eu différentes formations, ça a pas mal bougé. Mon frère nous a rejoints à la basse et au chant sur l’écriture du premier EP, Riggi est venu jouer du clavier et du tambourin sur la tournée de ce même disque en 2015. On avait un autre guitariste à l’époque, qui a dû nous quitter pas longtemps après et Riggi a repris la gratte au pied levé. La musique a une très grande place dans notre éducation. Le papa de Matthieu faisait partie d’un groupe de cold wave dans les années 80 qui s’appelait Brigade Internationale, ils ont même assuré la première partie des Béru à l’Olympia, big up Nono  ! . Les parents de Riggi ont la plus grosse collection de cds de tout le comté et nos parents organisaient le « Festival de Giverny » avec de la chanson, du rock, du théâtre… de 1998 à 2011. Pour ce qui est de l’inspiration environnementale, je pense que nos nuits blanches dans les collines et forêts de Giverny ont largement contribué à tracer le chemin que nous avons emprunté musicalement. Pour le précédent album vous avez collaboré avec le guitariste des Dandy Wharhols Peter Holmström, un effet Monet ?Ahah un effet Monet ? je n’en sais rien. Ce qui est sûr c’est qu’on est fan de son travail, les Dandy Warhols sont une grosse référence de notre adolescence et ce que Peter fait en solo de son côté est absolument génial  ! On est allé enregistrer notre premier album chez eux à Portland pour donner suite à leur tournée française pour laquelle on avait assuré les premières parties. Un lien très fort s’est créé entre Peter et nous, il a vraiment apporté sa patte sur la production de l’album et a même enregistré quelques grattes sur certains morceaux. Ce fut une sacrée expérience.Il y a un côté DIY chez You Said Strange mais on retrouve cela avec d’autres groupes normands comme les We Hate You Please Die. La liberté passe par la maÎtrise et une sorte d’artisanat ?Disons qu’il y a tout un tas de rôles importants autour d’un groupe de musique, (label, tourneur, éditeur, attaché de presse, manager, tour manager etc.). On a plus ou moins endossé tous ceux-là à la fois au début parce qu’on n’avait pas vraiment le choix finalement. Faire tout soi-même on l’a fait et c’est dur. Aujourd’hui on a un tourneur (Persona Grata), une attachée de presse (Anne-Laure Bouzy) et des label/éditeurs (Exag Records, Le Cèpe Records, Freakout Records) avec qui nous sommes très heureux de travailler  ! Ce qui importe c’est de trouver les personnes qui saisissent la direction choisie par le groupe. Cet album a été enregistré en parfaite autonomie à Evreux. La première question concernant cet enregistrement, avez-vous également enregistré le(s) volume(s) suivant(s) lors des mêmes sessions ? Ce qui est intéressant avec cette « autonomie » c’est qu’on a pu faire l’expérience d’écrire les morceaux et les enregistrer en même temps, chose que l’on n’a jamais faite. Écrire et enregistrer simultanément demande du temps et du recul, c’est un luxe que l’on peut rarement se payer en studio. En montant le nôtre, on s’est affranchis des contraintes du temps et de l’argent. Toutefois certains morceaux qui n’ont pas trouvé leur place dans la version finale de Thousand shadows Vol.1 apparaîtront sur le Vol.2 en cours d’enregistrement et donc d’écriture.Vous avez travaillé autour d’une vieille console analogique au Morris Laney Studio avec votre ingé son Théophile Durand c’était nécessaire de travailler sur ce type de console et en famille ? Et cela façonne-t-il le son You Said Strange ? Cette console analogique on nous l’a filée il y a bien longtemps. J’imagine que ça a forcément un impact sur le son et sur la manière d’enregistrer, malheureusement je suis complètement nul dans ce domaine. Ceux qui ne le sont pas ne sont pas à côté de moi aujourd’hui quand je réponds à tes questions. Pour ce qui est de la famille, disons qu’au vu des circonstances cloîtrées de l’enregistrement, ce qui allait sortir de là ne pouvait être que très personnel. Une intervention extérieure aurait été peut-être complexe. Théophile fait notre son depuis des années, quand il est aux manettes c’est très fluide pour nous, on se comprend et on avance bien. Vous avez fêté la sortie de cet album à la Maroquinerie avec notamment la présence de Raphael de WHYPD. Comment s’est passé la soirée, je pense que vous attendiez cela depuis longtemps ?Ouais carrément  ! On a tous vu des concerts incroyables à la Maroquinerie, c’est une salle qu’on adore. On avait déjà eu la chance d’y jouer il y a quelques années en première partie de Cabbage, mais de revenir en « headliner » pour fêter la sortie de notre album ça été juste énorme  ! Francis Mallari a ouvert la soirée avec un super concert, Raphael de We Hate You Please Die a assuré un DJ set dans le bar entre les concerts et est aussi venu chanter sur scène avec nous, apportant toute sa fougue sur une de nos chansons. Notre super copain Darko de Animal Triste nous a également rejoints à la guitare sur deux morceaux, c’était fou  ! Une soirée riche en émotions  ! Ce fut un honneur de jouer devant une Maroquinerie comble de visages inconnus mais aussi des gens qui nous soutiennent depuis longtemps  ! Quelques jours plus tard le gouvernement annonçait l’interdiction des concerts debout.Comment s’est fait le choix de votre première partie Francis Mallari ?Francis est surtout connu en tant que bassiste/chanteur de Rendez-Vous, groupe dont on est fan et que l’on suit depuis quelques années. On les a même fait jouer deux fois dans notre festival (Rock in the Barn). Après leur premier album et de très longues tournées, Francis a sorti des chansons de son côté en solo. On a été très touchés par la sincérité et la fragilité qu’il en ressort. Il a accepté notre invitation et est venu ouvrir cette soirée, accompagné de deux musiciens dans un set intimiste. Point pratique, les aléas de la vie nous ont réunis chez le même tourneur quelque temps avant la Maro.

You Said Strange
Il y a une nouvelle scène qui semble créer une émulation sans concurrence, comme si les groupes se tiraient vers le haut. Nous pouvons citer, Mss Frnce avec qui vous avez partagé une affiche cet été à l’Empreinte grâce à un tourneur commun, Cosse qui vient de faire des dates en fusionnant avec TRukks, WHYPD. Cette génération semble pouvoir redonner une nouvelle jeunesse au rock made in France.Ouais cette scène française est dingue, on s’en rend vraiment compte sur la route devant les concerts des autres groupes. Une certaine solidarité se crée en ce moment comme une envie commune de faire bouger les choses.Comment un groupe de Giverny se retrouve à enregistrer une session pour KEXP ? Alors ça, va savoir… On s’est réveillé un matin avec chacun une notification instagram « KEXP a mentionné You Said Strange dans une publication ». La radio de Seattle a publié une photo de l’un de leurs chroniqueurs phare « Kevin Cole » un vinyle de notre premier album à la main. Pendant ses vacances en France Kevin est passé chez « Balades Sonores » à Paris. Fan du label « Fuzz Records » (le nôtre à l’époque) et attiré par la pochette, il est rentré aux USA avec notre disque sous le coude. On y est allé au culot, on l’a contacté pour lui demander l’impossible à nos yeux et il nous a répondu « si vous faites une tournée par chez nous, on fera volontiers une émission  ! « .Bon bah du coup on a organisé une tournée à l’arrache grâce à nos contacts sur place, ami.e.s et familles rencontrés lors de l’enregistrement de l’album à Portland deux ans plus tôt. Voilà, on est parti comme ça pour deux dates à New York, six dans le nord-ouest entre Portland, Seattle et Boise et on a pu finir sur une session KEXP.Les photos de votre pochette sont signées par Charlotte Romer, elle est très présente à vos côtés la considérez-vous comme une membre du groupe à part entière ?Oui, elle occupe une place très importante au sein du groupe depuis quelques années maintenant. Elle a aussi signé la pochette du premier album qui nous a valu l’intérêt de Kevin Cole justement. Elle était d’ailleurs présente sur la tournée américaine et quand les conditions le permettent elle nous accompagne sur d’autres dates. C’est assez important pour nous de construire une identité visuelle. On aime beaucoup son travail, c’est aussi elle qui signe nos photos de presse et pratiquement toutes nos photos live. Ça fait des années que l’on se suit et que nos travaux évoluent parallèlement, nous sommes tous très contents de cette évolution. En parallèle de votre groupe, vous participez activement à l’organisation du festival, vous arrivez à gérer les deux ? C’est nécessaire de tout pouvoir gérer de A à Z et de faire vivre la scène locale ?Oui Martin est à la programmation et à la tête de l’organisation puisque le festival est né de son initiative. Depuis, c’est toute une équipe de potes qui s’est formée autour du festival, le groupe compris dedans. On occupe tous des postes clés, Théo notre ingénieur du son est à la régie générale, Matthieu et Riggi sont à la technique et moi je me balade entre l’accueil artiste et la régie du site (la ferme). Je ne sais pas si on gère bien les deux mais de manière générale on se débrouille toujours pour atteindre nos objectifs. C’est un apprentissage permanent, on essaie d’apprendre de nos erreurs pour améliorer les choses chaque année.Rock In The Barn et You Said Strange évoluent en même temps. On se permet d’inviter des gens rencontrés sur nos tournées à venir sur le festival, que ce soit sur scène ou dans l’équipe et à l’inverse, le festival nous offre des rencontres que l’on retrouvera sur les routes. Pour ce qui est de la scène locale, c’est hyper important pour nous de créer un espace où elle puisse s’exprimer. Cette scène, on en fait partie, et quand on monte cet événement on aime à penser que c’est le genre de festival dans lequel on pourrait jouer. Au-delà de la scène locale, il y a tout un vivier de groupes incroyable en France ou en Europe prêts à faire péter les amplis. Dans une époque où l’on nous rabâche que le rock est mort, c’est important pour nous tous et pour tout le monde d’exposer cette scène qui à encore de longues années devant elle.Pour cet album vous avez travaillé avec Daniel James Goodwin comment s’est faite la rencontre et quel a été son apport sur le disque ? Vous a-t-il challengés sur certains de vos choix ? Entre KEXP à Seattle et Goodwin à Woodstock vous vous éloignez de Giverny… Je ne sais pas si tu as eu l’occasion d’écouter l’album Plum de Wand, mais c’est un pur bijou, peut-être l’un des meilleurs albums de ce début de siècle à nos yeux.En pleine écoute de cet album pour la centième fois dans le camion sur le retour d’une tournée, on a regardé sur Discogs les crédits du disque. Dans la catégorie « mixed by – » il y était écrit Daniel J. Goodwin. Au-delà du mix qui est complètement dingue, on peut sentir que le gars a apporté autre chose qui est plus de l’ordre de la production, un vrai point de vue, des vrais partis pris. En inspectant la longue liste des groupes avec lesquels il a bossé, on est tombé sur This Is The Kit. La réponse à la question précédente se confirme ici puisque quelques mois plus tôt nous avions programmé This Is The Kit à Rock In The Barn. On a contacté Kate, la chanteuse qui nous a gentiment refilé l’email de Daniel. Il y a six heures de décalage entre Woodstock et Giverny. Quand Martin lui a envoyé les maquettes de Thousand shadows Vol.1, il fallut moins d’une heure à Goodwin pour répondre avec enthousiasme : « Je n’ai pas encore fini l’album mais je suis déjà conquis. J’ai déjà pas mal d’idées en tête  !  » . Il a plié l’affaire en dix jours. La première version du mix qu’il nous a envoyée est restée la version définitive, l’efficacité à l’américaine c’est assez troublant (rires). On n’a rien eu à redire, tout était magique. Il a fait ressortir des choses qu’on ne pensait même pas avoir enregistrées, il a donné à l’album une dimension dingue à nos yeux. Comme pour Plum et c’est un honneur, il s’est permis de produire et s’est investi personnellement en proposant son propre point de vue. On est très heureux de cette collaboration et on le garde évidemment sous le coude pour le Vol.2 . Le mot de la fin ?Un grand merci à vous et à très vite j’espère  !

Merci au groupe pour sa disponibilité et les points de vie perdus à l’empreinte avec Mss Frnce et à Anne-Laure Bouzy qui a mis tout en œuvre pour que cette interview voit le jour.JC Forestier
Octobre 2022

Note :
les commentaires appartiennent à ceux qui les ont postés. Nous n’en sommes pas responsables.