écrivain est décédé, trois mois après avoir fêté ses 100 ans. Son décès a été confirmé par la Fédération russe des échecs et la FIDE.
Averbakh est l’un des rares forts joueurs ayant réussi à tutoyer les sommets à la fois dans la théorie, la littérature, le journalisme, l’histoire et la politique échiquéenne.
Averbakh : “Le combat d’idées a toujours été pour moi le moment le plus important aux échecs, car c’est dans un débat créatif que naît la vérité. Russian Chess Federation.
Yuri Lvovich Averbakh est né le 8 février 1922 à Kaluga, une ville située à 180 kilomètres au sud-ouest de Moscou. Son père, un juif allemand – ses ancêtres s’appelaient Auerbach – travaillait comme forestier dans les forêts de Kaluga ; il choisissait les arbres à couper. Sa mère était professeur de langue et de littérature russes ainsi que dactylo.
En 1925, la famille s’installe dans la ruelle Afanasyevsky, près de la place Arbat, à Moscou. Averbakh se passionne pour les échecs dès l’âge de trois ans et commence à jouer véritablement à sept ans. Cette année-là, sa mère l’a envoyé à l’école, soit un an plus tôt que la plupart des garçons qui commençaient généralement à huit ans.
Averbakh a toujours été habité du sentiment que cette décision avait grandement affecté son destin car en 1939, lorsque la guerre a commencé en Europe, tous les jeunes hommes qui venaient de terminer leur scolarité ont été envoyés à l’armée. Cependant, Averbakh, trop jeune pour être appelé, a pu continuer à étudier à l’Institut Bauman, ce qui lui a valu un report de mobilisation en 1941, lorsque l’Union soviétique est entrée en guerre.
« Je faisais partie d’une génération tragique », dit Averbakh à ce sujet.
« De nombreux amis sont morts à la guerre, mais j’ai eu de la chance. Un tel destin, je n’ai rien fait pour cela – c’est ainsi que la vie était. » Les archives historiques indiquent que 93 % des hommes russes nés en 1922 sont morts au front.
Pendant ses années d’école, Averbakh aimait le ski, le hockey et le volley-ball, mais surtout la boxe. Cependant, à un moment donné, les échecs ont pris le dessus et sont devenus son principal centre d’intérêt.
Averbakh dans sa jeunesse.
Russian Chess Federation.
Pendant la guerre, Averbakh a terminé son instruction dans une usine de production de locomotives à Kolomna, et avec d’autres étudiants, il a été envoyé à la base blindée près de Naro-Fominsk, où il a été engagé dans la réparation des chars et des tracteurs. De 1941 à 1943, il a étudié à Izhevsk, puis est retourné à Moscou en avril 1943.
« Peu de joueurs ont eu le privilège de vivre aussi longtemps. Une grande partie de ma génération a été perdue pendant la guerre », expliquait Averbakh vers la fin de sa vie. Il racontait souvent l’anecdote de son appel au volontariat en octobre 1941.
Va vite dans un magasin et trouve des chaussures d’hiver ! ». À cette époque, Averbakh mesurait déjà 1,90 mètre (il était aussi un très bon joueur de volley-ball dans sa jeunesse) et chaussait du 45. Il n’a trouvé nulle part de chaussures à sa taille.
Le lendemain, de nombreux citoyens ont commencé à fuir Moscou et il s’est joint à eux. « J’ai sauvé mon destin », dit-il.
Dans ces années-là, il passait beaucoup de temps aux échecs, avec des succès raisonnables.
En 1944, il a reçu le titre de Maître des sports de l’URSS.
Averbakh devant l’échiquier. Russian Chess Federation.
Après l’obtention de son diplôme, Averbakh a commencé à travailler à l’Institut de recherche sur l’aviation des missiles, où il est resté cinq années, a préparé une thèse mais a fini par décider de se consacrer entièrement aux échecs.
Averbakh a raconté que le chef de son département lui a demandé un jour comment il combinait les échecs et la science.
« J’ai répondu : ‘Franchement, la science freine les échecs, et les échecs interfèrent avec la science’.
Il a réfléchi et m’a dit : « Je peux te laisser aller jouer aux échecs pendant deux ans. Si ça ne marche pas, je te reprendrai. Et quand en 1954 je suis devenu champion d’URSS et prétendant au Championnat du Monde, la question était réglée.
En fait, il m’a béni pour une carrière d’échecs. »
Au cours de ces premières années, la vie n’est pas facile, Averbakh gagne seulement la moitié de ce qu’il gagnait à l’institut. Les choses s’améliorent lorsqu’il devient Grand Maître en 1952, trois ans après son premier grand succès, au championnat de Moscou de 1949, qu’il a remporté devant des joueurs tels que le GM Andor Lilienthal, le MI Yakov Estrin et le GM Vladimir Simagin.
Il s’imposera dans ce tournoi également en 1950 et 1962.
l’un des plus forts de l’histoire. Les livres écrits par les GMs David Bronstein et Miguel Najdorf sur cet évènement sont considérés parmi les meilleurs de la littérature échiquéenne.
Averbakh s’était qualifié en terminant parmi les huit premiers joueurs du tournoi Interzonal de 1952 à Saltsjobaden (Stockholm), en compagnie des GMs Alexander Kotov, Mark Taimanov, Tigran Petrosian, Efim Geller, Laszlo Szabo, Svetozar Gligoric et du MI Gideon Stahlberg. Ils ont rejoint Bronstein et les GMs Isaac Boleslavsky, Vasily Smyslov, Paul Keres, Samuel Reshevsky, Najdorf et Max Euwe.
Kotov, Keres, Averbakh et Geller.
Russian Chess Federation.
Le tournoi, un toutes rondes aller-retour de 15 joueurs de 28 rondes, s’est déroulé du 30 août au 23 octobre 1953, et a été remporté par Smyslov qui défiera Mikhail Botvinnik pour le titre mondial l’année suivante. Averbakh a terminé dixième ex-aequo avec Boleslavsky, totalisant le score de 13,5/30.
Classement final
#
Nom
1
2
3
4
5
6
7
8
9
0
1
2
3
4
5
Pts
1
Smyslov
½½
½1
11
½½
½½
11
½0
½½
½½
½½
½½
1½
11
1½
18
2
Bronstein
½½
11
1½
½½
½½
½0
½½
1½
½½
½½
01
1½
½½
½½
16
3
Reshevsky
½0
00
½½
½½
½½
½½
10
½½
½1
½1
1½
½1
11
1½
16
4
Keres
00
0½
½½
½1
½½
½1
½½
½½
0½
11
1½
½1
½½
11
16
5
Petrosian
½½
½½
½½
½0
0½
½½
½½
00
½½
½½
11
½1
1½
11
15
6
Najdorf
½½
½½
½½
½½
1½
00
1½
1½
½0
½½
½½
½½
0½
11
14½
7
Geller
00
½1
½½
½0
½½
11
½0
01
½½
01
1½
½1
01
½½
14½
8
Kotov
½1
½½
01
½½
½½
0½
½1
10
1½
00
10
1½
0½
01
14
9
Taimanov
½½
0½
½½
½½
11
0½
10
01
10
½½
½½
½0
0½
11
14
10
Averbakh
½½
½½
½0
1½
½½
½1
½½
0½
01
½½
½½
0½
11
00
13½
11
Boleslavsky
½½
½½
½0
00
½½
½½
10
11
½½
½½
½0
½½
½1
½½
13½
12
Szabo
½½
10
0½
0½
00
½½
0½
01
½½
½½
½1
1½
½½
1½
13
13
Gligoric
0½
0½
½0
½0
½0
½½
½0
0½
½1
1½
½½
0½
½1
11
12½
14
Euwe
00
½½
00
½½
0½
1½
10
1½
1½
00
½0
½½
½0
1½
11½
15
Stahlberg
0½
½½
0½
00
00
00
½½
10
00
11
½½
0½
00
0½
8½
Au cours de ce tournoi, Averbakh a disputé l’une de ses parties les plus célèbres – qu’il a perdue.
Averbakh faisait partie de l’équipe d’URSS qui a affronté les États-Unis dans un match en 1954 à New York.
Cependant, après avoir manqué une partie avec le MI Donald Byrne (à cause d’une pendule cassée dans sa chambre), il s’est disputé avec le capitaine de l’équipe, le GM Igor Bondarevsky et a été exclu pendant un an pour conduite antisportive, même s’il était le champion soviétique.
En 1955, avec le GM Boris Spassky, Averbakh a rejoint la jeunesse mondiale à Anvers (évitant ainsi les activités dans l’armée) car l’entraîneur habituel de Spassky, le GM Alexander Tolush, s’était cassé la jambe. Spassky a gagné et Averbakh a été réintégré dans l’équipe nationale.
Ce n’est qu’un exemple d’une vie mêlée de succès, de chance et de tragédie. Le jour où on lui propose un poste à la fédération d’échecs, sa mère a une attaque. Lorsqu’il est devenu champion soviétique, son père est mort.
Il était également commentateur pendant le championnat du monde Smyslov-Botvinnik de 1954.
Lors du championnat d’URSS de 1956, Averbakh partage la première place avec Spassky et Taimanov mais ce dernier remporte le titre après des départages entre les trois.
Une partie d’un match d’entrainement secret avec Botvinnik en 1957.
Gligoric, Petrosian, Pal Benko, Fridrik Olafsso et Bobby Fischer.
Dans sa biographie, Tal a écrit une anecdote amusante sur un blitz qu’il a joué en 1959 à Bled.
» J’ai réussi à le gagner, mais ce qui me reste en mémoire est autre chose : un oubli unique. Je ne me souviens pas de la position exacte, mais le mécanisme de la gaffe était le suivant :
Le trait était aux noirs. Averbakh m’a offert la nulle, mais j’ai décidé de continuer à jouer.
J’ai vu que je devais parer la menace Fxh7+, suivi de Dxd5. J’ai donc défendu par 1.h6?? Comme vous l’aurez deviné, Averbakh a répondu 2.Fh7+ et n’a plus proposé nulle.
»
Grâce à sa bonne maîtrise de l’anglais, Averbakh a pu voyager dans le monde entier, ce qui n’était pas le cas de tous les GMs soviétiques. Il est même allé en Amérique du Sud, en Asie et en Australie. En 1960, il remporte l’Open d’Australie et un tournoi international à Jakarta.
Une autre grande victoire pour Averbakh fut le Schlechter Memorial de 1961 à Vienne. Le tournoi ne comprenait pas d’autres GMs soviétiques, mais son score de 9/11 était néanmoins impressionnant.
Il s’est aussi imposé à Rio de Janeiro en 1965 et à Christchurch, Nouvelle-Zélande, en 1967.
Il a partagé la première place avec le MI Artur Hennings en 1971 à Bucarest et avec le GM Jan Plachetka lors du 13ème Mémorial Rubinstein en 1975 à Polanica-Zdroj, Pologne.
Averbakh jouant au billard. Russian Chess Federation.
Cependant, Averbakh n’était plus professionnel des échecs après 1962. Il a quitté le jeu assez tôt, à l’âge de 40 ans. « Je me suis rendu compte que je ne m’améliorais pas, et j’aimais le journalisme et le coaching », exxplique-t-il.
« Et j’aimais travailler avec les gens – cette qualité, je l’ai gardée de mon travail à l’institut ».
De 1958 à 1962 et en 1962 puis sous celui de Chess Herald entre 1991 et 1995
En 2007, la Bibliothèque publique nationale russe pour la science et la technologie a fondé le Cabinet de la culture et de l’information échiquéennes, qui a ensuite été renommé simplement Centre des échecs.
Au début, Averbakh était l’un des dirigeants, mais en raison de son âge, il a dû quitter ce poste. Il a néanmoins continué à être un consultant scientifique pour le centre.
a-t-il déclaré. « S’entrainer sur des études permet de prévenir la maladie d’Alzheimer. Si vous avez plus de 70 ans, le stress d’un tournoi peut être dangereux pour votre santé.
(.) Mais une attitude calme et réfléchie face aux échecs est très utile, surtout quand on est très âgé. Un mode de vie sain avec beaucoup d’exercices est également important. »
Jusqu’à l’âge de 87 ans, Averbakh est allé nager presque tous les jours.
Il disait que « travailler dur » était le secret de sa longévité.
Averbakh montrant des études à Moscou en Juillet 2016.
tant au niveau des ouvertures que des finales.
En tant que spécialiste des ouvertures, il a servi de secondant à Spassky, Tal, Botvinnik, Keres, Smyslov et même Kasparov.
Dans l’Est-Indienne, après 1.d4 Cf6 2.
c4 g6 3.Cc3 Fg7 4.e4 d6, les coups 5.
Fe2 0-0 6.Fg5 sont connus comme la variante Averbakh. Il l’a utilisée, par exemple, lors de sa seule rencontre avec Fischer à l’Interzonal de Portoroz en 1958.
La partie s’est terminée de façon précoce et abrupte, les deux joueurs ayant des problèmes de temps.
« Soudainement, Fischer a proposé nulle, ce qui était complètement contre sa nature », a déclaré Averbakh. « Dans une position peu claire et devant atteindre le 40e coup avant que nous ayons plus de temps, j’ai accepté.
Après la partie, j’ai entendu des gens demander à Fischer pourquoi il avait proposé nulle. Il a répondu : « Parce que je ne voulais pas perdre contre un Grand Maître ». Quand on m’a posé la même question, j’ai répondu : « Parce que je ne voulais pas perdre contre un gamin ! ».
Il a publié des centaines d’études, beaucoup apportant des contributions notables à la théorie des finales. Il a écrit quelques douzaines de livres, le plus célèbre étant son Chess Endings en trois volumes, qui a été traduit en plusieurs langues.
Le projet était de l’écrire avec Bondarevsky et Keres, mais ce dernier devint rapidement un prétendant au Championnat du Monde, tandis que Bondarevsky commençait à former Geller, puis Smyslov et Spassky. Averbakh, avec quelques aides, parvint tout de même à terminer le l’ouvrage, qui sera réédité 20 ans plus tard avec deux volumes supplémentaires.
L’un des célèbres livres d’Averbakh sur les finales
Il est peut-être moins connu qu’Averbakh était également un écrivain actif sur l’histoire des échecs.
Il était l’un des rares joueurs de haut niveau à avoir écrit dans un style clair et lisible quelque chose de significatif sur l’histoire du jeu. Un exemple est son A History of Chess from Chaturanga to the Present Day, un livre qu’il considère comme sa plus grande réussite et qui a été publié en 2012 par Russell Enterprises.
Averbakh a célèbrement divisé les joueurs d’échecs en six groupes, avec des exemples de joueurs typiques :
- les puncheurs, qui veulent détruire leur adversaire : Botvinnik, Fischer, Korchnoi, Kasparov, Carlsen
- les combattants : Steinitz, Lasker, Bronstein, Morphy, Alekhine, Smyslov
- les Grands Maitres pour qui les échecs sont un sport et qui retournent à leur vie ordinaire lorsque la partie se termine : Keres, Capablanca, Euwe
- Les personnes qui s’intéressent à tout, aux cartes, aux dominos, etc : Karpov, Petrosian, Geller
- les artistes : Tal, Capablanca, Simagin, Alekhine
- les Chercheurs : Steinitz, Fine, Euwe, lui-même
De nombreux attaquants de renom se sont cassés les dents sur le style solide d’Averbakh.
Parmi eux, le MI Rashid Nezhmetdinov, sur lequel Averbakh a écrit, « S’il avait de l’attaque, il pouvait tuer n’importe qui, y compris Tal. Mais mon score contre lui était quelque chose comme 8½-½ parce que je ne lui donnais aucune possibilité de jeu actif. Dans ce cas, il commençait immédiatement à gâcher sa position car il cherchait des complications.
»
De 1962 à 1972, Averbakh a été vice-président de la Fédération soviétique des échecs, de 1972 à 1977, président, puis de nombreuses années encore, vice-président. Il a été l’arbitre principal du premier match Karpov-Kasparov en 1984, ainsi que de Kasparov-Short, Londres, 1993, et Kasparov-Kramnik, Londres, 2000.
De 1978 à 1982, il a été membre du comité exécutif de la FIDE.
De 1978 à 1986, il a été membre du Comité central de la FIDE et simultanément président de la Commission de qualification de la Fédération et coprésident de la Commission d’assistance aux pays en développement. De 1986 à 1991, il a été président du comité de la FIDE pour la propagande et la presse.
Averbakh a joué activement jusqu’à l’âge de 83 ans.
Sa femme est décédée à peu près à la même époque, ils étaient ensemble depuis 59 ans.
En septembre 2017, à 96 ans, Averbakh a joué ce qui était probablement sa dernière partie publiée contre Misha Osipov, alors âgé de quatre ans, un événement auquel ont également assisté Spassky et Sergey Karjakin.
Averbakh avec Osipov en Septembre 2017.
Maria Emelianova/Chess.com.
L’été dernier, Averbakh a survécu au Covid-19, et il y a seulement trois mois, le 8 février, il a fêté ses 100 ans, devenant ainsi le tout premier Grand Maître à devenir centenaire.
Dans une interview à Chess.com, il a déclaré qu’il était toujours impliqué dans les échecs, mais dans une moindre mesure.
« Malheureusement, ces dernières années, ma vue et mon ouïe ont beaucoup diminué, si bien que je ne peux plus travailler sur l’ordinateur comme avant », a-t-il regretté.
« Parfois, je rencontre mes collègues et je partage avec eux les idées qui me viennent à l’esprit. Parfois, j’analyse des finales. Je comprends qu’à l’ère de l’informatique, ces analyses n’ont aucune valeur pratique, mais cette activité m’aide à garder l’esprit vif.
»
Le 4 mai, trois jours avant sa mort, Averbakh a reçu l’Ordre d’honneur par décret du président de la Fédération de Russie pour « sa grande contribution au développement et à la popularisation du mouvement échiquéen russe et international et ses nombreuses années de travail consciencieux. »
Averbakh laisse derrière lui une fille, mariée à Taimanov pendant 10 ans. Le Grand Maître vivant le plus âgé est désormais le serbe Aleksandar Matanovic, co-fondateur deChess Informant.
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