D’un unique opérateur qui s’occupe de tous les transports en commun, la Métropole va passer à deux modes distincts, les bus d’un côté et les « modes lourds » de l’autre, comprenant les tramways, le métro et le Rhônexpress. Mais selon Rachida Albrand, secrétaire du syndicat UGICT CGT TCL, cet allotissement ne va que « soutenir les multinationales » et en aucun cas les usagers : « Stratégiquement, l’allotissement n’a aucune plus-value si ce n’est de faire plaisir à quelques opérateurs ».
Un appel d’offres a été lancé pour permettre aux entreprises les plus prometteuses de prendre une part du marché. Si on pourrait considérer qu’il s’agit d’une bonne idée, comme le pensent les écologistes, la CGT se trouve à l’exact opposé : « Ce n’est pas en divisant qu’on va réduire la complexité. Au contraire, ça va la multiplier ».
La question de la coordination est alors posée. Jusqu’à présent, un seul opérateur s’occupe de toute la gestion. Lorsqu’il y a un incident sur le réseau, « on peut mutualiser l’ensemble des moyens internes pour y répondre », explique Jacky Albrand, responsable national des transports urbains de la CGT. Si un métro tombe en panne, les bus relais prennent normalement la relève. Mais dès lors que les bus et les métros ne seront plus connectés, comment faire pour garder une bonne coordination ? L’ombre plane aussi du côté de la gestion de la facturation.
Toujours au niveau des pannes, seul le personnel du métro orientera les usagers. Puisque les bus seront détachés de ce pôle, ils ne devraient plus être présents comme ils le sont actuellement. Une raison de plus pour agacer les usagers qui semblent déjà assez mal orientés lors des pannes actuelles.
Si le président du Sytral Bruno Bernard vante une meilleure qualité de services, Jacky Albrand considère plutôt l’inverse : « L’usager ne va pas se rendre compte tout de suite des différences, mais il va se rendre compte de la baisse de qualité en fonction des moyens accordés ». Qui dit pôles différents dit, par conséquent, budgets différents. Par la même occasion, les salaires pourront vite ne plus être à la même échelle selon les entreprises.
Des salariés au bord du gouffre
Un autre changement pour les usagers devrait peser sur leurs affaires personnelles. Admettons qu’une personne perde son téléphone portable dans un bus, elle va dans une agence TCL et l’information
remonte de manière instantanée. Mais selon Rachida Albrand, cela mettra beaucoup plus de temps lorsque l’allotissement sera en place, car il n’y aura plus de lien hiérarchique entre les agences et le conducteur du bus en question. Retrouver le téléphone perdu ne sera pas impossible, mais prendra au moins deux fois plus de temps.
Parmi les grands perdants de l’allotissement, la CGT TCL place les salariés en haut de la liste. D’après la secrétaire du syndicat, l’évolution professionnelle sera plus compliquée qu’auparavant : « Aujourd’hui, si je souhaite intégrer le mode bus c’est faisable. Après le pré-allotissement, tout sera figé ». Ce pré-allotissement sera fixé au 1er janvier 2024, soit un an avant l’officialisation du projet.
Il paraît peu envisageable, selon Jacky Albrand, que les entreprises laissent partir leurs salariés pour un autre lot.
« On réduit les parcours professionnels qui étaient l’un des rares points d’attractivité de notre entreprise », déplore le responsable. Si les salariés possèdent une carte de transport exonérée de cotisation de fiscalisation, elle ne sera dorénavant exonérée que sur le réseau sur lequel opère le salarié en question, ce qui amènera nécessairement un surcoût supplémentaire.
Parmi les autres acquis qui risquent de disparaître, les frais de santé et la retraite. À l’heure actuelle, le comité social et économique (CSE) comporte 4 400 salariés. Si tout n’est pas encore fixé, le CSE devrait se briser selon les différents pôles. Ainsi, 2 800 personnes iront au pôle bus, 1 300 au pôle modes lourds et le reste aux sociétés publiques locales. Les budgets seront donc diminués et les négociations plus compliquées car « à 4 400, on négocie plus qu’à 2 800 », déclare Jacky Albrand.
Si ces acquis disparaissent, ce sont des décennies de lutte qui s’en vont avec, selon Riad Marzouki, secrétaire général de la CGT des TCL et secrétaire du CSE. Les salariés ont effectivement la possibilité de partir à la montagne ou sur la Côte d’Azur pour 30 euros la nuit, un avantage conséquent qui permet aux plus modestes de pouvoir bénéficier de ces séjours. Mais « on n’est pas sûr que les CSE pourront dès lors entretenir les acquis » et, si tel était le cas, de nombreux salariés ne pourront ainsi plus partir. Une inquiétude de taille qui grimpe notamment chez les secrétaires CGT.
Idem pour les retraites. La question ne se pose pas à l’heure actuelle, mais comment affecter les retraités aux différents pôles, qui sont partis avant l’allotissement ? S’ils ont gardé la même mutuelle qui leur permet de bénéficier d’une tarification avantageuse, il est dès lors « impossible de savoir où ils ont fini leur carrière », d’après Rachida Albrand. Un problème de taille puisque les CSE pourront prendre des décisions différentes selon les pôles et les frais de santé connaître des changements potentiellement drastiques.
Un modèle suédois pas forcément logique
D’autant plus que l’allotissement va provoquer un surcoût « qu’ il faudra récupérer sur les salariés ou les usagers », explique Jacky Albrand. Cela pourra se faire par des tarifs TCL à la hausse ou une augmentation des impôts. Ainsi, il ne saisit pas le but de cette manoeuvre : « Il est diff icile de comprendre pourquoi changer un réseau plusieurs fois récompensé pour son efficacité et nous faire croire que casser quelque chose qui fonctionne va l’améliorer ».
La Métropole de Lyon a toujours cité, dès le départ, avoir pris Stockholm comme exemple. Mais là aussi, c’est une comparaison illogique pour Rachida Albrand : « On n’a pas la même culture, on n’est pas autant discipliné. Ce n’était pas faisable sur Lyon en ayant comme référence Stockholm ». D’autant plus que dans la capitale suédoise, l’allotissement s’est produit sur une longue durée, comme l’indique Jacky Albrand : « À Stockholm, l’allotissement s’est fait sur dix ans, mais quel a été le coût sur ces dix ans ? (Les élus écologistes) sont incapables de nous le donner. Comment justifier de le faire sur Lyon en deux ans, sans nous dire combien ça peut coûter ? » La ville nordique possède par ailleurs deux fois plus d’habitants et les effectifs au sein des réseaux de transport sont bien différents.
La CGT demande donc à Bruno Bernard « d’ouvrir les yeux » et de regarder ailleurs.
À Paris, les écologistes ont demandé à Valérie Pécresse d’ouvrir une mission d’information sur l’ouverture à la concurrence des transports en commun. À Lille, Transdev s’est retiré de l’appel d’offre à cause « des conditions du marché et des ressources à mettre en oeuvre ». Enfin, à Nice, la Métropole est passée en régie directe pour récupérer toute la gestion. « Si les Verts avaient voulu être innovants, ils auraient dû passer en gestion directe », souffle Jacky Albrand sur les élus lyonnais. D’autant plus que, selon lui, « il n’y a pas un exemple en France où la concurrence ne se fait pas sur le dos des salariés ».
Pour l’annulation de l’allotissement
Mais le syndicat ne compte pas se laisser faire. Une expertise a été votée en mars et la CGT attend le rapport qui devrait mettre deux mois à parvenir. Leur souhait actuel est que la Métropole fasse marche arrière pour annuler l’allotissement. Ce projet est par ailleurs une grande première puisque tous les mandats précédents y étaient opposés. Riad Marzouki critique ainsi un « empressement » et considère que les Verts font tout pour « se démarquer et laisser leur trace ». Mais, non sans vouloir envoyer une pique, le secrétaire général estime que les écologistes ont été élus par accident en plein Covid.
Si l’allotissement va avoir des conséquences sur les usagers, les salariés vont être en première ligne pour les subir. Pour autant, la CGT considère que d’année en année, les conditions de travail se sont détériorées. Depuis le Covid, des salariés, voire des intérimaires, quittent leurs postes avant même leur période de titularisation, une situation que Jacky Albrand « ne connaissait pas » jusque-là. Pour ce dernier, le coupable de cette chute démesurée est évident : « C’est la responsabilité du Sytral ». Il compare ainsi Lyon avec Clermont-Ferrand ou Chambéry « où les conditions sont meilleures et les
salaires supérieurs ».
Dans la capitale des Gaules, le point d’indice est radicalement inférieur. Ce dernier sert de base au calcul du traitement brut des fonctionnaires et de la fonction publique. À Lyon, il est de 9,54 et de 11,55 à Clermont-Ferrand, ce qui crée une différence de 400 euros brut pour une ville avec cinq fois moins d’habitants. À Chambéry, les coupures inférieures à deux heures sont payées alors qu’elles ne le sont à Lyon que pour trente minutes, ce qui est le minimum légal. Pour un salarié, la coupure représente une partie de la journée où il n’est pas à la disposition de l’employeur, ce qui peut être grossièrement comparé à des pauses. Dans le sud de la France, à Marseille, à ancienneté égale, un salarié gagne 300 euros brut de plus.
Pour Jacky Albrand, le manque d’effectif passe avant tout par-là : « Un intérimaire qui n’a pas d’attache à Lyon, préfère peutêtre aller à Clermont en sachant que la vie est moins chère ».
« Le droit de changer d’avis »
La CGT a bien tenté de négocier à plusieurs reprises avec la Métropole de Lyon, mais cela est vite tombé à l’eau selon le responsable : « Les Verts avaient prévu de nous rencontrer de manière régulière, mais comme on exprime de forts désaccords, ils ne nous reçoivent plus. Bruno Bernard envoie des administratifs nous répondre ».
Du désaccord, il y en a aussi sur les projets du Sytral. L’automatisation du métro B n’a pas été une franche réussite au vu du nombre conséquent de pannes qui trouve une explication rationnelle, selon Rachida Albrand : « Les investissements n’ont pas été à la hauteur ». La ligne B s’est raccordée sur la ligne D, elle aussi automatisée. Mais placer un nouveau matériel sur un ancien, n’a pas fait bon ménage, les jonctions ayant des fonctionnements différents. L’ouverture précipitée du métro B est précisément ce qui a provoqué toutes ces complications.
Et pour Riad Marzouki, entendre Bruno Bernard rejeter la faute sur Keolis et les salariés, est d’une grande hypocrisie car « c’est lui le décideur ».
Parmi les autres projets critiqués du Sytral, le tramway express à la place du métro E n’a pas la cote. Alors que le métro qui devait désenclaver l’Ouest lyonnais devait être prêt pour 2030, Riad Marzouki considère que ce tramway n’est pas près de voir le jour : « L’étude du métro E a mis des années à se faire, alors on n’imagine pas le temps d’étude pour un tramway semi-enterré », dit-il avant de lâcher que ce sera peutêtre prêt dans 20 ans. Le projet du téléphérique a, lui aussi, été abandonné. Si les salariés continuent de faire part de leur mécontentement, Keolis a trouvé une parade pour remotiver les troupes : des crêpes-party. Une décision aberrante pour Rachida Albrand : « Ce n’est absolument pas l’attente des salariés aujourd’hui. C’en est risible ».
Pour autant, la CGT tient à rappeler que le Sytral se tenait plutôt bien avant l’arrivée des écologistes : « D’un point de vue financier, on ne peut pas dire que les gestions précédentes ont mis à sac les ressources du Sytral. Les Verts ont multiplié les projets en endettant le Sytral ». Selon Riad Marzouki, il n’y a qu’une seule explication à ce phénomène : « Bruno Bernard a voulu stopper tout ce qu’il pouvait de la mandature précédente ».
Laisser une trace dans l’histoire, les Verts sont bien partis pour le faire mais peut-être pas pour les bonnes raisons. Unanimement, les syndiqués demandent au président du Sytral de « revenir à la raison » et lui rappellent « qu’il a le droit de changer d’avis ». Si la majorité est en place à cause d’un accident, Rachida Albrand comme ses camarades attend impatiemment 2026 car ce sera dès lors aux usagers de décider du futur.
Sollicités, ni Bruno Bernard, ni son vice-président Jean-Charles Kohlhaas n’ont souhaité répondre.