À l’école de la laïcité


Le gouvernement Legault cherche à renforcer la laïcité à l’école. Peu importe ses motivations stratégiques, il répond à un vrai problème. Mais les options semblent limitées. A priori, aucune solution législative ou réglementaire ne s’impose.

Mis à jour hier à 7h00

La réflexion gouvernementale a été révélée vendredi par mon collègue Tommy Chouinard. Elle découle du scandale à l’école primaire Bedford à Montréal.

Des professeurs intégristes musulmans y dissuadaient les jeunes filles de jouer au soccer, niaient les troubles d’apprentissage ou du spectre de l’autisme, empêchaient des professionnelles d’aider les jeunes en difficulté et escamotaient les cours de science ou d’éducation sexuelle.

Qualifiés de « clan dominant » dans un rapport troublant du ministère de l’Éducation, ces zélotes intimidaient aussi les professeurs d’origine maghrébine qui leur tenaient tête.

Peut-être que Québec trouvera des boulons à resserrer pour mieux prévenir de tels cas, ou sévir plus tôt. Mais à la lecture du rapport, on constate surtout que des recours existaient déjà. Le problème, c’est qu’on ne les a pas utilisés. Par crainte de paraître intolérant ou par lâcheté administrative.

Remontons à la genèse houleuse des projets de charte de la laïcité, qui prohibaient le port de signes religieux ostentatoires.

Dans la version caquiste, la loi 21 adoptée en 2019, cette interdiction cible ceux qui représentent l’autorité coercitive ou « morale » de l’État.

Les critiques de la charte jugent cette mesure inutile. Selon eux, le Québec est déjà laïc. La laïcité concernerait l’État, et non les individus. La loi limiterait ainsi la liberté de religion sans avoir démontré que cela règle un problème réel, comme l’exige pourtant notre jurisprudence.

En d’autres mots, cette loi constituait une mauvaise réponse à un faux problème. Et, encore pire, elle décomplexait une parole intolérante.

Le rapport sur l’école Bedford incite à réévaluer cette analyse.

Bien sûr, on peut utiliser l’incident pour remettre en question la loi 21. Elle empêche des femmes vêtues de signes religieux d’exercer leur emploi, même si elles sont compétentes et dévouées. Tandis que des hommes qui ne portent pas de signes religieux peuvent enfoncer leur dogme dans le cerveau de jeunes enfants.

Mais cette critique implique tout de même un renversement majeur.

Désormais, on reconnaît que la laïcité n’est pas acquise à l’école.

On ne peut pas dire que l’école Bedford est un cas isolé non plus. Des vérifications sont en cours aux écoles Saint-Pascal-Baylon (primaire), Bienville (primaire) et La Voie (secondaire).

Des gens pourront rétorquer que le sujet concerne la pratique de l’enseignement, et non la laïcité de l’État. Cette nuance ne change toutefois rien au constat : la menace d’un retour du religieux à l’école.

À Bedford, les mécanismes ont fait défaut.

La direction de l’école et le centre de services scolaire ont échoué à évaluer les enseignants et à traiter les plaintes. Et le syndicat a mal interprété l’autonomie professionnelle – elle ne peut s’exercer « au détriment des droits des autres ».

Bref, il était possible d’agir.

Le débat sur la laïcité a polarisé le Québec. Les adversaires de la loi dépeignaient leurs adversaires en nationalistes intolérants. Il ne fallait surtout pas leur donner des munitions et alimenter la peur de l’autre. Mais ce tabou ne fait qu’aider le camp adverse. Il peut aussi mener à des dérives comme à l’école Bedford.

Vrai, si ces professeurs intégristes ont pu sévir pendant sept ans, c’est en partie à cause de l’habituelle incurie administrative. Mais le malaise religieux refroidissait aussi les autorités. Qui veut se faire traiter de raciste ?

Québec se demande si des changements pourraient faciliter les interventions futures. Par exemple, aucune sanction n’est prévue dans la loi pour un enseignant qui viole son devoir de contribuer au développement des élèves.

Deux exemples à cet effet.

Le premier : des enseignants abuseurs ou gravement incompétents ont déjà été transférés d’une école à l’autre au lieu d’être congédiés. La mollesse des autorités ne concerne donc pas que la religion.

Le deuxième : un enseignant ayant tenu des propos « parfois extrêmes » contre l’islam et ses élèves musulmans a perdu son brevet cette année. Le centre de services scolaire l’avait d’abord fait changer d’école. Mais les parents se sont mobilisés, une pétition a été envoyée et son brevet a été retiré. C’était à l’école La Voie, qui fait aujourd’hui l’objet de vérifications pour prosélytisme. Le comportement antireligieux y a été plus vite dénoncé.

Tant mieux si Québec renforce les recours pour sévir contre la toute petite minorité d’enseignants fautifs. Mais les directions et syndicats devront les utiliser, pour tout le monde.

Le cas Bedford reflète un autre phénomène plus large, celui de la difficulté pour l’école de jouer son rôle.

Le Québec propose l’interculturalisme. Il promet d’intégrer les nouveaux arrivants dans la langue officielle, en partageant des valeurs communes.

C’est un défi à l’école, comme le démontre le dernier Portrait socioculturel des écoles publiques de Montréal.

Dans certains établissements publics, le nombre ne permet pas cette intégration.

Dans certaines écoles secondaires de Montréal, l’arabe est de loin la langue la plus souvent parlée à la maison chez les élèves. Dans d’autres, le mandarin est plus présent que le français. Ces jeunes auront moins de chances de connaître et d’aimer la culture de leur société d’accueil. Et inversement, des écoles privées se ghettoïsent en accueillant surtout des élèves blancs francophones qui méconnaîtront les communautés culturelles.

Des professeurs s’inquiètent du retour du sexisme et de l’homophobie chez les jeunes garçons. L’influence des masculinistes est dénoncée avec raison. Mais le conservatisme religieux en est aussi responsable. Il frappe d’ailleurs en premier dans les diasporas. Les musulmans qui ont fui l’intégrisme sont les premiers à en subir les pressions.

On dira que la loi sur la laïcité devait justement envoyer un message en affirmant clairement ce principe. Mais la polarisation en a fait, pour certains, un tabou.

En voulant s’y attaquer, le gouvernement caquiste réagit à un réel problème. Pour fonctionner, sa réflexion devra être rassembleuse.

Il ne faudrait pas que la peur de mal paraître dans nos débats d’adultes mène à tolérer les dérives religieuses auprès de nos enfants.