La chronique « Sans filtre » de Mémona Hintermann  : ce n’est pas une broutille


l’essentiel

Sans filtre, la chronique de Mémona Hintermann, grand reporter, ancienne membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Même Gabriel Attal n’en revenait pas. L’absoudre si facilement… il fallait le faire  ! « C’est bon, oh  !  » a-t-il murmuré à ses voisins du banc gouvernemental. Son large sourire semblait dire que tout ça n’était pas bien grave, qu’il ne fallait pas prendre les choses trop au tragique. Les éclats de rire fusaient déjà dans tout l’hémicycle. Rachid Dati avait fait fort, comme on dit. Une franche rigolade avait saisi tout le monde en entendant la ministre de la Culture, répondre au sénateur communiste Ian Brossat lors de la séance de questions au Palais du Luxembourg.

Mémona Hintermann

DDM

Eh oui, il avait fallu oser cet argument-là, pour justifier une scène incroyable deux jours plus tôt : l’irruption de Gabriel Attal dans une émission de France Info… à laquelle il n’était pas invité. Comme il était déjà dans la Maison Ronde, il avait pris l’ascenseur, saisi un micro et hop, le Premier ministre avait volé la vedette à la tête de liste macroniste Valérie Hayer en méprisant toutes les règles. La faute à qui ? Sibylle Veil  ! La patronne de Radio France a « contraint » le chef du gouvernement, c’est elle qui peut vous répondre a conclu Madame Dati. Contraint ? Forcé, le chef du gouvernement ? Euh, non, s’est défendu un peu plus tard le directeur de l’info de Radio France devant la Société des journalistes de la société publique.

En fait, Gabriel Attal devait juste « saluer sa candidate dans les coulisses » et il est allé « plus loin ». Un petit mensonge quelque part ou une grosse connivence ? Cet accroc à la bienséance des pratiques de la liberté dans la sphère médiatico-politique paraîtrait banal à Moscou : il ne doit l’être, ni à Paris ni ailleurs en France.

Nous critiquons le pays de Poutine qui piétine la liberté d’informer et passerions vite l’éponge au motif que cette vilaine petite histoire ne serait que vétille ? Une question qui relèverait du corporatisme, cet abus-là ? Dans une actualité remplie de défis et de fureurs, de guerres et de peurs majeures, ce qui s’est passé lundi sur le service public ne doit pas être évacué au motif qu’une actualité chasse l’autre. Qu’un haut responsable de l’État s’impose ex-abrupto, micro à la main, n’est pas une broutille, c’est un révélateur du degré de cynisme face aux citoyens dans les relations entre médias et pouvoirs. Si on accepte cet épisode sans broncher, pourra-t-on s’offusquer demain si l’extrême-droite toutes sensibilités réunies s’installe à Matignon et dicte sa loi, sa façon de « faire sa télé, sa radio » ?

L’urticaire de cette semaine s’inscrit dans un contexte inquiétant pour le service public, alors que la même ministre de la Culture veut accélérer le processus de réforme de l’audiovisuel. Son argument, si hilarant soit-il pour masquer la gêne, décrédibilise les grandes promesses. Le 26 juin, les États généraux de l’information lancés sur une initiative d’Emmanuel Macron rendront leurs conclusions. Au point 3 du projet, il est écrit que cette consultation, associant professionnels et société civile en général, vise à « protéger l’information libre face aux ingérences ». Ce qui s’est passé lundi n’est-ce pas une ingérence dans la liberté d’édition ? Malgré la lourdeur des priorités devant nous, s’interroger n’est pas forcément se montrer vétilleux.