L’étoile acquise au « Guide Michelin » au printemps 2024 est venue confirmer tout le bien que pensait de lui le milieu de gastronomie. Le chef franco-israélien, Matan Zaken, passé par la prestigieuse école Ferrandi et par les cuisines du George V, a décroché le précieux sésame dans les cuisines de son restaurant Nhome. Mais si le jeune chef de 31 ans jouit en façade d’une belle image, la réalité des coulisses est tout autre.
En effet, une dizaine d’anciennes collaboratrices ont témoigné à Libération d’un management « toxique », fait notamment de harcèlement sexuel, et des « comportements inappropriés » du chef. Une stagiaire, présente pendant plus de trois mois, témoigne : « Très vite, il a commencé à me poser des questions très intimes sur mes relations sexuelles, me demandait si je n’étais pas “un peu gouine sur les bords”. Et après, il a commencé à faire des remarques sur mon physique, mes tétons, mes seins.
Quand il passait, il me touchait la taille, me parlait du cul des femmes qu’il draguait… Lors de mon dernier service, il m’a dit au revoir et je n’ai pas pu le repousser. Il m’a mordillé la joue et a fait mine de me croquer l’épaule. »« Dès qu’il peut faire des câlins et des bisous à une employée, à une stagiaire, il le fait, ajoute une ancienne salariée de Nhomade, son entreprise traiteur.
J’ai travaillé avec des chefs avant, mais les hugs à l’américaine, les petits bisous sur le front ou la joue, les petits mots à l’oreille, les siestes allongées et collées contre une salariée de 23 ans sur le canapé… je n’avais jamais vu ça. » Une autre stagiaire raconte avoir « acheté un soutien-gorge » pour que les remarques sur sa poitrine cessent. Libération a également pu consulter des SMS tels que « Tu me galoches » envoyés à une employée du pôle communication en pleine conversation professionnelle.
Management militaire
Comme le rappelle le quotidien, Matan Zaken défendait en juin 2024 des conditions de travail propres à conserver « une équipe stable, sans turn-over ou presque. Je ne voulais pas nous épuiser dans le travail. » Les témoignages, eux, évoquent des plannings envoyés la veille pour le lendemain, des heures supplémentaires pas payées et une disponibilité continue.
« Avec Matan, il y a souvent des vagues de départ : les arrêts maladie pour burn-out deviennent des départs et tout le monde finit par partir », témoigne une ancienne collaboratrice présente au lancement de Nhomade. Un SMS envoyé par le chef lui-même atteste de ces craquages en chaîne : « T’es plus forte que ça… Je veux que tu tiennes : un qui craque, tout le monde craque, comme à l’armée. »Le récemment étoilé n’aime pas non plus les arrêts maladies et les accidents de travail et contacte régulièrement ses employés pour les presser à retourner au travail.
Une ancienne employée, victime d’une fracture lors d’un événement, raconte avoir été enjointe à envoyer des photos de sa blessure sur un groupe WhatsApp car le chef supposait une « magouille » : « Ça a été la goutte d’eau, j’avais déjà perdu 10 kilos en un an et il exigeait que je revienne au travail blessée, j’ai fini par poser ma démission. »
« La façon la plus militarisée des choses est celle qui a le plus de résultats à ce jour »
Ce fonctionnement martial est revendiqué par celui qui a fait ses trois années de service militaire en Israël. « Sorry si parfois je suis brut dans ma manière de te parler, j’espère que mes remarques de connard te font progresser », envoie-t-il à une ancienne employée.
Lorsqu’il essaie de former une employée au management, il explique : « Je t’ai pas mal parlé, je t’ai poussée, c’est mon travail de pousser les gens. Tu n’es pas censée craquer à ce stade-là du game, rentre dans le jeu ! Je veux que tu brailles [contre les autres]. Plein de gens ne cautionnent pas mon management.
J’ai essayé l’esprit de famille, les amis, je me fais toujours ken [niquer]… La façon la plus militarisée des choses est celle qui a le plus de résultats à ce jour. »
Blacklisté dans deux grandes écoles hôtelières
Un fonctionnement connu et répandu dans le milieu de la gastronomie, mais que les écoles qui forment les jeunes talents souhaitent désormais proscrire. Ainsi, deux écoles de renom refusent désormais d’envoyer leurs étudiants en stage ou en alternance dans les cuisines de Matan Zaken.
C’est le cas de l’école Ducasse et de l’institut Lyfe (anciennement Paul Bocuse). « Quand on se trouve confrontés à des situations inacceptables – comme dans le cas présent – nous mettons en place un blacklisting de l’établissement, selon nous pas conforme à l’accueil de nos étudiants et à nos engagements », explique Dominique Giraudier, directeur de l’institut.Aucune des personnes ayant témoigné n’a pour l’instant engagé de procédure aux prud’hommes par manque de fonds pour payer les frais d’avocat, par manque de confiance envers la justice, mais aussi par la peur qu’instigue leur ancien employeur : « Il dit tout le temps qu’il connaît des gars qui peuvent casser des bras », soutient une ancienne employée.
Matan Zaken a répondu par mail aux questions de Libération : « Dans la restauration, comme chacun le sait, le recrutement, la fidélisation des collaborateurs et le risque de turn-over qui en découle sont des véritables enjeux. La haute gastronomie est une vocation qui nécessite un engagement fort et une faculté d’adaptation rapide, ce qui n’est pas donné à tou(te)s. »Concernant le reste des accusations, il préfère ne pas « répondre à des allégations anonymes dont je conteste non seulement l’interprétation mais aussi la contextualisation, et dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants, pour n’en avoir jamais été saisi.
»