la France va avoir besoin de beaucoup d’électricité


La question n’est plus de savoir si la demande d’électricité va augmenter ou non, mais plutôt de trouver les moyens de répondre le plus rapidement possible aux nouveaux besoins. C’est le constat dressé par le Réseau de transport d’électricité (RTE) dans un nouveau rapport présenté mercredi 7 juin, qui prévoit une progression beaucoup plus forte que prévu de la consommation électrique en France.Le gestionnaire du réseau estime qu’elle pourrait atteindre entre 580 et 640 TWh en 2035, contre 460 TWh en 2022. Dans son scénario de référence, publié en octobre 2021, RTE tablait sur 645 TWh de consommation, mais seulement à l’horizon 2050. L’accélération est très nette, tout comme la volte-face des autorités sur le sujet, si l’on se rappelle qu’il y a dix ans le discours officiel insistait sur la décroissance des besoins électriques, ce qui permettait de justifier la fermeture programmée d’un tiers du parc nucléaire.

Reconquête industrielle

Mais le contexte a changé avec l’apparition de nouveaux paramètres depuis deux ans, justifie RTE. L’Union européenne a ainsi revu sa trajectoire climatique. Son objectif n’est plus de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, mais de 55 %, ce qui suppose d’aller plus vite dans l’électrification des usages, dans les usines, les transports ou les modes de chauffage.À cela s’ajoutent de nouvelles ambitions en matière de relocalisations industrielles, au nom de la souveraineté. Les trois gigafactories de batteries dans le Nord auront besoin, par exemple, de 5 à 10 TW d’électricité par an, soit la production d’un à deux réacteurs nucléaires de 900 MW.

La sobriété ne suffira pas

Certes, les leviers pour faire baisser la demande sont toujours là. Les mesures d’efficacité permettraient d’économiser environ 100 TWh par an, et les mesures de sobriété entre 40 et 60 TWh par an. Mais cela ne suffira pas. À eux seuls, les besoins supplémentaires de l’industrie en électricité sont évalués par RTE entre 110 et 160 TWh.Résultat, la consommation électrique pourrait ainsi grimper de plus de 10 TWh par an, un « rythme » qui « n’a plus été atteint depuis les années 1980 et met en évidence l’ampleur du défi auquel le système électrique français est confronté », souligne le rapport.Il va donc falloir trouver rapidement de nouveaux moyens de production. Pas facile. Car les nouveaux réacteurs nucléaires n’entreront pas en service avant 2035 (au mieux), et les futurs parcs éoliens en mer ne seront opérationnels qu’à partir de 2030, à condition d’être décidés maintenant.

Doubler la production d’énergie renouvelable d’ici à 2035

Pour boucler l’équation énergétique, autrement dit réussir à la fois la décarbonation et l’industrialisation, « il faut de l’efficacité, de la sobriété, une production nucléaire la plus disponible possible et beaucoup d’énergies renouvelables supplémentaires », résume Xavier Piechaczyk, le président de RTE.Beaucoup de conditions, qui pourraient être difficiles à remplir en même temps. Cela suppose notamment de porter l’ensemble du parc de réacteurs au moins jusqu’à 60 ans et de remonter la production nucléaire à 400 TWh (279 TWh en 2022). Du côté des énergies renouvelables, qui devraient produire au minimum 240 TWh en 2035, soit deux fois plus qu’aujourd’hui, il faudra accroître l’acceptabilité sociale, en particulier l’éolien terrestre.

Fin du monde et fin du mois

D’autant que les Français ne sont pas prêts à bousculer leurs habitudes. Surtout si cela leur coûte cher, à en croire la grande enquête réalisée par Ipsos pour RTE, en deux vagues, auprès de 11 000 et 13 000 personnes à qui 120 questions ont été posées.« Ils sont conscients du changement climatique, mais la question du pouvoir d’achat demeure centrale », souligne Brice Teinturier, le directeur d’Ipsos, en rappelant que pour 70 % des Français la baisse de la consommation de gaz et d’électricité a été faite pour des raisons financières, seulement 30 % mettant en avant un geste civique.

Deux symboles intouchables : la voiture et la maison individuelle

Les Français ont aussi des aspirations qu’ils entendent garder. Ils ne veulent pas être contraints de rouler dans une plus petite voiture et limiter leurs déplacements (68 % estiment l’avoir déjà fait). Ils rêvent d’avoir un logement plus grand, et surtout une maison individuelle, avec si possible un jardin, qu’ils ne veulent partager avec personne.Bref, des envies qui sont aux antipodes de la sobriété radicale prônée par certains. « Mais vouloir imposer des modèles, c’est le meilleur moyen d’allumer des mèches », prévient Brice Teinturier. Du côté de RTE, le message semble entendu. «Les Français veulent conserver leur mode de vie. À nous de l’intégrer dans nos prévisions », affirme Xavier Piechaczyk. Visiblement, le souvenir du mouvement des « gilets jaunes » a laissé des traces.————

Concertation en vue de l’interdiction des chaudières à gaz neuves

Le gouvernement français, qui envisage d’interdire l’installation de chaudières à gaz neuves, a lancé une concertation jusqu’au 28 juillet avec des élus et des professionnels, a indiqué le ministère de la transition énergétique. Cette décision s’inscrit dans le cadre de la planification écologique lancée par la première ministre, Élisabeth Borne. Selon le ministère, il ne s’agirait toutefois « pas d’une obligation de remplacement » et que l’évolution serait « très progressive ».