ils plaident pour que la psychiatrie devienne une « grande cause nationale »


Ils ont la trentaine et toute une vie professionnelle qui les attend. L’un est directeur d’hôpital, Aurélien Vautard, l’autre, psychiatre. Ils se souviennent de la genèse de ce monument de livre qu’ils tiennent entre leurs mains « La santé mentale en France ».

Ils disent « C’était en hiver 2022, il faisait gris, nous étions abattus. » Aurélien est directeur adjoint de l’hôpital psychiatrique Charles Perrens, et Florian Porta Bonete, psychiatre, chef de service.Ils ont la trentaine et toute une vie professionnelle qui les attend.

L’un est directeur d’hôpital, Aurélien Vautard, l’autre, psychiatre. Ils se souviennent de la genèse de ce monument de livre qu’ils tiennent entre leurs mains « La santé mentale en France ». Ils disent « C’était en hiver 2022, il faisait gris, nous étions abattus.

 » Aurélien est directeur adjoint de l’hôpital psychiatrique Charles Perrens, et Florian Porta Bonete, psychiatre, chef de service.À ce moment, les urgences de Charles Perrens débordent, des jeunes beaucoup, des filles bien plus, les chiffres de Santé Publique France s’affolent partout en France, ajoutant à leur abattement. Macbeth viendra leur tendre la main : « Il n’est si longue nuit qui n’atteigne l’aurore » Cette citation de Shakespeare qui dit l’épuisement, mais aussi l’espoir.

Ils ont décidé ce jour-là d’en finir avec les plaintes, de se relever les manches et de se battre en utilisant les mots, « d’agir par l’écriture ». De cette journée grise est né un ouvrage collectif, où pas moins de 114 acteurs de la santé mentale ont rédigé leur état des lieux, leurs espoirs, leurs solutions, un véritable plébiscite pour sauver la psychiatrie.De quelle manière avez-vous construit cet ouvrage, de près de 800 pages ?Florian Porta Bonete : Le premier que nous avons contacté est Boris Cyrulnik, et il nous a répondu tout de suite.

Il était partant, pour rédiger l’introduction et se mobiliser avec nous, pour trouver d’autres intervenants dont il avait les contacts. Son enthousiasme nous a galvanisés. Nous n’avons pas essuyé un seul refus, tous les métiers de la santé mentale sont ainsi représentés, des médecins, mais aussi des administrateurs, des infirmiers, des psychologues, enseignants, et même des patients.

Le livre s’appuie sur les compétences d’un comité éditorial.Quel est selon vous l’état des lieux de la psychiatrie en France, au regard des chiffres que vous qualifiez « d’affolants » ?Aurélien Vautard. On compte en France 15 000 psychiatres et pédopsychiatres, soit 23/100 000 habitants, mais c’est leur répartition territoriale qui coince, ainsi en Corrèze, on ne trouve pas un seul pédopsy, et seulement 2 psychiatres pour 100 000 habitants dans la Meuse, alors qu’il y en a 76/100 000 à Paris.

À cela, on peut ajouter des indicateurs de santé mentale en effet très inquiétants dans le pays, ainsi 1 Français sur 5 aujourd’hui est touché par un trouble psy, et on déplore un suicide en France toutes les 40 minutes. Si on ajoute l’impact économique, il y a de quoi parler d’affolement : 163 milliards d’euros de coûts globaux ont pour origine les troubles mentaux, ce qui correspond en gros au déficit de l’État Français en 2023.

Cette surconsommation de médicaments est un symptôme de l’absence d’alternative, notamment une difficulté d’accès aux soins

Qu’attendez-vous de la publication de cet ouvrage collectif ? Une réaction du grand public, celle du gouvernement ?FPB.

Les deux. Il faut bousculer les choses, réinvestir le champ de la santé mentale, comme cela a été fait avec le premier plan cancer en 2003. Nous souhaitons voir émerger un plan psychiatrie du même ordre, avec à la clé la création d’un institut national de la psychiatrie et de la santé mentale, à l’image de l’INCA (Institut national du cancer) Cet ouvrage a une mission commune dans un esprit collectif, loin des guerres de chapelle, qui nous ont fait du mal…Des guerres de chapelles, de quoi s’agit-il ? Des différentes méthodes émergentes autour du développement personnel, de psychothérapies, du débat sur la psychanalyse ?FPB.

Ce livre s’appuie sur une base scientifique, à l’heure où de nouvelles pratiques flirtent avec les pseudos sciences, l’ésotérisme, les croyances de tous ordres, sans que jamais ne soit posée la question de leur vraisemblance scientifique, avec des données évaluées. Tout cela peut perdre les gens. Le livre assume un fondement scientifique pour défendre la psychiatrie, et toutes les pratiques désormais reconnues.

163 milliards d’euros de coûts globaux ont pour origine les troubles mentaux, ce qui correspond en gros au déficit de l’État Français en 2023.

Nous sommes l’un des pays d’Europe qui consomme le plus de psychotropes. Comment l’expliquez-vous ?AV.

En effet, cette surconsommation questionne, qui concerne particulièrement les anxiolytiques, alors même qu’ils posent des problèmes de dépendance. Quand aux benzodiazépines, les plus prescrits, leur lien avec l’augmentation des risques de pathologies neurodégénératives n’est toujours pas tranché. Cette surconsommation est un symptôme de l’absence d’alternative, notamment difficulté d’accès aux soins.

En plus de la pénurie de praticiens, le non-remboursement des consultations pose problème. Certes, l’État commence à bouger avec le dispositif « Mon soutien psy », mais il faut encore aller plus loin, pour répondre aux besoins populationnels.Depuis le Covid, Santé Publique France alerte sur la souffrance psychique des enfants et des adolescents, grave sujet de santé publique.

Dans votre ouvrage, de nombreux pédopsychiatres sonnent l’alerte. Quels remèdes ?JPB. Le dernier bulletin de Santé publique France signale une hausse de +246 % des hospitalisations en psychiatrie chez les jeunes filles entre 10 et 14 ans, et ce, depuis la crise sanitaire.

Clairement, il y a un avant et un après Covid. On est au-delà d’un phénomène de crise, la situation perdure depuis les confinements sans faiblir, sans que nous en comprenions totalement l’origine. Ces jeunes en souffrance seront les adultes de demain.

Nous réclamons un plan d’action, à la hauteur de la gravité de la situation. Il faut vite desserrer le numerus apertus (le nombre de places d’étudiants), élargir le champ de compétences, des infirmiers grâce à la pratique avancée notamment. Il faut bousculer les labos, pour innover, trouver de nouvelles classes de médicaments, efficaces avec moins d’effets secondaires.

AV. L’Institut national de santé mentale que nous appelons de nos vœux, serait aussi le lieu où l’on pourrait innover, en matière d’accès aux psychothérapies, d’apport des neurosciences pour accélérer les diagnostics, on pourrait identifier les pathologies éventuelles ou les écarter, grâce à l’imagerie, aux bilans biologiques, à l’IA. Aujourd’hui, il faut entre 7 et 10 ans pour poser un diagnostic chez un jeune.

L’Institut serait aussi le lieu où réinventer la prévention.

  • « La santé mentale en France » préface de Boris Cyrulnik, avec la participation de 114 acteurs de santé mentale, sous la direction de Florian Porta Bonete et Aurélien Vautard. (LEH Édition) www.

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